Deux horloges atomiques intriquées pour la première fois

intrication horloges atomiques
Horloge atomique expérimentale du JILA, basée sur des atomes de strontium. | National Institute of Standards and Technology (NIST)
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Les horloges atomiques optiques sont les outils les plus précis qui soient pour mesurer le temps et la fréquence. C’est sur elles que repose le maintien du temps atomique international (TAI) et par extension, le temps universel coordonné (UTC). La synchronisation de deux de ces horloges permet de sonder la variation spatio-temporelle des constantes fondamentales, mais la manœuvre manque de précision de par les perturbations engendrées par les mesures. Des physiciens de l’Université d’Oxford ont trouvé le moyen de contourner cette difficulté via l’intrication quantique.

La précision d’une horloge atomique tient au fait qu’elle repose sur la fréquence de résonance des atomes — la fréquence du rayonnement électromagnétique émis par un électron lorsqu’il passe d’un niveau d’énergie à un autre — qui est par définition immuable. Les vibrations atomiques sont en effet les événements périodiques les plus stables que les scientifiques puissent observer. Leur fréquence est mesurée très précisément au moyen de lasers. Ainsi, la seconde est historiquement définie comme la durée exacte de 9 192 631 770 oscillations de la transition entre les niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133.

Encore plus précises, les horloges atomiques optiques, développées dans les années 2000, sont basées sur des atomes dont les transitions énergétiques s’effectuent à des fréquences optiques (aluminium, strontium, mercure, etc.). La seconde devrait d’ailleurs être redéfinie selon ces horloges lorsqu’elles arriveront à maturité. Des méthodes permettant de comparer de manière fiable et précise différentes horloges optiques à travers le monde doivent auparavant être démontrées. La tâche est particulièrement difficile, car leur mesure provoque des perturbations. Des chercheurs ont donc entrepris d’enchevêtrer deux horloges atomiques optiques pour n’avoir à effectuer qu’une seule mesure.

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L’incertitude de mesure réduite d’un facteur deux

Pour rappel, l’intrication (ou enchevêtrement) quantique de deux systèmes implique que tout changement dans l’un affecte instantanément l’autre. Ce lien intrinsèque est donc susceptible de faciliter la synchronisation des horloges. « Les mesures sur des systèmes indépendants sont limitées par la limite quantique standard ; les mesures sur des systèmes intriqués peuvent dépasser la limite quantique standard pour atteindre la précision ultime permise par la théorie quantique – la limite d’Heisenberg », expliquent les chercheurs dans Nature.

Des expériences d’intrication locale, à des distances microscopiques, avaient d’ores et déjà démontré que l’approche permettait de réduire les incertitudes de mesure et d’augmenter ainsi la précision des horloges atomiques optiques. En 2020, des scientifiques du MIT ont développé une horloge mesurant les oscillations d’atomes intriqués (environ 350 atomes d’ytterbium). Un premier laser a servi à intriquer quantiquement les atomes, puis un second laser a permis de mesurer leur fréquence moyenne. Ils ont ainsi atteint la même précision qu’une horloge à atomes non intriqués, mais quatre fois plus rapidement !

Dans cette nouvelle expérience, l’équipe a utilisé, non pas une, mais deux horloges atomiques, chacune fabriquée à l’aide d’un seul ion de strontium (88Sr+), distantes de deux mètres. À l’aide d’un laser, ils ont excité les ions strontium de sorte qu’ils émettent une lumière bleue. Celle-ci a ensuite été dirigée via une fibre optique dans un analyseur d’états de Bell — qui désignent les états d’intrication quantique maximale de deux particules ; les deux ions étaient donc enchevêtrés via un lien photonique.

schéma expérience intrication horloges atomiques
Le réseau comprend deux systèmes d’ions piégés, Alice et Bob, séparés de 2 mètres, chacun contenant un seul ion 88Sr+. Un lien photonique permet de générer une intrication à distance. © B. Nichol et al.

Dès lors, la mesure d’une horloge a immédiatement permis d’accéder à la mesure de l’autre. Pour les comparaisons de fréquence entre les ions, les chercheurs rapportent une incertitude d’environ 7% (contre 28% dans le cas où les horloges ne sont pas intriquées). « Nous constatons que l’enchevêtrement réduit l’incertitude de mesure de près de √2, la valeur prévue pour la limite de Heisenberg », écrivent les chercheurs. Selon les lois de la physique quantique, il est impossible de mesurer la fréquence d’horloge avec une précision parfaite, mais cette expérience montre qu’il est possible de s’en rapprocher.

Une extrême précision qui pourrait aider à résoudre de nombreux mystères de la physique

Les horloges optiques actuelles sont généralement limitées par le déphasage du laser de la sonde. Dans cette expérience, l’intrication a permis de réduire l’incertitude de mesure d’un facteur 2 par rapport aux techniques classiques de spectroscopie par corrélation, soulignent les chercheurs.

« Ce réseau à deux nœuds pourrait être étendu à d’autres nœuds, à d’autres espèces de particules piégées ou, par le biais d’opérations locales, à des systèmes intriqués plus importants », ajoutent-ils. Ils évoquent notamment la possibilité de choisir un ion dont la transition présente une sensibilité réduite au champ magnétique, une largeur de raie plus étroite ou une sensibilité accrue aux constantes fondamentales. Par ailleurs, l’utilisation d’opérations locales pour augmenter le nombre d’ions intriqués dans chaque nœud pourrait réduire davantage l’incertitude de mesure pour les comparaisons de fréquence.

Si cette expérience peut être répétée avec des horloges plus éloignées les unes des autres, par exemple dans deux laboratoires distincts, ou avec davantage d’horloges, elle pourrait véritablement faire progresser les études sur la matière noire ou sur les ondes gravitationnelles. En effet, un déplacement de matière noire entre les deux horloges intriquées, ou de minimes changements dans la force de gravité, induiraient immédiatement une différence entre leurs fréquences de « tic-tac ».

Source : B. Nichol et al., Nature

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