Est-ce réellement une planète ? Les astronomes n’en sont pas encore sûrs, mais ce monde découvert dans l’Alpha du Centaure, le système stellaire le plus proche de notre système solaire, pourrait s’avérer prometteur. De type « Neptune chaud », cette potentielle exoplanète est en effet suffisamment proche de son étoile pour que la présence d’eau liquide soit envisageable.
Alpha du Centaure est si proche de nous qu’il offre des opportunités uniques aux scientifiques d’étudier les atmosphères et les surfaces des planètes qui s’y trouvent et par la même occasion, d’y rechercher d’éventuelles traces de vie. Les spécialistes ont appris que la découverte d’une exoplanète signifie souvent que d’autres existent dans la même zone. Ainsi, le fait que plusieurs mondes aient été récemment mis au jour dans ce système, pourrait donner lieu à bien d’autres découvertes étonnantes.
Ce nouvel objet n’a pas encore été formellement identifié ; les astronomes doivent confirmer le signal obtenu. Mais la présence de ce Neptune chaud, cinq à sept fois plus grande que la Terre, ne serait pas si insolite : les télescopes Kepler et TESS de la NASA, dédiés à la recherche d’exoplanètes, ont déjà permis de recenser bon nombre de ce type de mondes dans la Voie lactée. Cela dit, aucune autre planète n’a été directement observée auparavant dans cette région inondée de lumière stellaire.
Une cible d’observation unique « à portée de main »
Les détails de la découverte viennent d’être publiés dans la revue Nature Communications. Selon ses coordonnées, l’objet serait en orbite autour d’Alpha Centauri A, une étoile très similaire au Soleil, qui appartient à un système à trois étoiles : les deux étoiles principales, Alpha Centauri A et Alpha Centauri B, forment une étoile binaire, tandis que la naine rouge Alpha Centauri C (appelée aussi Proxima du Centaure) est beaucoup moins lumineuse. Le système se situe à un peu moins de 4,5 années-lumière du Soleil.
Parce que le système Alpha du Centaure est très proche du nôtre, il fait l’objet de nombreuses observations. « Alpha Centauri nous offre une opportunité magique, car il n’y a pas de meilleur endroit dans le ciel pour essayer d’imaginer directement de petites planètes potentiellement habitables », confirme Pete Klupar, co-auteur de l’étude. Les trois étoiles qui le composent sont scrutées de près par les astronomes ; deux exoplanètes ont d’ailleurs été repérées aux alentours de Proxima, dont l’une, découverte en 2019, probablement rocheuse et considérée comme une super-Terre (baptisée Proxima c), se trouve dans la zone habitable de l’étoile (soit à une distance suffisamment proche de Proxima pour générer des conditions favorables à l’apparition de la vie).
La découverte de cette potentielle exoplanète autour d’Alpha Centauri A provient de Breakthrough Watch, un consortium international de « chasseurs de planètes », qui vise à identifier et à caractériser les planètes rocheuses de la taille de la Terre autour d’Alpha Centauri et d’autres étoiles à moins de 20 années-lumière de la Terre. La découverte a été réalisée grâce au NEAR (New Earths in the AlphaCen Region), un instrument de recherche installé sur le Very Large Telescope de l’ESO.
Le signal qui a attiré l’attention des astronomes était noyé dans une centaine d’heures d’observations sur le VLT, réalisées au printemps 2019. Kevin Wagner, auteur principal de l’étude et chercheur à l’Université de l’Arizona, a repéré pour la première fois le signal typique d’une planète au-dessus du « bruit » instrumental de NEAR. L’équipe du Breakthrough Watch a estimé que la taille de cet objet était comprise entre celle de Neptune et celle de Saturne.
Mais les scientifiques ne sont pas encore certains qu’il s’agisse bien d’une planète. L’erreur s’est déjà produite par le passé : le signal d’une soi-disant planète orbitant autour d’Alpha Centauri B, détecté en 2012, n’était finalement que du bruit stellaire. Wagner confie qu’il aimerait bien qu’il s’agisse à nouveau d’une « fausse alerte ». En effet, la découverte d’une exoplanète en zone habitable est certes intéressante, mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’une planète de type Neptune chaud. Les astronomes espèrent en effet trouver une planète plus semblable à la Terre. Comme le souligne le spécialiste, la présence d’un Neptune chaud n’exclut pas nécessairement la présence d’une planète rocheuse plus petite, mais la zone de recherche se fait plus restreinte.
Le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’astronomie
Le signal détecté, relativement faible, semble provenir d’une source se situant en périphérie de la zone habitable d’Alpha Centauri A. Sans NEAR, sa détection aurait été impossible, car dans la lumière visible, la luminosité de l’étoile aurait complètement occulté celle de la planète ; dans l’infrarouge en revanche, l’étoile apparaît plus sombre et la planète plus brillante. NEAR, qui est un coronographe du moyen infrarouge, a été conçu pour cela : en basculant d’Alpha Centauri A à Alpha Centauri B tous les dixièmes de secondes, il supprime progressivement la lumière de ces étoiles et empile les images capturées pour accumuler et ainsi mettre en exergue toute lumière planétaire éventuelle, même très faible.
S’il ne s’agit pas d’une planète, la lumière pourrait provenir d’un objet de fond lointain, d’un amas de poussière chauffée par la lumière des étoiles ou d’une ceinture d’astéroïdes tournant autour d’une étoile, voire de photons parasites errants venant pulvériser les optiques sensibles de l’instrument. Wagner et ses collaborateurs ont déjà écarté la première possibilité (aucune étoile ou galaxie de fond connue ne pourrait expliquer ce signal), mais les autres options restent à l’étude.
Pour confirmer l’existence de cette potentielle planète, il aurait fallu l’observer quelques mois après la détection du signal : son mouvement orbital l’aurait alors forcément amenée à une autre position autour de l’étoile. L’équipe n’a malheureusement pu procéder à cette vérification, à cause de la crise sanitaire qui a mené à la fermeture de la quasi-totalité des observatoires astronomiques. Wagner a donc demandé un délai supplémentaire pour utiliser NEAR et poursuivre ses recherches.
Pour l’instant, NEAR est le seul coronographe sur Terre capable d’imager directement les mondes cachés d’Alpha Centauri. Le télescope spatial James-Webb de la NASA, dont le lancement est prévu fin octobre, devrait également être capable d’imager directement la planète candidate en une journée complète d’observation. Le télescope spatial infrarouge Nancy-Grace-Roman, qui doit être lancé vers 2025, pourra lui aussi prendre des photos de cette exoplanète et de bien d’autres découvertes à venir. Olivier Guyon, co-auteur de l’étude et président de Breakthrough Watch, se réjouit de ces avancées technologiques : « Nous ouvrons clairement une nouvelle ère dans l’histoire de l’astronomie, où après plus de 20 ans de dur labeur, nous pouvons enfin réaliser une imagerie directe de la zone habitable d’une autre étoile ».