Presque quiconque a déjà vécu un lendemain de fête bien trop arrosé. Le réveil est accompagné de nombreux désagréments et inconforts, qui nous suivent une bonne partie de la journée. Nausées, maux de tête et d’estomac sont les symptômes les plus courants de la gueule de bois, ou « veisalgie » pour le terme médical. Il n’en reste pas moins que la seule assurance valable, afin de ne pas risquer de se retrouver dans cette situation inconfortable, est de maîtriser sa consommation d’alcool. Néanmoins, si l’on dépasse les limites « raisonnables », comment estomper voire éviter les désagréments associés, le lendemain ? Que se passe-t-il dans notre corps lors d’une consommation excessive d’alcool ? Pourrons-nous un jour y remédier médicalement ?
La gueule de bois n’est ni plus ni moins qu’une intoxication aiguë à l’alcool, notre corps a été « empoisonné » par l’alcool. Veisalgie est le nom savant pour la gueule de bois : du norvégien kveis, qui signifie « inconfort succédant à la débauche » et du grec algia (douleur). Elle regroupe une multitude de causes et d’effets, rendant difficile la recherche du remède miracle. Sans compter que la réaction de chacun diffère face à une consommation excessive d’alcool. La réponse varie fortement en fonction des facteurs intrinsèques (qui dépendent de l’individu), des facteurs environnementaux et temporels.
Malgré l’omniprésence de l’alcool dans certaines cultures, et ce depuis de nombreux siècles, les recherches sur la gueule de bois ne sont réellement effectives que depuis le début des années 2000. C’est pourquoi les connaissances sur le sujet restent assez floues, les mécanismes de cette intoxication aiguë d’alcool restant peu compris.
Pourquoi souffre-t-on de la gueule de bois ?
D’abord, revenons sur ce qui déclenche cette sensation d’inconfort les lendemains de soirée trop arrosée. À travers la littérature scientifique actuelle, plusieurs types d’explications ressortent, même si aucune d’elles ne peut expliquer totalement cet état d’après fête, et sa persistance après l’élimination de l’alcool du corps. En effet, le point culminant de la gueule de bois se fait ressentir lorsque l’alcoolémie dans le sang est à 0g/L. La consommation excessive d’alcool agresse à peu près toutes les parties du corps et les organes attaqués sont poussés à se défendre.
L’une des principales causes avancées, en tant qu’explication de la gueule de bois, est la déshydratation induite par l’alcool. Cette substance est diurétique, comme le souligne une publication récente de l’Université Harvard. Il faut préciser qu’en moyenne, quatre verres d’alcool font perdre près d’un litre d’eau. Lorsqu’il est déshydraté, le corps puise de l’eau dans certains organes, dont le cerveau. On observe alors une atrophie du cerveau ainsi qu’une réduction de la taille des méninges (enveloppes protectrices entourant le cerveau). C’est leur atrophie qui provoque les maux de tête. Le corps déshydraté présente aussi un manque important d’électrolytes, ce qui pourrait expliquer les crampes et les douleurs musculaires ressenties les lendemains de fêtes.
Le manque de sommeil semble être un autre facteur contribuant à la survenue des sensations d’inconfort liées à cette intoxication à l’alcool. Effectivement, comme le précise une étude du National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism, si l’abus d’alcool finit par créer une forte somnolence jusqu’à l’endormissement parfois soudain, la qualité du sommeil qui en découle est fortement affectée par l’alcool. Plus précisément, le sommeil est alors moins profond et interrompu par une multitude de phases de réveil assez longues. Ce sommeil dégradé contribue ainsi à la fatigue ainsi qu’au manque de coordination et de concentration ressentis les lendemains de soirées.
Il ressort également de cela que la consommation d’alcool provoque une chute du taux de glucose dans le sang, liée à la déshydratation. Cependant, si cet état d’hypoglycémie était entièrement responsable de la gueule de bois, un apport en glucose devrait être la solution, ce qui est loin d’être le cas selon plusieurs études.
Finalement, la gueule de bois pourrait être le résultat d’une réponse inflammatoire de l’organisme. Une équipe de chercheurs coréens a ainsi noté que la gueule de bois était accompagnée de hauts niveaux de cytokines, messagers solubles assurant la communication entre les cellules et le système immunitaire, témoignant d’un emballement de ce dernier. Si cette réponse inflammatoire était le facteur induisant le mécanisme de la gueule de bois, alors il suffirait de prendre un anti-inflammatoire pour la dissiper, comme l’ibuprofène. Ce qui encore une fois est loin d’être le cas.
En conséquence, la gueule de bois semble être la conjonction de plusieurs causes, entremêlées, et non le résultat d’un seul facteur.
Les congénères de l’alcool, réels responsables de la gueule de bois ?
Dans l’hypothèse où la soirée serait bien arrosée, il semble préférable, en premier lieu, de ne pas mélanger les boissons alcooliques — toutes n’agissent pas avec la même intensité —, et en second lieu, de privilégier les alcools blancs (vin blanc, bière blonde, gin, etc.).
En effet, pour une même quantité d’alcool, certains choix se révèlent meilleurs que d’autres pour diminuer les symptômes désagréables au réveil. Une étude parue en 2010 avait comparé les effets du bourbon et de la vodka quant à l’intensité de la gueule de bois subséquente à leur consommation. Près de 100 jeunes adultes s’étaient portés volontaires. Ceux qui avaient consommé du bourbon semblaient ressentir des symptômes plus sévères au réveil que ceux ayant consommé de la vodka.
Les congénères en seraient responsables. Il s’agit des substances présentes dans les boissons alcoolisées, issues de la fermentation alcoolique, ou ajoutées pendant le processus de production afin d’améliorer les propriétés organoleptiques. Ces substances sont, entre autres, les amines, les amides, les polyphénols, l’histamine, le méthanol et les tanins. Ils peuvent avoir des effets toxiques et influencer le rythme de dégradation de l’alcool. Les congénères sont surtout présents dans les alcools bruns (whisky, cognac, etc.). Par exemple, le bourbon en contient 37 fois plus que la vodka.
Ce n’est donc pas le mélange d’alcools qui rend un lendemain de fête arrosée encore plus inconfortable, mais bien les types d’alcools consommés. Tant qu’à boire plusieurs boissons alcoolisées différentes dans une même soirée, il semblerait plus judicieux de choisir des boissons faibles en congénères.
Notre foie sursollicité pour gérer l’alcool
Lorsque nous buvons une boisson alcoolisée, l’éthanol qu’elle contient est absorbé très rapidement dans le tractus gastro-intestinal (l’ensemble des organes de notre système digestif, de la bouche à l’anus), puis se dirige vers le foie. Cet organe le prend en charge grâce à des enzymes alcool-déshydrogénase (ADH), qui le dégradent en plusieurs sous-produits. La digestion de l’alcool exige un énorme effort de la part du foie. Ce dernier, lorsqu’il est au maximum de sa forme, peut éliminer environ 35 ml d’alcool éthylique pur en une heure (ce qui équivaut à environ une bière, un verre de vin ou 50 ml de vodka).
Il est donc judicieux de ne pas lui donner davantage de travail en absorbant des aliments trop riches en matières grasses. De ce fait, il est également déconseillé de prendre davantage d’alcool pour faire passer la gueule de bois. Un cercle vicieux se mettrait irrémédiablement en place, prémices d’une addiction future dont il est difficile de se sortir.
Sans compter que les produits de dégradation de l’alcool par le foie peuvent provoquer une inflammation et conduire au développement d’une stéatose hépatique alcoolique (avec accumulation de graisses dans les cellules). C’est le stade initial et le plus précoce des lésions hépatiques pouvant conduire à une hépatite alcoolique, ou à une cirrhose, dans les cas les plus graves.
Enfin, durant l’intoxication alcoolique et la veisalgie qui s’ensuit, l’organisme subit une acidose, c’est-à-dire qu’il a plus de mal que d’habitude à maintenir l’équilibre acide/base nécessaire à son intégrité. Il est donc déconseillé de consommer des boissons ou des aliments acidifiants.
À la recherche de la pilule miracle
Outre la recherche des causes et des mécanismes sous-jacents à la gueule de bois, de nombreuses études se penchent sur un médicament miracle contre les effets de la gueule de bois. D’ailleurs, le marché mondial des cures contre la gueule de bois représente près de 1 milliard de dollars américains, selon une estimation d’une firme américaine. Cependant, leurs effets sont rarement appuyés par des études cliniques. À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement empêchant cet état post-festif. Faisons cependant le point sur les molécules prometteuses ou non.
En 2020, des chercheurs finlandais ont observé le rôle de la cystéine — un acide aminé produit naturellement par le corps humain — dans la réduction des symptômes de la veisalgie. Avec une étude randomisée de 19 hommes et un groupe témoin placebo, les chercheurs ont examiné les effets de doses de 1200 mg (milligrammes) et 600 mg de L-cystéine. L’étude étant en double aveugle, ni le patient ni le prescripteur ne savaient si le patient utilisait le médicament actif ou le placebo. Les volontaires ont dû consommer de l’alcool sur une période de trois heures, puis prendre soit un placebo, soit le comprimé de L-cystéine. Les auteurs de l’étude ont constaté qu’une dose de 1200 mg d’acide aminé L-cystéine a permis de réduire les nausées et les maux de tête liés à l’alcool, tandis qu’une dose de 600 mg a aidé à atténuer le stress et l’anxiété. Cet acide aminé détruirait l’acétone, toxine produite lors de la digestion de l’éthanol, et impliquée dans les symptômes de la gueule de bois. Mais d’autres recherches seront nécessaires… d’autant plus que l’étude a été financée par une société qui vend de la cystéine.
Récemment, une étude allemande s’est intéressée à un cocktail de vitamines, minéraux et extraits de plantes pour contenir et réduire les effets de la gueule de bois. Ce cocktail comprend des extraits de plantes comme l’acérola, la figue de Barbarie, le ginkgo biloba, le saule et le gingembre, associés à des vitamines et minéraux comme le magnésium, le potassium, le bicarbonate, le zinc, la riboflavine, la thiamine et l’acide folique. Les chercheurs ont analysé les données provenant de 214 sujets bien portants, âgés de 18 à 65 ans, séparés aléatoirement en trois groupes. Le premier groupe a reçu le complément comprenant les extraits de plantes, les vitamines et les minéraux. Le deuxième groupe a reçu le complément sans les extraits de plantes, uniquement les minéraux et les vitamines, alors que le troisième groupe n’a reçu qu’un placebo à base de glucose.
Les résultats ont montré qu’en comparaison avec les sujets ayant reçu le placebo, ceux qui avaient reçu les vitamines, minéraux et extraits de plantes bénéficiaient d’une réduction de 34% en moyenne des maux de tête et d’une baisse de 42% des nausées. Fait intéressant, le groupe n’ayant reçu que les vitamines et minéraux, sans les plantes, n’a montré aucun changement. C’est pourquoi, selon les auteurs, le fait que les vitamines et minéraux seuls n’aient pas davantage d’effets semble montrer que l’alcool n’affecte pas vraiment les niveaux d’électrolytes présents dans le corps.
Enfin, depuis quelques années, une plante originaire de Chine semble être une bonne candidate, déjà considérée comme une plante anti-addiction qui plus est. En effet, elle permettrait de contenir les effets indésirables liés à une soirée un peu trop arrosée. Il s’agit de la racine de Kudzu, et plus particulièrement la puérarine (isoflavone) qu’elle contient. Le Kudzu agit principalement sur le système nerveux et les neurotransmetteurs, par une action « calmante ». Elle réduit le stress et calme les céphalées. Elle est utilisée notamment dans les sevrages alcooliques. Une étude de 2012 de l’Université Harvard a permis de constater que les personnes consommant cette plante semblent boire plus lentement et réduisent leur consommation totale. Cette plante pourrait donc être un garde-fou aux consommations excessives d’alcool.
Il existe de nombreux mythes et recettes artisanales pour tenter d’apaiser les douleurs découlant des lendemains de fêtes alcoolisées. Par exemple, aux États-Unis, des personnes fortunées se font faire des perfusions intraveineuses aux recettes variées pour pallier leurs abus. En 2005, une étude concluait, après l’analyse de plusieurs remèdes « miracles » maison, qu’aucun d’entre eux n’était efficace.
Le paracétamol, fausse bonne idée contre la gueule de bois
Le problème de la prise de paracétamol après une consommation excessive d’alcool est lié au métabolisme des deux agents. Comme mentionné précédemment, le foie sécrète une enzyme ADH pour prendre en charge l’alcool ingéré au niveau de la muqueuse gastrique et le foie, pour le transformer en une molécule plus facile à éliminer par l’organisme. Or, si l’alcool est consommé de façon excessive, cette enzyme est dépassée et une autre voie de métabolisation se met en place. Elle fait intervenir une seconde enzyme, la CYP2E1. Le principal écueil dans l’association alcool et paracétamol, étant que ce dernier est également métabolisé dans le foie par deux processus : à 80% par conjugaison avec l’acide glucuronique, et à 20% par l’enzyme CYP2E1.
Certes, la fraction de paracétamol également pris en charge par CYP2E1 est faible, néanmoins, elle est transformée en un métabolite hautement réactif, le NAPQI, qui peut entraîner un stress oxydatif. Ce dernier, en temps normal, est éliminé assez facilement par l’organisme grâce au glutathion. Mais les choses se compliquent lorsque nous y ajoutons un excès d’alcool. En effet, la voie de métabolisation par le CYP2E1 est privilégiée par le paracétamol (cette enzyme étant présente en grande quantité du fait de l’alcool). Ainsi, une quantité beaucoup plus importante de NAPQI est générée. Et si l’organisme n’est pas en mesure de l’éliminer (parce que le glutathion ne suffit pas), cela peut entraîner des dommages au foie.
Mieux vaut donc privilégier l’ibuprofène, qui aura une action anti-inflammatoire supplémentaire, mais avec un processus de métabolisation différent, ne surchargeant pas le foie, déjà bien occupé.
Pour conclure, les principaux conseils pour affronter la gueule de bois le lendemain d’une soirée sont de se reposer, boire beaucoup d’eau et d’attendre que cela passe, la pilule miracle n’existant toujours pas… Le premier des remèdes contre la gueule de bois reste donc la modération (ou l’abstinence).
Et pour ce qui est des boissons promises sans effet gueule de bois, elles n’en sont soit qu’à leurs débuts, soit sont mensongères. De plus, elles sont plutôt onéreuses, comme la Sentia, développée par le professeur Nutt. La Sentia est conçue à partir d’un cocktail de plantes, mimant les effets d’une légère ivresse.