L’un des grands maux de la dernière décennie, favorisée par l’interconnexion numérique permanente des individus, est sans aucun doute la désinformation. De nos jours, les fausses allégations se faufilent telle une traînée de poudre à travers les réseaux sociaux à une vitesse impressionnante. La pandémie de COVID-19 a été une nouvelle occasion de constater à quel point il est aisé de faire circuler des propos infondés. Mais dans ce cas précis, de fausses informations peuvent mettre en péril des vies humaines…
Une récente enquête de la Gallup and Knight Foundation, menée outre-Atlantique auprès de plus de 20’000 personnes, a révélé que quatre Américains sur cinq considèrent que la diffusion en ligne de la désinformation est le plus gros problème auquel sont confrontés les médias. À savoir que cette enquête a été réalisée entre novembre 2019 et février 2020, soit avant l’apparition de la pandémie. Avec le coronavirus, le phénomène a encore pris de l’ampleur. Et malgré des preuves scientifiques accessibles à tous, les croyances ont la vie dure…
Mythe n°1 : la COVID-19 n’est rien d’autre qu’une bonne grippe
C’est l’un des premiers messages colportés par le président américain : « la COVID-19 n’est pas plus dangereuse que la grippe saisonnière ». Nous sommes fin février, alors que la bourse commence à s’effondrer. Pour rassurer la population, Donald Trump tente d’amenuiser la gravité de la situation. Mais pour les experts, les chiffres liés à la grippe et ceux du coronavirus ne peuvent tout bonnement pas être comparés. En effet, le nombre de décès annuels causés par la grippe n’est qu’une estimation.
Jeremy Samuel Faust, un médecin américain, explique dans un article que les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) établissent les statistiques de la grippe en multipliant le nombre de cas effectivement rapportés par divers coefficients reposant sur un nombre de cas, d’hospitalisations et de décès purement hypothétiques (qui n’auraient a priori pas été signalés…). Au final, les CDC se basent sur le fait que le nombre de décès dus à la grippe serait en moyenne six fois plus élevé que le nombre de morts effectivement confirmées. Certes, tous les décès n’entraînent pas un dépistage systématique de la grippe, mais l’écart est tout de même exagéré… À ce jour, pour la saison 2019-2020, le nombre de décès dus à la grippe est compris entre 24’000 et 62’000. La fourchette est large.
Ce même médecin souligne par ailleurs que ni lui, ni ses collègues, ne se souviennent avoir observé une telle hécatombe due à la grippe au cours de leur carrière. Au cours des six dernières saisons grippales, le nombre de décès par grippe confirmés par les CDC (donc comptabilisés de la même manière que l’on recense aujourd’hui les décès dus au coronavirus) a varié de 3448 à 15’620, ce qui est bien inférieur aux chiffres communiqués !
En comparant le nombre de personnes décédées aux États-Unis de la COVID-19 au cours de la deuxième semaine d’avril au nombre de personnes décédées de la grippe au cours de la pire semaine des sept dernières saisons grippales, il apparaît que le nouveau coronavirus a tué entre 9,5 et 44 fois plus de personnes que la grippe saisonnière. Selon l’OMS, au 20 août, les États-Unis comptaient 170’640 décès dus au SARS-CoV-2.
Mythe n°2 : le mouvement Black Lives Matter a entraîné une augmentation du nombre de cas
Fin mai, la mort de George Floyd — qui avait succombé après avoir été violemment interpellé par quatre policiers américains — a engendré plusieurs émeutes et manifestations (et pas seulement aux États-Unis) pour dénoncer les violences policières envers la population noire. Le mouvement Black Lives Matter, initié par la communauté afro-américaine en 2013, a largement contribué à ces manifestations partout dans le monde. Certaines personnalités politiques, à l’instar de Jim Jordan — un républicain proche de Trump — ont sauté sur l’occasion pour ternir l’image de ce mouvement, arguant qu’un tel rassemblement de masse ne faisait que favoriser la transmission du virus.
Oui, c’est vrai, les rassemblements peuvent augmenter le risque de transmission. Toutefois, les manifestations de mai-juin ont eu lieu en extérieur, ce qui minimise les risques, et de nombreux participants portaient un masque. En outre, le Wall Street Journal rapporte que de récents tests de dépistage montrent que ces mouvements contre les injustices raciales n’ont eu aucun impact notable sur le nombre de malades : selon le département de la santé de l’État du Minnesota, 1,8% des résultats des tests sont revenus positifs parmi 3200 manifestants testés. 8500 manifestants ont été testés par d’autres organismes : le taux de positivité avoisine les 1%. La relation de cause à effet est donc loin d’être évidente.
Mythe n°3 : les élites propagent intentionnellement le virus pour faire du profit
En ligne de mire : Anthony Fauci, immunologue et directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses et conseiller spécial de la Maison-Blanche. Judy Mikovits — virologue, déjà connue pour ses théories du complot en matière de vaccination et opposée au port du masque — affirme que l’homme a intentionnellement usé de son pouvoir pour propager le virus et tirer profit de la maladie. Elle livre sa théorie dans une vidéo intitulée Plandemic. Elle y raconte avoir été harcelée, puis exclue de la communauté scientifique après avoir découvert les preuves d’un complot entourant le coronavirus.
Selon elle, la pandémie aurait été orchestrée par Anthony Fauci lui-même, pour imposer la vaccination obligatoire et enrichir les futurs créateurs du vaccin anti-COVID-19. Or, comme déjà expliqué dans l’un de nos articles, la vidéo regorge de mensonges en tous genres. Elle déclare par exemple que le port du masque provoque la contamination. Mikovits va même jusqu’à expliquer qu’elle aurait travaillé à rendre le virus Ebola mortel dans un laboratoire de l’armée américaine.
La vidéo est malheureusement rapidement devenue virale : elle a été commentée et partagée près de 2,5 millions de fois sur Facebook en deux semaines, selon le New York Times. Largement relayée par les anti-vaccins, sa popularité a dépassé de loin d’autres vidéos récentes particulièrement virales : plus de 7 millions de vues sur YouTube. Les grandes plateformes ont rapidement supprimé cette vidéo, du fait qu’elle incitait clairement les gens à ne pas respecter les gestes barrières.
Mythe n°4 : le port du masque est inutile
On sait aujourd’hui que le port du masque est indispensable pour limiter les risques de contamination. Dans les lieux clos, mais aussi en extérieur, lorsqu’il n’est pas possible de maintenir une distance avec les autres personnes. Pour une protection optimale, tout le monde doit en porter, car c’est son entourage que l’on protège. « Je te protège, tu me protèges », le message relayé par les autorités de santé est clair. Pourtant, de nombreuses personnes sont encore aujourd’hui récalcitrantes. Pour preuve les nombreuses agressions verbales et physiques relatées par les médias, déclenchées par des individus en position de refus.
Certes, lorsque la pandémie a atteint l’Occident, les consignes émanant des autorités de santé publique étaient confuses. Un geste d’abord jugé « inutile », « vain », puis « conseillé », « vivement recommandé », pour finalement devenir obligatoire. De nombreuses études sont en effet rapidement arrivées à la conclusion que le masque facial limitait la contamination en retenant les gouttelettes exhalées par son porteur.
Les hésitations du début étaient dues en réalité à une pénurie de masques N95, un masque chirurgical haute protection, équipé d’un filtre, à l’instar du FFP2, son homologue européen. Aujourd’hui, on sait que même les masques basiques, en tissu, offrent une alternative efficace.
Mythe n°5 : obtenir l’immunité collective en laissant le virus se propager librement
L’immunité collective désigne le cas où, au sein d’une population, un nombre suffisant d’individus sont immunisés contre un agent pathogène pour pouvoir enrayer une épidémie. Plus le taux de personnes immunisées augmente, plus le risque pour une personne non immunisée de rencontrer un malade (et d’être contaminée à son tour) diminue. C’est le pari qu’a fait la Suède (et le Royaume-Uni, dans une moindre mesure).
Sur le même sujet : Comment les théories du complot émergent et s’effondrent-elles ?
Dès le départ, la Suède a refusé d’appliquer la moindre restriction. Pas de confinement, pas de distanciation, pas de fermeture des établissements scolaires, pas de masques, pas de gel hydroalcoolique à l’entrée des commerces, etc. Une bonne stratégie ? Pas vraiment. La Suède compte à ce jour environ 570 décès dus à la COVID-19 pour un million d’habitants (contre 460 en France). Le royaume suédois se place ainsi au 7e rang mondial en matière de mortalité.
Les experts estiment que 60 à 70% de la population devraient contracter la COVID-19 pour obtenir une immunité collective. Mais étant donné le taux de mortalité affiché par la maladie, ce scénario entraînerait des millions de décès. Aujourd’hui, les dirigeants suédois ont quelque peu revu leur position et prônent la distanciation et le télétravail. En revanche, le port du masque n’y est toujours pas recommandé, même pas dans les transports en commun ; un choix partagé par la Norvège, la Finlande et le Danemark jusqu’à il y a peu, mais face à une recrudescence de cas, ces pays imposent désormais le masque dans les transports collectifs.
Voilà donc un échantillon des nombreux mythes qui entourent la pandémie de coronavirus actuellement. Bien d’autres circulent sur la Toile au sujet de l’origine du SARS-CoV-2, des différents traitements, des vaccins potentiels, etc. Et il y a fort à parier que l’imagination des complotistes continue d’alimenter régulièrement les réseaux sociaux…