Une enquête australienne révèle l’ampleur de la censure scientifique

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Une grande enquête menée il y a deux ans auprès de spécialistes de l’environnement et de l’écologie révèle que de nombreux chercheurs n’ont pas le droit de parler de leur travail. En outre, plusieurs des répondants déclarent avoir vu leurs résultats modifiés pour minimiser l’impact de certaines activités industrielles sur l’environnement.

Ainsi, les spécialistes australiens de l’environnement avouent qu’ils subissent de plus en plus de pression de la part de leurs employeurs. Plus de la moitié des répondants à l’enquête estiment que s’exprimer publiquement sur certains sujets s’avère de plus en plus compliqué, notamment sur des questions concernant les espèces menacées, le changement climatique ou encore l’exploitation minière et forestière.

Critiqués, menacés et harcelés pour leurs recherches

Les résultats de l’enquête australienne viennent d’être publiés dans la revue Conservation Letters (dans laquelle sont publiées des études sur la conservation de la biodiversité). On y découvre à quel point les enjeux politiques influencent aujourd’hui la nature et la véracité des données scientifiques qui sont communiquées au public. « Nous avons besoin que nos institutions, financées par des fonds publics, défendent davantage l’importance d’une voix indépendante fondée sur la recherche », se désole Saul Cunningham, un spécialiste de l’environnement à l’Université nationale australienne de Canberra.

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Deux-cent-vingt scientifiques ont répondu à cette enquête menée par l’Ecological Society of Australia, entre octobre 2018 et février 2019. Elle était destinée aux écologistes, aux scientifiques de la conservation, aux décideurs en matière de conservation et aux consultants en environnement. Certains d’entre eux travaillaient pour le gouvernement (36%), d’autres dans des universités (40%) et dans l’industrie (21%) ; les 3% restants n’ont pu être classifiés.

Les chiffres révèlent que les employés du gouvernement et de l’industrie subissent globalement de plus fortes pressions que leurs confrères universitaires. Par exemple, un tiers des répondants gouvernementaux et 30% des employés de l’industrie (vs. 5% côté universitaire) ont indiqué que leurs employeurs avaient modifié leur travail, pour minimiser ou induire le public en erreur sur les impacts environnementaux d’activités telles que l’exploitation forestière et minière.

Lorsque le gouvernement est l’employeur, ces modifications concernent surtout les données diffusées en interne ou par les médias, mais aussi les informations communiquées lors de conférences ou publiées dans les revues scientifiques. Par conséquent, la population demeure mal informée sur des sujets fondamentaux, tels que la disparition des espèces, un thème pour lequel « le public reste souvent dans l’ignorance de l’état réel et des tendances » souligne un répondant à l’enquête.

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Près d’un quart des répondants à l’enquête déclarent avoir été contraints d’apporter des modifications pour minimiser ou masquer les impacts environnementaux. Un tiers n’ont pas été autorisés à parler publiquement de leurs recherches. Crédits : Driscoll et al.

En outre, près de la moitié (52%) des scientifiques employés par le gouvernement se sont vu interdire de parler publiquement de leurs recherches, contre 38% des employés de l’industrie et 9% du personnel universitaire. Les communications via les médias traditionnels (40%) et sociaux (25%) étaient les types de communication les plus fréquemment signalés et interdits dans tous les lieux de travail. Pire : Saul Cunningham déclare que certains de ses confrères reçoivent des menaces de violence physique s’ils envisagent de s’exprimer !

Un peu moins de la moitié des répondants au sondage ont déclaré avoir été harcelés ou critiqués pour avoir pris la parole. Depuis, l’Ecological Society of Australia a mis en place un portail en ligne où chacun peut signaler un cas de suppression/modification de données de manière anonyme.

Vers plus de transparence et d’intégrité

Les conséquences d’une pareille censure ? Non seulement le public demeure dans l’ignorance, mais ces modifications indues nuisent à la prise de décision. En effet, pour les questions controversées, telles que les impacts environnementaux de l’exploitation minière ou de la déforestation, « l’information ne parvient pas directement aux décideurs » souligne l’écologiste Don Driscoll, qui a dirigé l’enquête. Les lobbies continuent de dominer les débats publics et les gens sont induits en erreur.

La pression est si importante que 75% des personnes interrogées ont déclaré avoir « auto-censuré » leur travail ! En effet, ces personnes reconnaissent s’être abstenues de contribuer à l’information ou au débat public (le plus souvent dans les médias traditionnels ou les médias sociaux), malgré l’opportunité évidente de le faire.

Et le phénomène ne concerne pas que l’Australie ! Aux États-Unis, au Canada et au Brésil, des faits similaires ont déjà été signalés ; dans ces pays aussi, des membres du gouvernement interviennent pour minimiser les résultats des recherches scientifiques. Une enquête menée en 2013 auprès de plus de 4000 scientifiques du gouvernement canadien a révélé que 90% des scientifiques fédéraux pensaient ne pas pouvoir parler librement de leur travail dans les médias. De plus, près d’un quart des informations destinées aux médias étaient modifiées ou exclues pour des raisons non scientifiques.

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Pour plus de transparence et pour stopper l’ingérence des employeurs, la solution, selon Driscoll, consisterait à créer une commission indépendante pour toutes les questions d’environnement. L’entité aurait un rôle de conseiller politique et garantirait le financement des recherches. Le commissaire devra bénéficier d’une inamovibilité, de manière à ce qu’il ne puisse pas être évincé à chaque nouvelle élection (un fait qui s’est malheureusement déjà produit par le passé, en 2013, lorsqu’un gouvernement conservateur nouvellement élu a dissous une commission sur le climat).

À titre d’exemple, depuis 1986, la Nouvelle-Zélande dispose d’un commissaire parlementaire indépendant chargé de fournir au Parlement des rapports et des conseils sur les questions environnementales. De même, Driscoll aimerait que son pays s’inspire du gouvernement canadien, qui en 2018 a adopté une politique d’intégrité scientifique au sein de la fonction publique : les ministères qui emploient des scientifiques doivent s’assurer d’une part que la communication est exempte d’interférence politique ou commerciale, et d’autre part que l’information est mise à la disposition du public en temps opportun.

Driscoll et ses collaborateurs rappellent que le changement climatique et la perte de la biodiversité font partie des plus grands défis auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui. Or, notre capacité à relever ces défis dépendra, en partie, du libre accès aux connaissances scientifiques.

Source : Conservation Letters, Driscoll et al.

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