Des astronomes ont identifié fortuitement un système planétaire particulièrement rare : une planète évoluant sur une orbite perpendiculaire, inclinée de 90°, autour de deux naines brunes situées à environ 120 années-lumière de la Terre. Si les exoplanètes orbitant autour de systèmes binaires sont désormais bien documentées, l’inclinaison inédite de cette orbite en fait un cas exceptionnel. Décrite comme une « exoplanète circumbinaire polaire », il s’agit de la toute première observation directe d’un tel objet céleste.
Depuis la découverte des premières exoplanètes au milieu des années 1990, les astronomes ont mis en lumière une étonnante diversité de mondes extrasolaires, reléguant notre propre système planétaire au rang de modèle parmi d’autres. Les exoplanètes identifiées vont de géantes gazeuses à la densité infime à d’autres à l’atmosphère si dense qu’il y pleut du métal ou du verre. Plus récemment, l’attention des chercheurs s’est portée sur des planètes gravitant autour de systèmes binaires.
Les exoplanètes dites « circumbinaires » suivent généralement une orbite globalement alignée sur le plan orbital de leurs deux étoiles hôtes. À ce jour, seize exoplanètes de ce type ont été recensées, bien que les modèles suggèrent qu’elles soient relativement fréquentes. Toutefois, certains chercheurs ont théorisé l’existence d’une catégorie encore plus rare, caractérisée par une orbite perpendiculaire à celle du système stellaire. Ces « exoplanètes circumbinaires polaires » pourraient évoluer de manière stable, même à proximité du système binaire, à condition que celui-ci présente une orbite fortement excentrique.
Bien que leur existence puisse paraître improbable, certains indices d’observation viennent appuyer cette hypothèse. Parmi eux, la détection de disques protoplanétaires polaires ou de disques de débris dans certains systèmes binaires laisse entrevoir la possibilité de formations planétaires polaires. C’est le cas, par exemple, d’AC Herculis, dans la constellation d’Hercule, dont le disque circumbinaire polaire suggère la présence potentielle d’une telle planète.
Jusqu’à présent, toutefois, aucune exoplanète circumbinaire polaire n’avait été détectée de manière directe. C’est désormais chose faite grâce aux travaux d’une équipe de l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni, qui, en étudiant une paire de naines brunes, a mis en évidence la première planète connue sur une telle orbite. « Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de participer à la détection d’indices solides en faveur de cette configuration », a déclaré Thomas Baycroft, doctorant et premier auteur de l’étude, dans un communiqué de l’Observatoire Européen Austral (ESO), qui accompagne la publication de leurs résultats dans la revue Science Advances.
Le deuxième « binaire à éclipse » jamais détecté
Pour mener à bien leurs observations, les chercheurs ont mobilisé l’instrument Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph (UVES) du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, installé au Chili. Leur objectif initial était de mieux cerner les caractéristiques orbitales de la paire de naines brunes 2M1510, repérée pour la première fois en 2018 grâce à l’installation SPECULOOS (Search for habitable Planets EClipsing ULtra-cOOl Stars), elle aussi basée au Chili.
Parfois qualifiées d’« étoiles ratées », les naines brunes naissent, comme les étoiles, de l’effondrement d’un nuage de gaz et de poussières, mais leur masse trop faible ne leur permet pas de déclencher les réactions thermonucléaires caractéristiques d’un astre. Le système 2M1510, localisé dans la constellation de la Balance, se distingue par sa rareté : la probabilité pour un corps stellaire de posséder un compagnon augmente généralement avec sa masse. Ainsi, près de 50 % des étoiles de type solaire possèdent une compagne, contre 75 % pour celles dix fois plus massives. Or, avec une masse comprise entre 0,013 et 0,075 masse solaire, les naines brunes binaires sont particulièrement peu fréquentes.
En analysant les données, Thomas Baycroft et ses collègues ont observé une dynamique orbitale inhabituelle, marquée par une trajectoire allongée et déformée. Ce comportement n’était explicable, selon eux, que par la présence d’un troisième corps en orbite polaire. « Nous avons examiné tous les scénarios envisageables, et seul celui d’une planète en orbite polaire correspond aux observations », assure le chercheur.
Plus étonnant encore, les deux naines brunes s’éclipsent l’une l’autre depuis notre point d’observation terrestre, faisant de ce système l’un des rares « binaires à éclipses » recensés parmi les naines brunes. Il s’agit du second cas connu à ce jour. « Une planète qui orbite autour d’un système binaire de naines brunes, selon une trajectoire polaire, constitue une découverte remarquable », souligne Amaury Triaud, professeur à l’Université de Birmingham et coauteur de l’étude.
Le système 2M1510 abrite également une troisième étoile, vraisemblablement trop éloignée pour exercer une influence gravitationnelle notable sur les deux naines brunes, et donc ne fait pas partie du système binaire central.
Vidéo de présentation de l’étude :