Après une vague de cas de maladies causées par la cigarette électronique, exposant certains de ses potentiels dangers, une nouvelle étude révèle que la fumée de cigarette électronique (e-cig) avec nicotine a provoqué le cancer du poumon chez des souris.
Dans le cadre d’une nouvelle étude portant sur 40 souris de laboratoire, 9 individus sur 40 (22.5%) exposés à la fumée d’e-cigarette (avec nicotine) pendant 54 semaines, ont développé un adénocarcinome du poumon (une tumeur maligne d’origine glandulaire). Concernant la fumée d’e-cigarette sans nicotine, aucune des 17 souris de l’étude exposées n’a développé de cancer. Cependant, une seule a tout de même développé une hyperplasie.
Dirigée par Moon-shong Tang de la NYU School of Medicine (États-Unis), l’étude a également révélé que 23 souris sur 40 (57.5%) exposées à la fumée de cigarette électronique avec nicotine ont développé une hyperplasie de la vessie et des modifications génétiques qui rendent les cellules plus susceptibles de se multiplier. De tels changements favorisent la croissance anormale des tissus, augmentant les chances de développer un cancer. L’étude a été publiée dans la revue Proceedings of National Academy of Sciences (PNAS).
Une étude limitée, mais qui montre déjà que « quelque chose cloche »
Tang reconnaît les limites de l’étude, y compris le fait qu’elle a été menée chez un nombre relativement restreint de souris. La période d’étude a par contre été restreinte à un an, afin de compenser le risque de cancer lié à l’âge.
Une autre particularité de l’étude dont il faut tenir compte : les souris n’ont pas non plus inhalé la fumée comme le ferait un fumeur, mais en ont été entourées (exposition du corps entier).
« La fumée de tabac fait partie des agents environnementaux les plus dangereux auxquels les êtres humains sont couramment exposés, mais le potentiel de la fumée d’e-cigarette en tant que menace pour la santé humaine n’est pas encore totalement compris », a déclaré Tang, professeur aux départements de médecine environnementale, médecine et pathologie.
« Les résultats de notre étude chez les souris ne sont pas directement destinés à être comparés à une maladie humaine, mais soutiennent plutôt que la fumée d’e-cig devait être étudiée plus en profondeur avant d’être considérée comme étant sans danger ou commercialisée de cette manière » ajoute-t-il.
Des changements à l’intérieur même des cellules
La question de savoir si la nicotine elle-même, séparée de la fumée du tabac, provoque le cancer, est controversée en raison de résultats d’études contradictoires au fil du temps, qui ont utilisé des méthodes souvent critiquées.
Cependant, presque tous les chercheurs du domaine s’accordent à dire que les produits chimiques ajoutés lors du séchage du tabac (les nitrates et les nitrites) peuvent provoquer une réaction appelée nitrosation (l’ajout d’une particule appelée ion nitrosonium), expliquent les auteurs.
Ceci est connu pour convertir la nicotine en nitrosamines telles que la NNN (N-nitrosonoricotine) et la NNK (nitrosamine cétone dérivée de la nicotine), des cancérogènes avérés chez la souris et l’Homme.
Selon Tang, la pensée conventionnelle est que la fumée de tabac sec dépose des nitrosamines dans les organes et le sang d’un fumeur, les tests sanguins à la nitrosamine étant la meilleure mesure de leur potentiel cancérogène.
Dans le cadre d’une étude datant de 2017, des tests ont révélé que les niveaux d’un composé lié à la NNK, appelé NNAL, étaient 95% plus bas chez les fumeurs de cigarettes électroniques que chez les fumeurs de tabac conventionnel, amenant certains experts à conclure que le passage à la cigarette électronique pourrait sauver des millions de vies. D’après les auteurs, en partie à cause de ces communications publiques, 3.6 millions de lycéens ont adopté la cigarette électronique.
Dans ce contexte, la nouvelle étude révèle que les cellules des mammifères contiennent leurs propres ions nitrosonium, qui réagissent directement avec la nicotine pour former des nitrosamines, notamment la NNK. De nombreuses autres études ont également montré que les cellules humaines et murines contenaient également d’abondantes quantités de cytochrome P450, qui convertit ensuite le NNN et le NNK en composés (comme le formaldéhyde et le CH3N=NOH) pouvant réagir avec l’ADN pour former des adduits néfastes. Un adduit à l’ADN résulte de la fixation d’une molécule à un site nucléophile de l’ADN, par liaison covalente.
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Précédemment, dans une étude publiée en 2018 dans la revue PNAS, l’équipe de Tang avait montré que la fumée d’e-cigarette induit des lésions de l’ADN dans le poumon et la vessie de souris, et que la nitrosation dans des cellules en culture de poumons et de vessies humains provoque la conversion de la nicotine en dérivés augmentant les modifications du code de l’ADN (mutations), et pouvant transformer les cellules normales en cellules cancéreuses. Pour résumer : l’étude précédente avait révélé que la nicotine était transformée en nitrosamines, puis en agents endommageant l’ADN, qui formaient finalement des adduits à l’ADN.
Les résultats de l’étude actuelle confirment donc que la nicotine issue de la fumée de cigarette électronique peut provoquer le cancer des poumons et une croissance précancéreuse dans les vessies de souris. En outre, les résultats montrent que la nicotine, une fois dans les cellules, est convertie en nitrosamines qui ne se détachent pas des cellules et ne pourraient donc jamais être capturées dans le cadre de tests visant à mesurer les niveaux de nitrosamine en dehors des cellules.
« Nos résultats corroborent l’argument selon lequel les adduits d’ADN dérivés de la nicotine sont probablement les principales causes de la cancérogenèse chez les souris exposées à la fumée d’e-cig », explique le chercheur Herbert Lepor, chaire à la NYU Langone Health. « Notre prochaine étape dans ce travail consistera à augmenter le nombre de souris étudiées, à raccourcir et prolonger la durée d’exposition à la cigarette électronique et à étudier plus avant les changements génétiques causés par la fumée de cigarette électronique ».