En 1950, le physicien Enrico Fermi pose toute une série de questionnements qui aboutissent à la conclusion suivante : s’il existe une ou plusieurs civilisations extraterrestres dans la galaxie, pourquoi ne nous ont-elles toujours pas contactés ? Plusieurs hypothèses ont été proposées par les scientifiques au cours des dernières décennies pour répondre à ces questions. Toutefois, une récente étude exhaustive menée par une équipe d’astrophysiciens américains explique que toutes les réponses antérieures n’ont pas tenu compte d’un élément clé des voyages interstellaires : les mouvements des corps (planètes, étoiles, etc) dans la galaxie. Ainsi, une civilisation extraterrestre aurait très bien pu explorer la Voie lactée, voire même visiter la Terre, sans que nous le sachions.
L’étude, publiée dans la très sérieuse revue The Astronomical Journal, postule que la vie extraterrestre intelligente pourrait prendre son temps pour explorer la galaxie, exploitant le mouvement des systèmes stellaires pour faciliter les sauts entre étoiles. Cette recherche est une nouvelle réponse à une question connue sous le nom de paradoxe de Fermi, qui demande pourquoi nous n’avons toujours pas détecté de signes d’intelligence extraterrestre, si elle existe.
Le paradoxe a été posé pour la première fois par le physicien Enrico Fermi en 1950. Fermi s’interrogeait sur la faisabilité de voyager entre les étoiles, mais depuis lors, ses questionnements ont fini par susciter des doutes sur l’existence même de civilisations extraterrestres. L’astrophysicien Michael Hart a formellement exploré la question lorsqu’il avait affirmé dans un article de 1975 que la vie intelligente avait largement eu le temps de coloniser la Voie lactée au cours des 13.6 milliards d’années qui ont suivi la formation de notre galaxie.
Voyages spatiaux : l’importance du mouvement des systèmes stellaires
Cependant, en l’absence de signe évident d’une telle colonisation, Hart a conclu qu’il n’y avait aucune autre civilisation avancée dans notre galaxie. La nouvelle étude offre une perspective différente sur la question : peut-être que les extraterrestres prennent simplement leur temps et sont stratégiques.
« Si vous ne tenez pas compte du mouvement des étoiles lorsque vous essayez de résoudre ce problème, il vous reste essentiellement l’une des deux solutions » déclare Jonathan Carroll-Nellenback, astrophysicien et auteur principal. « Soit personne ne quitte sa planète, soit nous sommes la seule civilisation technologique de la galaxie ».
Les étoiles (et les planètes qui les entourent) gravitent autour du centre de la galaxie sur des trajectoires différentes, à des vitesses différentes. Parfois, des fenêtres spatiales apparaissent, c’est-à-dire des configurations où les corps sont plus proches les uns des autres, explique Carroll-Nellenback. Les extraterrestres pourraient donc attendre que leur prochaine destination se rapproche d’eux, selon l’étude. Dans ce cas, les civilisations mettraient plus de temps à voyager entre les étoiles que Hart ne le prévoyait. Donc, ils ne nous ont peut-être pas encore atteints… ou peut-être l’ont-ils fait, longtemps avant que les humains évoluent.
La dynamique galactique : un élément crucial dans la réponse au paradoxe de Fermi
Les chercheurs ont tenté de répondre au paradoxe de Fermi de plusieurs manières — des études ont examiné la possibilité que toutes les formes de vie extraterrestres apparaissent dans les océans situés au-dessous de la surface de la planète et postulé que les civilisations puissent être détruites avant la maîtrise du voyage interstellaire.
Il y a aussi l’hypothèse du zoo, qui suppose que d’éventuelles civilisations avancées de la Voie lactée ont décidé de ne pas nous contacter pour les mêmes raisons que nous avons préservé la nature ou maintenons des protections pour certains peuples autochtones isolés. Une étude menée en 2018 par l’Université d’Oxford indiquait qu’il y avait une chance sur deux que nous soyons seuls dans notre galaxie, et une chance sur trois que nous soyons seuls dans le cosmos.
Mais les auteurs de la présente étude soulignent que les recherches précédentes n’ont pas tenu compte d’un élément crucial de la galaxie : tout est en mouvement. Tout comme les planètes gravitent autour des étoiles, les systèmes stellaires gravitent autour du centre galactique. Notre système solaire, par exemple, boucle son orbite galactique tous les 230 millions d’années.
Des voyages interstellaires stratégiques
Si des civilisations apparaissent dans des systèmes stellaires éloignés les uns des autres (comme le nôtre, situé dans une zone éloignée du centre galactique), elles pourraient raccourcir le voyage en attendant que leur trajectoire orbitale les rapproche d’un système stellaire habitable, indique l’étude. Puis, une fois installés dans ce nouveau système, les extraterrestres pourraient attendre une distance optimale pour faire un autre « saut », etc.
Dans ce scénario, les extraterrestres ne traversent pas la galaxie d’un trait. Ils attendent juste assez longtemps pour que leur étoile se rapproche d’une autre étoile avec une planète habitable. « Si le temps d’attente requis est de l’ordre de plusieurs milliards d’années, c’est bien une solution au paradoxe de Fermi. Les mondes habitables sont si rares que vous devez attendre plus longtemps qu’aucune civilisation ne devrait durer, avant qu’un autre ne soit à portée de main » explique Carroll-Nellenback.
Modéliser la propagation d’une civilisation extraterrestre dans la galaxie
Pour explorer ce scénario, les chercheurs ont utilisé des modèles numériques pour simuler la propagation d’une civilisation à travers la galaxie. Ils ont pris en compte une variété de possibilités pour une civilisation hypothétique à proximité de nouveaux systèmes stellaires, de la portée et de la vitesse de ses sondes interstellaires, ainsi que du taux de lancement de ces sondes.
L’équipe de recherche n’a pas tenté de deviner les motivations ni la politique des extraterrestres — une tendance que certains astronomes considèrent comme un écueil dans d’autres solutions du paradoxe de Fermi. « Nous avons essayé de proposer un modèle qui impliquerait le moins d’hypothèses possibles sur la sociologie » déclare Carroll-Nellenback.
Néanmoins, une partie du problème de la modélisation de la propagation galactique de civilisations extraterrestres est que nous ne travaillons qu’avec une seule base de référence : notre propre civilisation. Toutes nos prédictions sont donc basées sur notre propre comportement.
Des milliards d’exoplanètes potentiellement habitables et habitées
Mais même avec cette limitation, les chercheurs ont découvert que la Voie lactée pouvait être remplie de systèmes stellaires colonisés que nous ne connaissons pas. Cela demeurait vrai lorsqu’ils utilisaient des estimations prudentes de la vitesse et de la fréquence des voyages interstellaires des extraterrestres.
« Chaque système peut être habitable et peut être colonisé, mais ils ne nous rendraient pas visite à cause du manque de proximité » indique Carroll-Nellenback, bien qu’il ajoute que le simple fait que ce soit possible ne le rend pas probable. Jusqu’à présent, nous avons détecté environ 4000 planètes en dehors de notre système solaire, et aucune ne semble héberger la vie.
Sur le même sujet : Protocoles post-détection : comment gérer le premier contact avec une civilisation extraterrestre ?
Toutefois, nous n’avons observé qu’une infime fraction de ces exoplanètes ; Une étude récente a estimé que près de 10 milliards d’exoplanètes semblables à la Terre existaient dans la galaxie. Les auteurs rappellent donc que conclure que des civilisations extraterrestres n’existent pas avec un échantillon de seulement 4000 exoplanètes revient à dire que, puisque l’on ne trouve pas de dauphins dans 10m3 d’océan, alors aucun dauphin n’existe dans l’océan tout entier.
La possibilité d’une visite antérieure sur Terre
Un autre élément clé dans les débats sur la vie extraterrestre est ce que Hart a désigné par le « Fait A » : Il n’y a pas de visiteurs interstellaires sur Terre actuellement, et il n’existe aucune preuve de visites antérieures. Cependant, cela ne signifie pas qu’ils ne sont jamais venus sur Terre, expliquent les auteurs.
Si une civilisation extraterrestre est arrivée sur Terre il y a des millions d’années (la Terre a 4.5 milliards d’années), il pourrait ne rester aucun signe de leur visite, indiquent les chercheurs. À ce titre, ils citent des recherches antérieures suggérant que nous ne serions peut-être pas en mesure de détecter des preuves de visites antérieures d’une civilisation extraterrestre.
Il est même possible que des extraterrestres soient passés près de la Terre depuis notre arrivée, mais aient décidé de maintenir leurs distances. L’article appelle cela « l’effet Aurora », nommé d’après le roman Aurora de Kim Stanley Robinson. De plus, les extraterrestres pourraient ne pas vouloir ni n’avoir aucun intérêt à visiter une planète sur laquelle existe déjà la vie, expliquent les auteurs. Supposer qu’ils le feraient, ajoutent-ils, serait une « projection naïve » d’une tendance humaine à assimiler l’expansion à la conquête.
L’étude a tenu compte de toutes ces considérations — les calculs ont supposé que les civilisations extraterrestres ne coloniseraient qu’une fraction des mondes habitables qu’elles ont rencontrés. Pourtant, les chercheurs ont dit que s’il y avait suffisamment de mondes habitables, les extraterrestres auraient facilement pu se propager à travers la galaxie depuis le temps.
La nécessité d’observations et de données supplémentaires
Pour le moment, les chercheurs indiquent qu’il ne faut pas se laisser décourager par l’absence total de contact. « Cela ne signifie pas que nous sommes seuls. Cela signifie simplement que les planètes habitables sont probablement rares et difficiles à atteindre » déclare Carroll-Nellenback. Au cours des prochaines années, notre capacité à détecter et à observer d’autres planètes potentiellement habitables devrait s’améliorer considérablement à mesure que de nouveaux télescopes seront construits et lancés dans l’espace.
Le télescope Kepler a fait des pas de géant dans la recherche de planètes pouvant abriter la vie dans notre galaxie. En orbite terrestre aujourd’hui, le télescope spatial Hubble et le satellite TESS poursuivent leurs recherches. La NASA construit également le télescope spatial James Webb, qui permettra peut-être de remonter aussi près que possible du Big Bang (son lancement est prévu pour 2021).
Bien sûr, ce qui améliorerait réellement la capacité des scientifiques à estimer la probabilité que nous soyons seuls dans l’univers serait davantage de données sur la vitesse ou les distances que peuvent parcourir les sondes interstellaires. Une meilleure idée de la durée de vie d’une hypothétique civilisation extraterrestre pourrait également être utile. « Nous avons désespérément besoin de plus de données » conclut Carroll-Nellenback.