Si longtemps la biologie a considéré le sexe comme un caractère acquis, fixé à la naissance et définitif, ces dernières décennies ont montré que, chez certaines espèces, ce n’était pas toujours le cas. Plusieurs espèces de reptiles et de poissons peuvent changer biologiquement de sexe au cours de leur existence, en réponse à des stimulus environnementaux. Le mécanisme sous-tendant ce changement a longtemps échappé aux biologistes. Mais récemment, des chercheurs ont identifié les processus à l’origine du changement de sexe chez les poissons.
Environ 500 espèces de poissons changent de sexe à l’âge adulte, souvent en réponse à des signaux environnementaux. Le changement de sexe de ces poissons était jusqu’à présent un mystère pour les biologistes. Mais la lumière sur ce mécanisme vient enfin d’être faite par une collaboration internationale menée par des scientifiques néo-zélandais, et dirigée par la généticienne Jenny Graves de l’université de La Trobe. L’étude a été publiée dans la revue Science Advances.
« J’ai suivi la Girelle à tête bleue pendant des années parce que son changement de sexe est vraiment rapide et qu’il est déclenché par un signal visuel » déclare Graves. « La façon dont le sexe peut s’inverser de manière aussi spectaculaire est un mystère depuis des décennies. Les gènes n’ont pas changé. Ce sont donc les signaux qui les activent ou les désactivent qui ont changé ».
Un changement de sexe biologique en seulement quelques jours
Les mâles de l’espèce Thalassoma bifasciatum vivent en groupes, sur les récifs coralliens des Caraïbes. Un mâle dominant — à tête bleue — protège un harem de femelles jaunes. Si le mâle disparaît, la plus grosse femelle devient un mâle — en seulement 10 jours. Elle change de comportement en quelques minutes et sa couleur en quelques heures. Son ovaire devient un testicule et en 10 jours, il produit du sperme.
En utilisant les dernières approches génétiques — séquençage d’ARN à haut débit et analyses épigénétiques — les chercheurs ont découvert quand et comment des gènes spécifiques sont désactivés et activés dans le cerveau et les gonades afin qu’un changement de sexe puisse se produire. L’étude est importante pour comprendre comment les gènes sont activés et désactivés au cours du développement chez tous les animaux (y compris l’Homme), et comment l’environnement peut influencer ce processus.
Reptiles et poissons : une modification de l’expression des gènes
« Nous avons constaté que le changement de sexe implique un recâblage génétique complet de la gonade » explique Erica Todd, de l’Université d’Otago. « Les gènes nécessaires au maintien de l’ovaire sont d’abord désactivés, puis une nouvelle voie génétique est progressivement activée pour favoriser la formation de testicules ».
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« Des marqueurs chimiques sur l’ADN contrôlent l’expression des gènes et aident les cellules à se rappeler leur fonction spécifique dans le corps. Notre étude est importante car elle montre que le changement de sexe implique de profonds changements dans ces marqueurs chimiques » déclare le biologiste Oscar Ortega-Recalde. Graves explique que le projet était lié à des études sur l’inversion du sexe chez des lézards-dragons australiens, auxquelles elle collabore avec des chercheurs de l’Université de Canberra.
« Chez les lézards dragons, le changement de sexe est déclenché par la température, qui prend le pas sur les gènes des chromosomes sexuels masculins et provoque le développement des embryons en tant que femelles. Le renversement du sexe chez les dragons et les girelles implique certains des mêmes gènes, alors je pense que nous examinons un ancien système de contrôle environnemental de l’activité des gènes » conclut Graves.