Une étude révèle comment un fœtus a pu être préservé dans un corps momifié (en « marinant »)

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Rendu volumétrique du fœtus à partir des données CT-scan. | W. Ejsmond et al.
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En avril 2021, une équipe de chercheurs de l’Institut des cultures méditerranéennes et orientales de l’Académie polonaise des sciences rapportait le premier cas connu d’une momie égyptienne enceinte. Ce corps momifié a été découvert à Thèbes et date du 1er siècle avant notre ère. L’hypothèse de la présence du fœtus a rapidement été mise en doute, mais les chercheurs apportent aujourd’hui de nouvelles preuves confirmant que la momie était bel et bien enceinte et décrivent les conditions qui ont permis au fœtus de rester intact au fil du temps.

Sahar Saleem, radiologue à l’Université du Caire, restait sceptique face à cette découverte, arguant que les scans de la momie ne révélaient aucun os au niveau de la cavité pelvienne ; l’hypothèse du fœtus n’était dès lors pas concluante. « Nous pensons qu’il n’est pas possible d’identifier avec certitude l’objet pelvien en question comme un fœtus […] Nous encourageons Ejsmond et al. à réviser ou refaire la tomodensitométrie de la momie avec le protocole approprié », a-t-elle écrit dans le Journal of Archaeological Science, en réponse à la publication relatant la découverte. Elle suggérait alors que le soi-disant fœtus ne soit en réalité qu’une « tumeur pelvienne calcifiée ».

De nouvelles preuves collectées par l’équipe de recherche viennent cependant corroborer l’hypothèse initiale. Si le fœtus a pu rester intact, c’est notamment parce qu’il a « mariné » dans la cavité pelvienne : du fait de la momification, il a été plongé dans un environnement plus acide et hermétiquement fermé à l’oxygène. L’acidification a entraîné la déminéralisation des os de l’enfant à naître, qui ne pouvaient donc pas être détectés par tomodensitométrie. « Il pourrait y avoir d’autres cas de ce type dans les collections des musées du monde entier. Il est nécessaire d’examiner ce à quoi les chercheurs n’ont pas prêté attention jusqu’à présent », souligne l’équipe sur le blog du projet Warsaw Mummy.

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Des os dissous dans un « bain » d’acide

Il est fréquent que les os fœtaux, qui sont très peu minéralisés au cours des deux premiers trimestres de grossesse, soient difficiles à détecter de prime abord, après que le corps de la mère a subi un processus d’embaumement. « Ce processus de déminéralisation osseuse dans un environnement acide peut être comparé à une expérience avec un œuf. Imaginez que vous mettiez un œuf dans un pot rempli d’acide. La coquille se dissout, ne laissant que l’intérieur de l’œuf (albumen et jaune) », expliquent les chercheurs. De la même façon, les corps retrouvés dans les tourbières, qui sont des environnements très acides, n’ont parfois plus d’os.

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Tomodensitométrie du fœtus in utero. A indique la tête, B indique la main. © W. Ejsmond et al.

Avec le temps, le pH du sang des cadavres — y compris le contenu de l’utérus — chute (il devient plus acide), tandis que les concentrations d’ammoniac et d’acide formique augmentent. Parallèlement, le processus d’embaumement subi par la mère, réalisé avec du natron — un mélange de sels destiné à assécher et désinfecter le corps — a limité la pénétration de l’air et de l’oxygène ; l’utérus était ainsi presque hermétiquement fermé, le fœtus baignant dans un liquide acide.

Par conséquent, le fœtus et sa mère ont été momifiés différemment. Le corps de la mère s’est asséché et pendant ce laps de temps, les minéraux des os du fœtus — qui étaient dissous dans le liquide amniotique — se sont déposés dans les tissus mous de l’utérus, dont la forme a été préservée. Résultat : le fœtus et l’utérus apparaissent hautement minéralisés lors des examens, alors qu’aucun os n’est visible sur les images radiographiques et tomographiques. « Lorsque les radiologues examinent des momies, ils recherchent généralement des os. Nos recherches montrent qu’il est plus important d’étudier la forme des tissus mous dans la région pelvienne », notent les chercheurs.

Un nouvel aspect des coutumes funéraires égyptiennes

De précédentes analyses avaient révélé que la femme momifiée avait entre 20 et 30 ans lorsqu’elle est décédée ; elle en était vraisemblablement à entre 26 et 30 semaines de grossesse. Selon le Dr Katarzyna Jaroszewska, gynécologue-obstétricienne et co-auteure de l’article, le canal de naissance de la défunte n’était pas ouvert, ce qui signifie que la cause de son décès n’était pas liée à l’accouchement et à ses complications. Cette conclusion est d’ailleurs corroborée par la position du fœtus.

L’identité de cette femme, baptisée The Mysterious Lady, tout comme les causes de sa mort demeurent inconnues à ce jour. Les archéologues tentent également de déterminer pourquoi le fœtus a été laissé dans l’utérus de cette femme alors que d’autres organes internes ont été retirés — conformément à la pratique de la momification dans l’Égypte antique. « Peut-être que cela avait quelque chose à voir avec les croyances et la renaissance dans l’au-delà », a déclaré à Science in Poland Marzena Ożarek-Szilke, archéologue à l’Université de Varsovie et co-auteure de l’étude. La découverte d’autres momies enceintes permettra peut-être de résoudre ce mystère.

Comme le soulignent les chercheurs dans leur étude publiée en 2021, cette momie offre de nouvelles possibilités pour les études de grossesse dans les temps anciens. De plus, elle met en lumière un aspect non étudié des anciennes coutumes funéraires de l’Égypte antique et des interprétations de la grossesse dans le contexte de la religion égyptienne ancienne.

Source : W. Ejsmond et al., Journal of Archaeological Science

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