En analysant les génomes de 47 personnes ayant vécu dans les Alpes italiennes à la même époque que le célèbre Homme des glaces Ötzi, ou à une autre, des archéologues ont mis en évidence une ascendance radicalement différente entre celui-ci et ses contemporains. Bien que distincte, la lignée paternelle à laquelle il appartenait était relativement répandue. En revanche, sa lignée maternelle n’a été retrouvée chez aucun autre individu, qu’il soit ancien ou moderne.
Les Alpes italiennes orientales, en particulier la région du Trentin-Haut-Adige (ElAlp), constituent un territoire clé pour l’étude des grands mouvements démographiques ayant façonné le patrimoine génétique des Européens contemporains. Parmi ces dynamiques figurent la migration des chasseurs-cueilleurs de l’Ouest, notamment le groupe des Villabruna, ainsi que ceux de l’Est, correspondant aux actuelles Russie et Ukraine.
Un autre événement fondamental dans la constitution du génome européen est la migration des agriculteurs du Néolithique ancien, venus d’Anatolie (ou Asie Mineure), aux alentours de 7 000 ans avant notre ère. Ces communautés se sont mêlées aux groupes de chasseurs-cueilleurs locaux, à des degrés divers selon les régions. Par la suite, l’expansion des éleveurs venus des steppes pontiques-caspiennes, il y a environ 3 000 ans avant notre ère, de l’Est européen jusqu’à l’Asie centrale, a également laissé une empreinte génétique notable sur les populations du continent.
Malgré l’abondance des données archéologiques attestant la présence de diverses cultures préhistoriques dans la région d’ElAlp, les connaissances restent limitées quant au brassage génétique ayant façonné les populations locales et voisines. Les preuves disponibles sont majoritairement d’ordre matériel – objets, reliques – et peu d’individus issus de ces périodes ont vu leur génome entièrement séquencé.
Une proximité génétique trompeuse ?
Pour combler ces lacunes, une équipe codirigée par l’Institut d’études des momies de Bolzano, en Italie, a entrepris l’analyse génétique d’une quarantaine d’individus ayant vécu dans les Alpes tyroliennes entre le Mésolithique (de 6 380 à 6 107 ans avant notre ère) et le Bronze moyen (entre 1 601 et 1 295 ans avant notre ère). Les résultats de cette recherche ont été publiés dans la revue Nature Communications.
Jusqu’à présent, les seuls individus préhistoriques des Alpes tyroliennes dont les génomes avaient été séquencés étaient l’Homme de Villabruna — exhumé dans la région de Vénétie et daté d’environ 12 000 ans avant notre ère — et l’Homme des glaces, ou Ötzi. Dans cette nouvelle étude, l’équipe a examiné les génomes de 47 individus distincts issus de 17 sites de fouille dans la région d’ElAlp, y compris Ötzi.
Découvert fortuitement par des randonneurs en 1991, Ötzi vivait dans les Alpes italiennes il y a environ 5 300 ans. Sa momie, exceptionnellement bien conservée par la glace alpine, laisse penser qu’il aurait pu être victime d’un acte violent. Des analyses antérieures avaient mis en évidence chez lui une forte ascendance agricole anatolienne. L’objectif de la présente étude était de déterminer si ses voisins partageaient cette même origine, ou s’ils étaient génétiquement plus proches des chasseurs-cueilleurs.
Les résultats révèlent que la majorité des individus étudiés présente une ascendance agricole anatolienne marquée (entre 80 % et 90 %), combinée à une composante chasseur-cueilleur plus modeste. À l’inverse, le génome d’Ötzi se distingue significativement.
« Nous avons analysé 15 autres individus de l’âge du Cuivre, et ils présentent la même structure génétique que l’Homme des glaces », explique à Live Science Valentina Coia, chercheuse à l’Institut d’études des momies de Bolzano et coauteure de l’étude. Toutefois, nuance-t-elle, « en examinant de plus près les génomes pour retracer les lignées, nous avons pu comparer les résultats avec ceux de l’Homme des glaces et constater qu’il diffère des autres échantillons alpins de la région. »

Bien que ces individus aient une structure génétique similaire à celle d’Ötzi, une analyse fine révèle des différences notables dans certaines lignées ancestrales. L’étude des chromosomes Y, permettant de retracer la lignée paternelle, indique que la majorité des hommes partageaient une ascendance provenant des régions correspondant aujourd’hui à l’Allemagne et à la France. Ötzi, pour sa part, appartenait à une lignée paternelle différente, plus répandue dans la région. Sa lignée maternelle, en revanche, se révèle extrêmement rare, n’ayant été identifiée chez aucun autre individu étudié.
Cette rareté suggère l’extinction précoce de cette lignée maternelle. L’équipe invite cependant à la prudence, les données étant encore difficiles à interpréter. « Peut-être que l’Homme des glaces, comparé à d’autres individus de la même période, provient d’un groupe d’agriculteurs différent, mais cela ne peut être découvert que si nous avons plus de données sur les individus néolithiques d’Anatolie et du nord de l’Italie », précise Valentina Coia.
Par ailleurs, des recherches antérieures avaient avancé qu’Ötzi avait les yeux et les cheveux bruns. En analysant les génomes de six individus dont l’ADN était suffisamment bien conservé pour identifier certaines caractéristiques physiques, les chercheurs ont constaté que ceux-ci avaient également des cheveux allant du brun foncé au noir, ainsi que des yeux sombres. Comme Ötzi, ils portaient aussi le gène de l’intolérance au lactose.
« Nous n’avons aucune information sur le groupe culturel auquel l’Homme des glaces aurait pu appartenir. Nos découvertes laissent ouvertes certaines questions sur l’origine génétique et l’affiliation culturelle de cet individu énigmatique », concluent les chercheurs.