Après deux mois de confinement, les pays entament progressivement un retour « à la normale » et ouvrent peu à peu leurs frontières. Les gestes barrières demeurent de mise bien sûr, mais on sent que la peur et l’angoisse se sont dissipées. La perspective de profiter des congés estivaux y est sûrement pour quelque chose. Malgré cette vague d’optimisme, certains s’accordent à dire que le pire n’est pas derrière nous : la pandémie a eu un impact économique sans précédent au niveau mondial, et il se pourrait bien que certains en fassent les frais dès cet automne…
Aux États-Unis par exemple – pays qui compte le plus grand nombre de décès dus au coronavirus ; environ 115’000 selon le dernier bilan de l’OMS – près de la moitié des ménages à faible revenu ont accusé une baisse de salaire voire une perte d’emploi au sein de leur foyer. Au total, plus de 40 millions de personnes ont perdu leur emploi, le taux de chômage a bondi à 14,7%, du jamais vu depuis la Grande Dépression. L’économie américaine est au plus mal et selon les spécialistes, devrait véritablement s’effondrer à compter du mois d’août.
Une bombe à retardement ?
Si la plus grande puissance mondiale a tenu le coup jusqu’à présent, c’est grâce aux mesures temporaires mises en place pour soutenir les plus vulnérables. Ainsi, les expulsions ont été interdites dans plusieurs États (en France, la trêve hivernale qui aurait dû s’achever au 31 mars s’est elle aussi trouvée prolongée jusqu’en juillet) et les remboursements des prêts étudiants détenus par le gouvernement fédéral ont été suspendus jusqu’au 30 septembre (c’est l’une des dépenses mensuelles les plus importantes et les plus courantes outre-Atlantique). De même, les banques américaines ont accordé une pause de six mois à leurs clients pour leurs versements hypothécaires.
Le gouvernement américain a investi plus de 159 millions de dollars pour soutenir ses citoyens ; les aides pouvaient atteindre 1200 $ par adulte et plus de 20 millions de chômeurs ont pu recevoir 600 $ par semaine en prestations fédérales. Résultat ? Au mois d’avril, le pays enregistrait la plus forte augmentation mensuelle du revenu des ménages : +10,5 %, du jamais vu selon Bloomberg. Mais aucun moyen d’effectuer des dépenses à ce moment-là : commerces, restaurants, parcs à thème et autres zones de loisirs, comme presque partout dans le monde, ont gardé portes closes. Par conséquent, les Américains se sont mis à épargner massivement cet argent qu’ils ne pouvaient dépenser : le taux d’épargne national a atteint 33 %, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré !
Même schéma en France : en avril, la collecte du livret A a connu un niveau record frôlant les 5,5 milliards d’euros, soit trois fois plus que l’an passé à la même période ! Un chiffre dû à l’inquiétude des Français face à l’avenir, combinée à l’impossibilité temporaire de consommer…
Malheureusement, les mesures exceptionnelles qui ont permis aux Américains de tenir le coup pendant la crise vont arriver à leur fin. Et le chômage, quant à lui, ne va pas disparaître d’un claquement de doigts. Dès le mois d’août, les aides de l’État arrivant à terme, des dizaines de millions de ménages vont voir leurs revenus chuter d’un seul coup, alors même que les procédures d’expulsion et de saisie vont reprendre leur cours. En juin déjà, 30 % des locataires américains n’ont pas pu payer leur loyer malgré les aides qui leur ont été accordées.
Les chômeurs qui bénéficiaient d’une aide substantielle chaque semaine vont devoir s’en passer à compter du mois d’août, les paiements des prêts étudiants recommenceront dès octobre et les quelque 4 millions de propriétaires qui ont profité d’une pause dans le remboursement de leur prêt hypothécaire vont devoir reprendre leurs paiements fin octobre… Un constat qui fait froid dans le dos. Le gouvernement fédéral lui-même prévoit que le taux de chômage demeurera élevé jusque fin 2021 !
Une « omnicrise » qui doit vite être résorbée
Aux États-Unis comme ailleurs, le vrai retour à la normale n’est donc pas pour demain. Tous les pays ont subi des vagues de licenciements massifs et seul le retour des consommateurs, à un niveau standard, permettra de stimuler les embauches dans des secteurs comme le tourisme, l’hôtellerie et la restauration, la culture et les loisirs.
Autre conséquence du confinement : de nombreux employeurs profitent de cette pause forcée pour restructurer toute leur organisation et leur main-d’œuvre, l’opportunité pour eux de supprimer des emplois de façon définitive, de délocaliser, d’externaliser, etc. Ainsi, si de nombreux licenciés américains espèrent récupérer rapidement leur ancien poste, un article du Washington Post révélait le mois dernier que plus de 40 % des pertes d’emplois observées aux États-Unis pourraient en réalité être permanentes ! Or, les économistes affirment que la meilleure chance de réussite, pour toute forme de reprise, est de ramener autant de travailleurs que possible à leurs anciens emplois.
Dans l’Hexagone, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A a augmenté de 7% en un mois, dès le début du confinement : +246’100 inscrits supplémentaires à Pole Emploi au mois de mars. Fin avril, la ministre du Travail déclarait que 11,3 millions de Français bénéficiaient du chômage partiel, un dispositif qui n’a pour le moment pas pris fin, mais qui a été notablement réduit au 1er juin. Les jeunes surdiplômés, de leur côté, peinent à trouver un emploi. Et impossible d’envisager un poste à l’étranger pour le moment…
Malgré la reprise progressive des activités, la Banque de France prédit un taux de chômage de plus de 11 % d’ici mi-2021, qui ne devrait redescendre sous la barre des 10 % qu’en 2022. Selon ces prévisions, le PIB français ne retrouverait son niveau initial que vers la mi-2022. Des estimations qui se basent sur un scénario dans lequel l’épidémie demeurerait sous contrôle ces prochains mois, ce qui n’est pas garanti encore à ce jour…
Outre-Atlantique, parallèlement à cette crise économique et sanitaire, les mouvements de protestation nationale ne faiblissent pas. Le peuple se méfie du gouvernement, le président n’a jamais été aussi impopulaire, alors que les élections présidentielles se rapprochent. Les États-Unis se sont désolidarisés de l‘Organisation mondiale de la santé et les tensions à l’encontre de la Chine sont à leur apogée.
L’ensemble de ces indicateurs caractérisent une « omni-crise » selon le terme d’Adam Elkus, chercheur en sciences sociales computationnelles, qui analyse cette situation sans précédent et les changements sociaux qui en découlent, dans un article relativement pessimiste : « L’omnicrise se prolonge parce qu’il y a peu de volonté ou de capacité de la part des autorités à résoudre la confusion engendrée par les perturbations prolongées. Leurs actions sont souvent au mieux négligentes ou irresponsables. Au pire, elles sont délibérément malveillantes et haineuses », conclut-il. Selon lui, la crise a considérablement élargi l’espace des possibles pour la plupart des Américains et « plus l’omnicrise se prolonge, plus la fenêtre permettant de s’en échapper sans dommage substantiel sera étroite ».
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Et si nous devions subir une nouvelle vague épidémique cet automne ? Un nouveau confinement strict, alors même que l’économie est fragilisée et se remet tout doucement sur pieds ? Les conséquences seraient désastreuses. Seule une solution thérapeutique efficace et pérenne pourrait remettre l’économie mondiale sur les rails de façon définitive.