Si les scientifiques se basent essentiellement sur les mesures climatiques actuelles pour modéliser le futur climat de la Terre et l’évolution du réchauffement global, des indices bien plus anciens peuvent également contribuer à affiner ces modèles. Des études menées dans un réseau de grottes espagnoles concernant d’anciennes structures minérales ont permis à des géochimistes de prédire à quel rythme augmentera le niveau de la mer si rien n’est fait pour maintenir ou diminuer les températures moyennes actuelles en dessous de leur seuil critique.
Caché le long de la côte nord-est de l’île espagnole de Majorque, se trouvent les spectaculaires Coves d’Artà : un réseau de grottes souterraines merveilleux rempli de stalagmites et de nombreuses stalactites. Ces formations rocheuses naturelles dominent des espaces caverneux époustouflants et portent des noms inquiétants tels que « Chambre du purgatoire » et « Chambre de l’enfer ». De nouvelles recherches révèlent que la grotte d’Artà renferme des indications concernant le futur de la planète.
Dans une étude publiée dans la revue Nature, une équipe internationale de scientifiques a analysé des gisements minéraux appelés spéléothèmes à l’intérieur de la grotte d’Artà.
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Les spéléothèmes, qui incluent des stalagmites et des stalactites, revêtent un certain nombre de formes différentes et se développent lentement au fur et à mesure que des précipités se forment lors de réactions chimiques à base d’eau se déroulant sur des dizaines, voire des milliers de milliers d’années.
Excroissances phréatiques : elles donnent des indices sur le climat du Pliocène
L’analyse de ces dépôts géochimiques peut nous en dire beaucoup sur les conditions environnementales qui régnaient lorsque cette formation minérale a pris forme. Les géochimistes ont analysé des caractéristiques appelées excroissances phréatiques, qui se forment dans les grottes, lorsque des cavernes côtières telles que la grotte d’Artà sont inondées par la montée des eaux océaniques.
À l’intérieur du réseau de grottes, une équipe dirigée par la géochimiste Oana Dumitru de l’Université de Floride du Sud a identifié six de ces formations, trouvées à divers endroits dans la grotte et à des altitudes comprises entre 22.5 et 32 mètres au-dessus du niveau de la mer. L’analyse des échantillons prélevés sur ces excroissances situe ces dépôts il y a entre 4.39 et 3.27 millions d’années, indiquant qu’ils se sont formés pendant l’époque du Pliocène, la dernière grande période chaude de la Terre, lorsque les arbres poussaient même au pôle Sud.
Un intervalle du Pliocène supérieur appelé période chaude du mi-Plaisancien (il y a environ 3.264 à 3.225 millions d’années) est souvent considéré comme un analogue fidèle du réchauffement climatique futur. En effet, expliquent les chercheurs, les taux atmosphériques de CO2 étaient alors comparables à ceux d’aujourd’hui (~400 ppm) et le monde était de 2 à 3 °C plus chaud que la température moyenne mondiale préindustrielle.
Fonte des glaces et élévation du niveau des mers
Au cours de cette période, les chercheurs ont découvert que le niveau moyen de la mer au niveau mondial se situait à 16.2 mètres environ au-dessus du niveau actuel. Selon l’équipe, il est probable que même si le CO2 atmosphérique se stabilise à son niveau actuel — sans s’aggraver encore — le niveau de la mer augmentera inévitablement à nouveau, même s’ils reconnaissent que cela pourrait prendre des centaines, voire des milliers d’années.
« Compte tenu des schémas de fonte actuels, cette augmentation du niveau de la mer serait très probablement causée par un effondrement des couches de glace du Groenland et de l’Antarctique occidental » déclare Dumitru.
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Une élévation du niveau des mers qui pourrait atteindre 23.5 mètres
Si les humains ne sont pas en mesure de stabiliser ou de réduire le CO2 atmosphérique et d’autres gaz à effet de serre qui retiennent la chaleur, l’équipe estime qu’une élévation du niveau de la mer pouvant aller jusqu’à 23.5 mètres serait envisageable — un phénomène dont le monde a été le dernier témoin lors de l’Optimum Climatique du Pliocène il y a 4 millions d’années, lorsque les températures atteignaient 4 °C de plus que les niveaux préindustriels.
D’autre part, si nous parvenons à maintenir les tendances au-dessus de la température préindustrielle à 1.5–2 °C, des recherches antérieures publiées l’an dernier par certaines des mêmes équipes indiquent que l’élévation du niveau de la mer pourrait être limitée à 2 à 6 mètres au-dessus du niveau actuel.
Ces résultats montrent à quel point cela ferait une différence énorme si nous parvenions à contenir le réchauffement à moins de 2 °C des températures préindustrielles.
L’objectif scientifique des chercheurs est d’utiliser la chimie contenue dans la grotte d’Artà pour affiner le calibrage des futurs modèles de calotte glaciaire. « Décrypter le niveau mondial moyen de la mer pendant la chaleur du Pliocène est essentiel pour notre capacité à prévoir, à adapter et à atténuer les effets du réchauffement planétaire futur sur l’humanité » concluent-ils.