Des réactions nucléaires se multiplient dans une chambre inaccessible de Tchernobyl

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| Wikimedia Commons/Jorge Franganillo – CC BY-SA 2.0
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Les scientifiques chargés de surveiller les ruines de la centrale nucléaire de Tchernobyl ont remarqué que plusieurs réactions de fission se produisaient dans une chambre inaccessible de l’installation. La question est de savoir si le phénomène va se stabiliser de lui-même ou si ces réactions en chaîne vont devenir incontrôlables.

Suite à l’explosion de la centrale, survenue le 26 avril 1986, des tonnes de matière fissile se sont répandues dans toute l’installation ; la chaleur dégagée a fait fondre les parois du réacteur, formant des mélanges visqueux hautement radioactifs, une sorte de magma appelé « corium », qui s’est écoulé vers les étages inférieurs. C’est là que se trouve le sous-réacteur 305/2, une chambre complètement inaccessible depuis la catastrophe.

Il se trouve que depuis le début 2016, les niveaux d’émissions de neutrons dans cette chambre ont augmenté de près de 40% ! Une tendance qui suggère que des réactions de fission nucléaire sont en cours. Les chercheurs tentent à présent de déterminer si ces réactions vont finir par s’estomper — comme cela a déjà été observé en d’autres points de l’ancienne centrale — ou s’il est nécessaire d’intervenir pour éviter une émission incontrôlée de radiations.

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Une situation « préoccupante, mais pas alarmante »

Une nouvelle explosion n’entraînerait pas nécessairement une catastrophe de la même ampleur que celle de 1986, mais suffirait à fragiliser la structure du site, ouvrant la voie à de nouvelles fuites radioactives. Le professeur Neil Hyatt, chimiste expert en gestion des déchets nucléaires à l’Université de Sheffield, compare la situation à « des braises dans un barbecue ». « C’est un rappel pour nous que ce n’est pas un problème résolu, c’est un problème stabilisé », souligne-t-il.

D’où vient cette soudaine activité depuis 2016 ? L’explication pourrait se trouver dans la nouvelle enceinte qui a été bâtie au-dessus des ruines du réacteur cette année-là, une structure appelée « l’arche de Tchernobyl » : une charpente métallique en acier inoxydable, à haute teneur en nickel, construite autour du premier sarcophage de protection pour mieux isoler le site radioactif.

Lorsque l’uranium et le plutonium se désintègrent, ils émettent des neutrons ; ces derniers peuvent entraîner une réaction de fission s’ils sont capturés par d’autres noyaux radioactifs. Or, il se trouve que le sarcophage de béton et de plomb qui a été construit précipitamment au-dessus du réacteur dans les mois qui ont suivi l’accident était criblé de trous, ce qui permettait à l’eau de pluie de pénétrer à l’intérieur. Parce que l’eau ralentit ou modère les neutrons, augmentant ainsi leurs chances de percuter et de fendre les noyaux d’uranium, les fortes pluies pouvaient parfois faire grimper en flèche le nombre de neutrons.

Quelques années plus tard, des pulvérisateurs de nitrate de gadolinium — un élément doté d’une grande capacité d’absorption des neutrons — ont donc été installés sur le toit de l’abri. Mais le gadolinium ne pouvait pas atteindre les pièces en sous-sol, ensevelies sous le béton. La mise en place de la nouvelle structure en 2016, plus étanche, devait permettre de limiter les risques de réactions de fission. Effectivement, le nombre de neutrons s’est stabilisé ou a diminué dans la plupart des zones de l’ancienne centrale.

Mais le taux de neutrons a ensuite commencé à augmenter en certains endroits, notamment dans la chambre 305/2. Les modélisations des experts suggèrent qu’à mesure que le combustible s’assèche, les neutrons s’avèrent plus efficaces pour diviser les noyaux d’uranium — contrairement à ce qu’ils pensaient. « Ce sont des données crédibles et plausibles. On ne sait tout simplement pas quel pourrait être le mécanisme », explique Hyatt. Tandis que la quantité d’eau continue à diminuer, les scientifiques craignent que la réaction ne s’accélère de façon exponentielle. Pour Hyatt, la situation est « préoccupante mais pas alarmante ». Le spécialiste se veut rassurant : « Nous avons déjà vu des excursions comme celle-ci avec d’autres débris de carburant. Le taux de base des neutrons a augmenté, s’est stabilisé, puis a diminué. C’est évidemment ce que nous espérons qu’il se produira », a-t-il déclaré.

Une intervention complexe à prévoir

Ces réactions de fission auto-entretenues ne sont pas inédites : depuis l’accident de 1986, elles se produisent çà et là, au cœur du site, et sont surveillées de près par les scientifiques. Selon les estimations du professeur Hyatt et de ses collaborateurs, la quantité de matière fissile dans cette chambre 305/2 n’est pas assez importante pour libérer une grosse quantité d’énergie, une explosion est donc peu probable. Mais comme cette chambre est inaccessible, impossible de l’affirmer avec certitude. Si le taux de production de neutrons continue à augmenter, il sera peut-être nécessaire d’intervenir. Comment ? En accédant à cette chambre d’une manière ou d’une autre, afin d’y introduire une substance capable d’absorber l’excès de neutrons, ce qui permettrait d’étouffer les réactions de fission.

Le problème est d’autant plus difficile à évaluer et à gérer que les scientifiques disposent de peu de données. « Il reste beaucoup d’incertitudes, mais nous ne pouvons pas écarter la possibilité d’un accident », a averti Maxim Saveliev, chercheur à l’Institut pour les problèmes de sûreté des centrales nucléaires de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine. Il explique qu’une surveillance précise est difficile, car il n’y a pas de capteur de neutrons à proximité de la pièce en question. En outre, les scientifiques n’ont aucune idée du type de matériau qui se trouve entre leurs capteurs et le combustible fondu, ce qui empêche de connaître l’ampleur exacte du problème. « Nous n’avons que des hypothèses », déplore le chercheur.

Saveliev suggère d’utiliser des robots capables de résister au rayonnement pour se rapprocher le plus possible de la salle 305/2, afin d’y installer des capteurs de neutrons et de température et, si possible, prélever des échantillons du magma radioactif qui se trouve sur les lieux. Pour mettre fin aux réactions de fission, il faudrait ensuite installer un absorbeur de neutrons solide, tel que des cylindres de bore. Heureusement, selon Saveliev, le nombre de neutrons augmente lentement, ce qui laisse encore quelques années pour comprendre comment étouffer la menace.

Quelles que soient les mesures qui seront mises en place pour régler le problème, elles intéresseront très certainement les autorités japonaises, qui devront elles aussi faire face aux conséquences de l’accident de la centrale de Fukushima.

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