Une IA qui décode l’activité cérébrale d’une souris pour prédire ce qu’elle voit (avec plus de 95% de précision)

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| EPFL
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Des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont développé un algorithme d’apprentissage automatique capable de capturer les signaux cérébraux de souris et d’en tirer des informations complexes. À partir des données neuronales liées au cortex visuel, il peut notamment reconstruire ce que l’animal est en train de voir. Ce nouvel algorithme, baptisé CEBRA (prononcer « zebra »), a montré une précision de décodage supérieure à 95%.

L’origine neurale du comportement demeure une question centrale en neurosciences. Dans le cadre de leurs expérimentations sur des animaux, les scientifiques sont généralement limités par le nombre de neurones et par la durée d’enregistrement du comportement. Il était ainsi nécessaire de mettre au point une approche capable de combiner les données de plusieurs animaux et de plusieurs sessions d’enregistrement comportemental. C’est dans ce but que des chercheurs de l’EPFL ont développé un nouvel algorithme d’apprentissage, nommé CEBRA.

Après une période d’apprentissage initiale — lors de laquelle l’algorithme apprend à faire correspondre les signaux cérébraux avec les caractéristiques du film visionné par le sujet —, CEBRA peut décoder l’activité cérébrale d’une souris alors qu’elle regarde un film et en déduire les images qu’elle est en train de visualiser. « Ces travaux ne représentent qu’une étape vers les algorithmes fondés sur la théorie qui sont nécessaires en neurotechnologie pour permettre des interfaces cerveau-machine très performantes », a déclaré Mackenzie Mathis, chercheuse principale de l’étude, dans un communiqué.

Un décodeur d’informations visuelles très performant

Récemment, à l’aide d’une IA, des chercheurs américains sont parvenus à reconstruire un texte à partir de l’activité cérébrale d’individus écoutant une histoire ou imaginant qu’ils racontent une histoire. Ce « décodeur sémantique » avait été entraîné à l’aide des données cérébrales recueillies par IRM fonctionnelle, alors que les sujets de l’étude écoutaient des heures de podcasts.

Dans cette nouvelle étude, il s’agissait de développer une technologie capable de reproduire ce qu’un sujet voit de ses yeux à partir de son activité cérébrale. « L’objectif de CEBRA est de découvrir la structure des systèmes complexes. Et, étant donné que le cerveau est la structure la plus complexe de notre univers, c’est l’espace de test ultime pour CEBRA », souligne la neuroscientifique.

Au cours de l’expérience, les signaux cérébraux de souris ont été obtenus de deux manières : soit via des sondes d’électrodes insérées directement dans la région cérébrale associée au traitement des informations visuelles, soit via des sondes optiques ; dans ce dernier cas, les chercheurs ont utilisé des souris génétiquement modifiées de sorte que leurs neurones actifs brillaient en vert.

Pendant la phase d’entraînement, CEBRA devait apprendre à faire correspondre l’activité cérébrale d’une cinquantaine de souris avec des images bien spécifiques, alors qu’elles visionnaient plusieurs fois de suite (neuf répétitions au total) un clip vidéo en noir et blanc de 30 secondes — dans lequel on voit un homme courir vers une voiture, ouvrir le coffre pour y déposer quelque chose, puis repartir en courant. L’équipe souligne que l’algorithme fonctionne avec moins de 1% des neurones du cortex visuel.

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Exemples d’images originales (rangée du haut) et d’images décodées à partir de l’intégration CEBRA (rangée du bas). © S. Schneider et al.

Les chercheurs ont ensuite testé la capacité de leur intelligence artificielle à prédire l’ordre d’apparition des quelque 600 images, alors que les souris visionnaient la vidéo pour la dixième fois : ils rapportent une précision de décodage supérieure à 95%, ce qui est nettement meilleur que les méthodes de décodage existantes.

Mieux comprendre la façon dont le cerveau traite les informations

L’équipe a également réalisé l’expérience à partir des données cérébrales de souris individuelles — des algorithmes similaires de reconstruction d’images ayant montré une efficacité accrue dans ce cas. CEBRA a donc été formé à partir de l’activité cérébrale d’une seule souris, puis a prédit les images visionnées par cette dernière. Il s’est avéré toutefois beaucoup moins précis : l’équipe rapporte une précision comprise entre 50 et 75%.

Un apprentissage reposant sur les données de plusieurs animaux semble donc beaucoup plus efficace, mais aussi bien plus « pratique » : cela signifie qu’il n’est pas utile d’entraîner cette IA sur les données d’individus spécifiques pour qu’elle fonctionne pour tout un chacun. Cette technologie pourrait potentiellement aider à produire des sensations visuelles chez les personnes malvoyantes.

« Concrètement, CEBRA repose sur l’apprentissage contrastif, une technique qui apprend à agencer, ou intégrer, des données de haute dimension dans un espace de dimension inférieure appelé “espace latent”, de sorte que les points de données similaires sont proches les uns des autres et les points de données différents sont éloignés les uns des autres », explique la chercheuse.

La technique permet de mettre en évidence des relations et des structures cachées dans les données neuronales, de manière à attribuer à chacune de ces structures une « étiquette » comportementale — qu’il s’agisse d’un comportement physique (mouvement) ou de caractéristiques liées à un ressenti (sentiment de récompense, vision d’une couleur particulière, émotion, etc.). Ainsi, cet algorithme peut aider à mieux comprendre la façon dont le cerveau traite les informations.

En outre, CEBRA ne se limite pas à l’interprétation de l’activité neuronale liée au cortex visuel ! D’autres expériences menées par Mathis et ses collaborateurs ont montré qu’il était capable de prédire les mouvements des bras chez les primates et de reproduire les positions des rats lorsqu’ils se déplacent librement dans une arène. « Cet algorithme n’est pas limité à la recherche en neurosciences, car il peut s’appliquer à de nombreux ensembles de données impliquant des informations temporelles ou conjointes, y compris le comportement des animaux et les données d’expression génétique. Ainsi, les potentielles applications cliniques sont intéressantes », conclut Mathis.

Source : S. Schneider et al., Nature

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