« Immortalité biologique » : comment Turritopsis dohrnii inverse-t-elle son vieillissement ?

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| Olivia Fern/Getty
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Des expériences menées dans les années 1996 ont montré que ce retour à un stade plus précoce prend généralement place lorsque des conditions défavorables sont rencontrées par la méduse, comme par exemple lorsqu’elle subit un stress ou encore lorsque celle-ci ne trouve plus de nourriture pour subvenir à ses besoins.

Les scientifiques pensent que cette transformation pourrait en fait pallier certaines contraintes de l’environnement en opérant un changement de fonction afin de rendre l’organisme plus apte à surmonter la situation.

Turritopsis ne connait alors pas de mort « naturelle », elle possède ce que l’on appelle une « immortalité biologique », c’est-à-dire qui ne concerne que son développement. C’est grâce à ce processus de transdifférenciation qu’elle est capable d’inverser le processus de vieillissement, à priori, indéfiniment. Celle-ci n’est effectivement pas immortelle au sens strict du terme, car elle n’est pas à l’abris de maladies, de la prédation ou d’un accident.

Le mécanisme de transdifférenciation : des cellules qui changent d’identité

La transdifférenciation est définie comme le fait que des cellules déjà différenciées (cellules spécialisées) puissent changer d’identité de façon totalement directe, sans avoir à repasser par le stade de « cellule souche indifférenciée » (cellule non spécialisée).

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Illustration montrant la différenciation de cellules à partir de cellules souches indifférenciées. Crédits : travauxpratiquesencadres.com

Le processus de dédifférenciation (différent du processus de transdifférenciation) avait déjà été observé auparavant chez d’autres familles de méduses. La dédifférenciation (déspécialisation) est caractérisée par le fait qu’une cellule déjà différenciée se transforme en une sorte de cellule souche non spécialisée avant de se respécialiser en un autre type de cellule, différent de celui d’origine.

Mais dans le cas de Turritopsis, la transdifférenciation se fait à partir d’une cellule différenciée (spécialisée pour le fonctionnement de la méduse) directement vers un autre type de cellule différenciée, qui sera plus utile au développement du polype. Dans ce processus, la cellule n’a pas à repasser par le stade de cellule indifférenciée (déspécialisée).

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Les différents processus cellulaires survenant à partir de cellules souches embryonnaires. Crédits : Stéphanie Guernon

Ce mécanisme consiste en une inversion de l’ontogenèse, c’est-à-dire de tout le développement d’un individu depuis l’œuf jusqu’à l’état adulte. Il peut être virtuellement répété de manière infinie. En effet, chaque cellule contient en son sein toute l’information nécessaire à la création d’un nouvel individu dans son intégralité. Lors de la différenciation vers un type de cellule particulier, seule une partie de toute cette information est utilisée.

L’origine génétique de la transdifférenciation

Au cours du développement embryonnaire et post-embryonnaire, toutes les cellules héritent des mêmes gènes que ceux de la cellule œuf et se spécialisent au fur et à mesure que des facteurs moléculaires viennent moduler leur expression.

Le processus de transdifférenciation requiert une combinaison de gènes sélecteurs (gènes permettant aux cellules de bien se positionner et d’avoir une forme précise) et de gènes homéotiques (gènes plaçant les organes au bon endroit au cours du développement).

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La transdifférenciation est un mécanisme faisant intervenir des facteurs régulateurs de la transcription. Crédits : Dorothée Raymond

Ces gènes jouent un rôle important dans l’activation et l’inactivation d’autres gènes. Ainsi, la transdifférenciation peut avoir lieu à la suite d’une mutation dans l’un de ces deux types de gènes, mais il est aussi très probable que l’environnement de ces cellules ait une influence majeure sur ce processus transformationnel (stress cellulaire).

Transdifférenciation : une voie prometteuse pour la médecine régénérative

Turritopsis dohrnii est le seul cas de métazoaire (organisme animal formé de plusieurs cellules), avec la méduse Turritopsis nutricula, possédant la capacité de se transformer à rebours en une forme plus précoce, même après avoir atteint sa maturité sexuelle, et fait dès lors l’objet de nombreuses études par les biologistes et les généticiens.

En effet, les enjeux sont grands. La connaissance approfondie des mécanismes mis en jeu dans le processus de transdifférenciation pourrait permettre de trouver de nouveaux moyens de réparer ou régénérer des tissus endommagés.

Exploiter le processus de transdifférenciation permettant à une cellule déjà différenciée de changer directement d’identité pourrait offrir de grandes possibilités en matière de médecine régénérative. En prenant n’importe quelle cellule de notre corps, il serait par exemple possible de la transformer pour créer n’importe quel autre type de cellule. Il serait donc possible de remplacer ou de réparer un tissu ou un organe défectueux.

Jusqu’à aujourd’hui, la greffe représente l’alternative la plus utilisée face à ce genre de situation, et la transplantation comporte des inconvénients majeurs liés aux risques de rejet ou encore face au trop faible nombre de donneurs. Ainsi, exploiter les propriétés de la transdifférenciation pourrait constituer une voie alternative pour la production de cellules de remplacement utilisables pour la médecine régénérative.

Cette piste représente une vraie promesse pour l’avenir car la compréhension des mécanismes mis en jeu dans ce processus d’inversion de l’ontogenèse pourrait permettre de répondre à des questions fondamentales en matière de plasticité cellulaire.

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