La grande majorité des études publiées sur le cannabis se penchent sur ses potentialités médicales ou sur ses aspects néfastes voir toxiques pour la santé. La littérature scientifique, plus restreinte concernant les bienfaits du cannabis hors cadre médical, présente cependant des contradictions majeures. Pour certains scientifiques, la consommation de cannabis est un prédicteur de violence, quand pour d’autres, il a peu ou pas d’effets comportementaux majeurs. Néanmoins, tous s’accordent à dire que le cannabis peut moduler l’humeur. La dépénalisation du cannabis à travers le monde incite les chercheurs à déterminer, avec plus de précisions, l’impact de cette plante sur notre organisme. Récemment, des chercheurs du Nouveau-Mexique ont découvert que les personnes ayant consommé du cannabis obtenaient des scores plus élevés sur les mesures standardisées des comportements prosociaux, de l’empathie et de la prise de décision morale, par rapport aux non-consommateurs. Ils apparaissent plus altruistes et agréables, vis-à-vis d’autrui. Cette étude tend à transformer les perspectives associées à cette plante.
Différents modes de consommation du cannabis existent selon les pays et selon les effets recherchés, certains ayant des effets plus néfastes que d’autres, notamment à cause des substances qui y sont associées. Mais les chercheurs s’accordent sur la capacité de la plante à stimuler les récepteurs CB1 et CB2 dans le système nerveux central, et donc à moduler l’expression d’autres neurotransmetteurs, tels que la sérotonine. Cette action est similaire aux médicaments pharmaceutiques antipsychotiques conventionnels, incitant ainsi de nombreux médecins à proposer maintenant le cannabis comme une option potentielle de traitement pour un large éventail de problèmes de santé affectant l’humeur.
Néanmoins, certaines études démontrent qu’une consommation soutenue peut également provoquer des manifestations psychiatriques. Une étude danoise récente a mis en évidence que chez les adultes ayant été de grands consommateurs réguliers à l’adolescence, l’on rencontre trois fois plus de psychoses et de schizophrénie.
Tout ce corpus tend à rendre plutôt confus les réels impacts positifs et négatifs du cannabis sur notre organisme. En partie à cause de sa désignation depuis près d’un siècle comme substance illicite par le gouvernement fédéral des États-Unis, la communauté scientifique s’est principalement concentrée sur les effets pharmacologiques et les risques pour la santé. La plupart de ces travaux sont menés par des chercheurs en toxicomanie. Beaucoup moins d’investigations concernent les effets, potentiellement positifs, sur d’autres éléments du fonctionnement psychologique.
C’est pourquoi une équipe de l’Université du Nouveau-Mexique (UNM) a analysé, de manière la plus objective possible, les changements comportementaux induits par la consommation de cannabis, notamment la prosocialité, l’empathie et la prise de décision morale. Leur découverte est publiée dans Scientific Reports.
La prosocialité améliorée par le cannabis, comportement clé de la gentillesse ?
La prosocialité fait référence à l’acte intentionnel d’améliorer le bien-être d’autres personnes. Les comportements prosociaux, tels que les démonstrations d’empathie, l’assistance aux autres et l’engagement dans le service communautaire, améliorent non seulement le statut social de l’individu, mais également certains paramètres de santé. Effectivement, ces personnes présentent une meilleure santé physique, un taux de maladie plus faible, une meilleure qualité de vie, ainsi qu’une durée de vie moyenne plus longue.
Psychologiquement, la prosocialité induit des sentiments de bonheur, qui à leur tour augmentent la motivation à s’engager dans d’autres actes de prosocialité, créant ainsi une boucle de santé comportementale positive pour celui qui en est à l’origine (l’acteur). La prosocialité implique également un avantage direct pour une cible (celui qui bénéficie de l’action du premier, de sa gentillesse), et peut souvent entraîner un bénéfice supplémentaire à un tiers au-delà de l’acteur et de la cible initiale. C’est ainsi que la prosocialité peut être considérée non seulement comme essentielle, mais aussi comme une mesure précise de la cohésion et de la vitalité globales d’une société.
L’étude actuelle a pour vocation d’élargir la littérature clinique, en mesurant les associations entre la consommation de cannabis et le fonctionnement psychologique social chez de jeunes adultes, par ailleurs en bonne santé. Pour ce faire, les auteurs ont comparé des étudiants consommateurs et non consommateurs. Plus précisément, ils ont inclus d’une part des étudiants ayant déclaré avoir consommé récemment du cannabis, déclaration vérifiée avec des tests d’urine, et d’autre part des étudiants en bonne santé qui n’avaient pas de THC (tétrahydrocannabinol) — principal constituant psychoactif du cannabis — dans leur organisme. Un ensemble de tests psychologiques a permis d’effectuer des mesures standardisées des comportements prosociaux, de l’empathie et de la prise de décision morale fondée sur les principes d’innocuité et de sens de l’équité.
Les résultats suggèrent que le cannabis pourrait entraîner un passage de concepts de soi plus égocentriques à un sens accru de l’altruisme et augmenter la perception de la responsabilité de protéger les autres contre tout dommage. Chez les hommes, les consommateurs de cannabis étaient vus comme plus agréables au niveau de la personnalité que les non-consommateurs. Ils apparaissaient plus gentils, moins agressifs.
De surcroit, comme l’expliquent les auteurs dans leur étude, les consommateurs et les non-consommateurs de cannabis n’ont pas montré de différences dans les mesures de la colère, de l’hostilité, de la confiance envers autrui, de l’interprétation des menaces faciales, des quatre autres dimensions restantes de la personnalité (extraversion, conscience, stabilité émotionnelle et ouverture) ou de la prise de décision morale fondée sur les principes de respect de l’autorité.
Enfin, la plupart des disparités observées dans les mesures de prosocialité entre les consommateurs de cannabis et les non-consommateurs étaient corrélées avec la durée écoulée depuis la dernière prise, ce qui suggère que les effets sont transitoires.
Les auteurs nuancent tout de même leur propos, car ces analyses transversales ne leur permettent pas de suivre les participants dans le temps. De même, l’échantillon est assez petit (146 personnes) et peut ne pas être représentatif de la communauté au sens large, ce qui limite la généralisation des résultats.
Des études aux perspectives moins biaisées et une dépénalisation croissante
Il s’agit de l’une des premières études à montrer les avantages psychosociaux, et non cliniques, de la consommation de cannabis chez les jeunes adultes, en bonne santé. Effectivement, la plupart des enquêtes sur les effets de la consommation de cannabis se sont concentrées soit sur les conséquences négatives de la dépendance, soit sur les effets quant à la santé physique. Jacob Miguel Vigil, chercheur principal et professeur adjoint du département de psychologie de l’UNM, souligne dans un communiqué : « Presque aucune attention scientifique formelle n’a été consacrée à la compréhension d’autres effets psychologiques et comportementaux de la consommation de la plante, bien qu’elle ait été si largement utilisée tout au long de l’histoire humaine ».
D’ailleurs, l’équipe de J. Vigil a publié, en pleine pandémie de COVID-19, une étude portant sur la capacité de la fleur de cannabis à réduire stress et anxiété, signature mondiale de cette période sanitaire hors normes. Leurs travaux ont été publiés en 2020 dans la revue Journal of Cannabis Research. Les chercheurs ont découvert que plus de 95% du temps, les utilisateurs de cannabis connaissaient une réduction immédiate du stress d’environ 4 points sur une échelle de 10.
Sans compter qu’en avril 2021, le Nouveau-Mexique est devenu le 17e État à légaliser cette drogue à des fins récréatives après que la gouverneure de l’État américain, Michelle Lujan Grisham, a signé le projet de loi sur le cannabis adopté le mois précédent par l’Assemblée législative de l’État.
De plus, la Commission des stupéfiants des Nations unies (CND), l’organe qui décide quelles substances sont considérées comme des drogues au vu du droit international, a reconnu, jeudi 2 décembre 2021, l’utilité médicale du cannabis et de sa résine dans les conventions internationales, suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Jusqu’ici, ils étaient classés dans l’annexe IV de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la catégorie la plus restrictive, où sont répertoriées les substances qui favorisent fortement l’abus et ont un très faible, voire aucun, intérêt médical. C’est pourquoi les études sur cette plante, aux perspectives moins restrictives et biaisées dès le départ, en matière d’interprétation des résultats, commencent à se multiplier.