Des scientifiques ont découvert la plus ancienne forêt du monde dans une carrière abandonnée près de Caire, un village du comté de Greene, à New York (États-Unis). Les roches, âgées de quelque 385 millions d’années, contiennent les racines fossilisées de dizaines d’arbres anciens.
Cette découverte met en lumière l’un des tournants de l’histoire de la Terre : tandis que ces arbres développaient leurs racines, ils ont aidé à extraire le dioxyde de carbone (CO2) de l’air et à l’emprisonner, modifiant de ce fait radicalement le climat de la planète et conduisant à l’atmosphère que nous connaissons aujourd’hui. « Le site de Caire est très spécial », affirme Christopher Berry, membre de l’équipe de recherche, paléobotaniste à l’Université de Cardiff, au Royaume-Uni.
Le sol de la carrière, qui fait environ la moitié de la taille d’un terrain de football, représente une tranche horizontale à travers le sol, juste en dessous de la surface de l’ancienne forêt. « Vous marchez littéralement à travers les racines des anciens arbres. Debout à la surface de la carrière, nous pouvons reconstruire la forêt qui nous entoure dans notre imagination », explique Berry.
C’était déjà en 2009 que Berry et ses collègues ont découvert ce site particulier. Depuis, ils analysent avec minutie les fossiles qu’il contient. Certaines des racines fossilisées ont un diamètre de 15 centimètres et forment des motifs radiaux horizontaux de 11 mètres de large, s’étendant depuis l’endroit où se trouvaient autrefois les troncs d’arbres.
Archaeopteris, « l’ancêtre » des arbres modernes
Selon les chercheurs, ces racines semblent appartenir à Archaeopteris, un type d’arbre à grandes racines et branches ligneuses avec des feuilles, qui est en quelque sorte lié aux arbres modernes. « Jusqu’à présent, les plus anciens fossiles d’Archaeopteris découverts n’avaient jamais plus de 365 millions d’années », explique Berry.
Les découvertes effectuées sur le site de Caire « suggèrent qu’Archaeopteris a évolué (pour ressembler davantage aux arbres d’aujourd’hui) environ 20 millions d’années plus tôt que ce que nous pensions auparavant » explique Patricia Gensel, paléobotaniste à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, qui n’était pas impliquée dans les travaux. « La taille de ces systèmes racinaires – cela change vraiment la donne… », continue-t-elle.
Un effet considérable sur l’ancien climat
Selon Kevin Boyce, géoscientifique à l’Université de Stanford à Palo Alto, en Californie, « les arbres comme ceux de Caire ont eu un grand effet sur l’ancien climat ». À savoir également que les racines profondes pénètrent et brisent les roches à l’intérieur et sous le sol. Les géologues appellent ce phénomène « l’altération » : il déclenche des réactions chimiques qui extraient le CO2 de l’atmosphère et le transforment en ions carbonates dans les eaux souterraines. Celui-ci finit par s’écouler dans la mer et y emprisonné sous forme de calcaire.
En partie en raison des intempéries et de ses effets d’entraînement, les taux de CO2 atmosphérique sont tombés à des niveaux dits modernes peu de temps après l’apparition des forêts ligneuses. Quelques dizaines de millions d’années auparavant, les taux étaient 10 à 15 fois plus élevés qu’aujourd’hui.
Certaines recherches suggèrent que l’élimination de tant de CO2 atmosphérique a conduit directement à une augmentation soutenue des niveaux d’oxygène, l’atmosphère contenant environ 35% d’oxygène il y a 300 millions d’années. Ceci, à son tour, peut avoir conduit à l’évolution d’insectes gigantesques à cette époque, certains avec des envergures de 70 centimètres, qui ont peut-être vécu dans ces forêts anciennes.
Les arbres qui ont poussé quelques dizaines de millions d’années après la forêt de Caire ont également eu un impact indirect sur le climat moderne. Précédemment, Berry a déjà écrit sur la manière dont les restes fossilisés de ces forêts ont formé le charbon qui a alimenté la révolution industrielle en Europe et en Amérique du Nord.
Et ce n’est pas la première fois que Berry et ses collègues explorent une forêt primitive. Il faut savoir qu’au 19e siècle, des chercheurs ont découvert une forêt fossile à Gilboa, à New York (soit à environ 40 kilomètres du site de Caire), contenant des spécimens vieux de 382 millions d’années.
Depuis 2010, Berry et ses collègues examinent la carrière se trouvant à Gilboa, qui conserve également des racines d’arbres anciens. Cependant, les racines de Gilboa appartiennent à des arbres plus primitifs, qui peuvent être liés aux fougères et aux prêles (et ces derniers ne produisaient pas de racines ligneuses profondes avec beaucoup de potentiel d’altération).
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Selon les chercheurs, cela signifie que les arbres qui ont poussé sur le site de Caire ont été les « innovateurs » de l’époque. « Les arbres ligneux avec des feuilles qui peuvent produire de l’ombre – et un gros système d’enracinement – sont fondamentalement modernes, ils n’existaient pas du tout auparavant », a expliqué Berry.
En effet, la période d’où proviennent ces arbres fossiles marque une transition entre une planète sans forêt et une planète largement couverte d’arbres par la suite.
Berry explique également qu’étudier ce site pourra nous permettre de mieux comprendre comment les arbres ont évolué au fil du temps et comment ils absorbaient le dioxyde de carbone de l’atmosphère. « Nous sommes bien conscients en ce moment que posséder des forêts est une bonne chose et que les brûler, ainsi que la déforestation, sont de mauvaises choses », déclare-t-il.
Selon le professeur Howard Falcon-Lang de la Royal Holloway, à Londres, le fait qu’il s’agisse de la première forêt fossilisée connue ne fait aucun doute. « Il se pourrait bien qu’à l’avenir, quelque chose d’encore plus ancien apparaisse – la paléontologie est pleine de surprises ! Mais pour le moment, c’est incroyablement excitant », a-t-il ajouté.