Au mois de janvier 2020, le Comité d’éthique de la Défense a été saisi par la ministre des Armées d’une demande d’avis sur le « soldat augmenté ». Le Comité a ainsi rédigé un rapport énonçant les conditions dans lesquelles les recherches sur les implants ou autres technologies dédiées à l’amélioration des performances devaient être menées. Les détails de ce rapport ont été publiés ce mardi 8 décembre.
Comme le souligne ce rapport, l’être humain cherche depuis longtemps à accroître ses capacités physiques et cognitives pour combattre (et même simplement dans un contexte plus personnel…). Le « soldat augmenté », ou plus généralement l’homme augmenté, est un sujet d’éthique délicat ; le concept implique en effet de véritablement transformer l’être humain, de lui incorporer des technologies — de façon réversible ou irréversible — le dotant d’aptitudes très supérieures, voire nouvelles. La question des limites à ne pas dépasser est donc essentielle pour veiller à ce qu’un tel soldat conserve sa dignité humaine et son intégrité.
Suite à la publication de ce rapport, la ministre des Armées, Florence Parly, a déclaré que la France n’avait pas de projet immédiat visant à développer une technologie « invasive » pour les soldats. Mais plusieurs nations explorent déjà cette possibilité et la France doit s’aligner si elle ne veut pas rapidement être dépassée. « Tout le monde ne partage pas nos scrupules et nous devons être préparés à tout ce que l’avenir nous réserve », explique la ministre. « Il est impératif de ne pas inhiber la recherche sur le soldat augmenté [pour] éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées », peut-on lire également dans le rapport du Comité.
Améliorer les capacités cérébrales ou géolocaliser des alliés
L’objectif du rapport fourni par le Comité d’éthique était principalement d’établir une liste de principes et de recommandations opératoires à suivre pour le développement des soldats augmentés. La première de ces recommandations est d’évaluer les impacts de chaque dispositif d’augmentation sur la santé physique et mentale du soldat, notamment les effets indésirables à plus ou moins long terme et les risques d’addiction. À l’instar du développement d’un nouveau médicament, une analyse bénéfices/risques devra être menée systématiquement.
Plusieurs moyens permettant d’augmenter les capacités ont été pris en compte dans le cadre de cette étude. Des substances chimiques à action curative ou préventive tout d’abord, telles que des substances permettant de lutter contre la fatigue, le stress et la douleur, ou encore des substances qui facilitent la récupération ou accroissent la vigilance ; à noter que toutes sont déjà utilisées par les forces armées.
Parmi les moyens d’augmentation non utilisés par les soldats à ce jour sont également évoqués des produits permettant de couper la sensation de faim ou de soif (utiles en situation de survie) ou qui améliorent la résistance psychologique suite à la capture par l’ennemi. Le Comité a également imaginé un mode d’augmentation sensorielle : une opération des oreilles permettant d’entendre des fréquences situées hors des capacités standards de l’oreille humaine.
Le rapport mentionne par ailleurs plusieurs types d’implants, notamment des dispositifs qui pourraient « améliorer les capacités cérébrales par stimulation cérébrale profonde » ou aider les soldats à « géolocaliser des combattants amis », ou encore permettre de prendre le contrôle d’un système d’armes. D’autres modèles d’implants pourraient également permettre aux commandants de lire à distances les signes vitaux des membres de leur unité (et ainsi d’intervenir plus rapidement si nécessaire).
Des lignes rouges à ne pas franchir
Dans son discours, Parly a rappelé que la recherche civile autour des implants permettant d’améliorer les capacités physiques et cognitives progressait à un rythme soutenu. En effet, plusieurs dispositifs bioniques ou implants cérébraux ont d’ores et déjà été développés pour rétablir le sens de la vue de personnes malvoyantes ou aveugles. De plus, rappelons que cet été, Elon Musk a fait sensation avec son implant Neuralink, testé avec succès sur des porcs. Si ce dispositif a d’abord été conçu pour améliorer la vie de personnes souffrant de handicaps, Elon Musk a déclaré qu’à terme, il pourrait également permettre de soulager la douleur, guérir les addictions ou encore améliorer les performances cognitives.
Comme le souligne le Comité d’éthique, l’usage de tels implants dans le cadre militaire a toutefois des implications très spécifiques. Ainsi, on peut noter que l’accent est mis sur les conséquences psychologiques liées à l’augmentation ; parmi les points d’attention évoqués : d’éventuelles difficultés lors du retour à la vie civile, une sensation d’exclusion et/ou d’isolement (vis-à-vis des autres soldats ou des civils), des risques de pression sociale, la nécessité d’un accompagnement psychologique, etc.
Le rapport mentionne ainsi « des lignes rouges à ne pas franchir ». Parmi elles, toute augmentation qui porterait atteinte au libre arbitre, qui provoquerait une perte d’humanité, ou qui mettrait en péril l’intégration du soldat dans la société à son retour à la vie civile. Le rapport s’oppose également aux pratiques eugéniques ou génétiques à des fins d’augmentation. La ministre a par ailleurs souligné que les techniques jugées invasives n’étaient pour le moment pas au programme : « plutôt que d’implanter une puce sous la peau, nous chercherons à l’intégrer à un uniforme », a-t-elle précisé lors de son discours. Tout autre mode d’augmentation plus invasif nécessitera évidemment le consentement éclairé des soldats et ne devra pas compromettre leur santé. En outre, ces augmentations devront être réversibles.
Enfin, face à l’évolution très rapide des technologies et des usages, le Comité d’éthique rappelle qu’un bilan périodique de ce premier avis est indispensable.