Découverte exceptionnelle d’une importante organisation urbaine précolombienne de 26 sites, inédite en Amazonie

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Capture d'écran d'une animation 3D montrant la disposition d’un des sites de peuplement découvert. | Heiko Prümers / DAI KAAK
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L’Amazonie fascine tant par sa biodiversité remarquable que par sa richesse culturelle ancienne. Nous soupçonnons, depuis longtemps, qu’elle est le berceau de sociétés complexes, bien avant la colonisation espagnole, bien avant Christophe Colomb. Mais les preuves restent enfouies sous le couvert végétal dense de cette région. Les nouvelles technologies de télémétrie pourraient rebattre et redessiner les cartes des découvertes. Récemment, des chercheurs allemands et britanniques ont révélé un ensemble de découvertes archéologiques impressionnantes cachées dans l’Amazonie bolivienne. Ils ont cartographié 26 sites, précolombiens, composés de bâtiments en terre et de pyramides aussi hautes que des immeubles de huit étages. Ils témoignent de la complexité des colonies amazoniennes et des énigmes qu’elles soulèvent encore.

Nombreux sont les vestiges du passé, cachés, ensevelis ou recouverts par l’eau ou la végétation, le temps faisant son œuvre. Il est alors difficile d’y accéder, et encore faut-il savoir où chercher. C’est ainsi que les nouvelles technologies de détection entrent en jeu et permettent des découvertes jusqu’ici impossibles.

D’ailleurs, les lasers Lidar permettent cette télédétection. Le terme Lidar correspond à l’acronyme anglais Light (ou Laser Imaging) Detection And Ranging. Il désigne une technologie de télédétection, ou de mesure optique, basée sur l’analyse des propriétés d’une lumière laser, renvoyée vers son émetteur. Il fonctionne comme un radar, mais pour l’infrarouge et non pour les micro-ondes. Cette technologie de télémétrie par laser permet de « voir » à travers les sols afin de détecter des traces d’excavations, aujourd’hui recouvertes par l’eau ou la végétation.

Cette technologie a été appliquée à une région de l’Amazonie connue pour être le berceau de la civilisation Casarabe, ayant existé entre l’an 500 et 1400. La zone culturelle connue de Casarabe s’étend sur environ 4500 km², l’un des grands sites de peuplement couvrant une superficie d’environ 500 km². Cette société ancienne fabriquait des poteries élaborées et construisait de grands monticules de terre, des chaussées et des étangs. Mais il s’agit de sites forestiers isolés difficiles à fouiller. Récemment, une équipe de chercheurs a révélé l’existence de 26 sites enfouis sous la végétation. Près de la moitié d’entre eux étaient connus des archéologues, mais ils n’avaient jusqu’alors jamais été appréhendés comme un système interconnecté, d’une telle ampleur. Leurs découvertes sont publiées dans la revue Nature.

Accéder à l’inaccessible

Il faut préciser en premier lieu que ces découvertes sont le fruit de plus de 20 ans de recherches. Le Dr Heiko Prümers de l’Institut archéologique allemand et le Dr Carla Jaimes Betancourt de l’Université de Bonn, alors étudiante à La Paz, ont commencé des fouilles archéologiques sur deux « monticules » près du village de Casarabe, en Bolivie. Cette région de la Bolivie est immergée une partie de l’année, pendant la saison des pluies, empêchant toute installation pérenne pour la recherche. En conséquence, la compréhension de l’architecture civique-cérémoniale des principaux sites et de l’organisation régionale des constructions de la culture Casarabe est restée mal comprise.

Néanmoins, les vestiges de l’époque précédant la colonisation espagnole, au début du XVIe siècle, sont nombreux et ces traces comprennent principalement des chaussées et des canaux, menant souvent sur des kilomètres en ligne droite, à travers les savanes. Des indices nous laissant imaginer une complexité de cités comparables aux nôtres.

Pour aboutir à leurs découvertes, les chercheurs ont utilisé des lasers aéroportés, scrutant à travers les arbres denses et la couverture du sol dans le but d’identifier les structures de ce possible réseau urbain à faible densité, longtemps dérobé aux yeux des archéologues.

Dans la présente étude, un total de 200 km² répartis sur 6 zones non connectées de taille variable, de la zone de culture Casarabe, ont été cartographiés. Le capteur utilisé était un scanner Riegl VUX-1, avec un Trimble APX-15 UAV GNSS, fixé à un hélicoptère. L’altitude de vol était de 200 m au-dessus du sol. Les missions ont été effectuées sur des bandes parallèles de 200 m, avec un chevauchement de 50%. Le traitement des données a été effectué par MS (ArcTron) à l’aide du logiciel RIEGL RiAnalyze.

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Le scanner Lidar est fixé à l’hélicoptère. © Heiko Prümers/DAI KAAK

Ainsi, le laser Lidar a scanné en détail deux grands sites de peuplement (Cotoca, de 147 ha, et Landívar, de 315 ha) dans un quadrilatère dense de 24 sites plus petits, dont seulement 15 étaient connus auparavant.

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Mark Robinson contrôlant la collecte de données pendant le vol. © Heiko Prümers/DAI KAAK

Les scientifiques déclarent, dans un communiqué : « Les résultats indiquent clairement que le modèle de peuplement de la culture Casarabe représente un type d’urbanisme tropical à faible densité qui n’a pas été décrit auparavant en Amazonie. Nos résultats mettent fin aux arguments selon lesquels l’Amazonie occidentale était peu peuplée à l’époque préhispanique ».

Grands sites de peuplements inédits

Les deux grands sites de peuplement, Cotoca et Landívar, étaient déjà connus, mais leur taille massive et leur élaboration architecturale ne sont apparues qu’à travers les données des lasers Lidar. Ces deux grands sites de peuplement sont entourés de trois structures défensives concentriques, composées d’un fossé et d’un rempart, dont certaines sont constituées de doubles murs. Sur le site de Cotoca, les structures défensives intérieures ne sont conservées que dans certaines sections, ce qui peut suggérer que lorsque le site s’est agrandi, les remparts ont été adaptés en conséquence.

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Cette capture d’écran d’une animation 3D basée sur le Lidar montre la disposition de Cotoca. Les chaussées surélevées rayonnent dans différentes directions à partir des monticules de plate-forme, des pyramides et d’autres structures. © Heiko Prümers/DAI

Les deux colonies présentent des monticules de plate-forme rectangulaires, en forme de U, et des pyramides de terre en forme de cône — mesurant jusqu’à 22 m de haut — au sommet de terrasses artificielles. L’orientation des bâtiments, constituant les centres civiques et cérémoniels des deux grands sites de peuplement, est très uniforme vers le nord-nord-ouest. Cela reflète probablement une vision du monde cosmologique.

Sans compter que des infrastructures massives de gestion de l’eau, composées de canaux et de réservoirs, complètent le système de peuplement. Elles révèlent indirectement une société qui exploitait les ressources du milieu environnant. Par conséquent, on peut favorablement estimer qu’il s’agit d’une société assez avancée pour créer des réserves de nourriture et d’eau afin de survivre aux aléas des saisons, ainsi que pour soutenir une densité de population suffisante à la construction et l’entretien d’un tel système urbain.

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Un réservoir d’eau préhispanique d’un diamètre de 60 mètres à Landívar. Des réservoirs similaires se trouvent sur de nombreux sites de la culture Casarabe. © Heiko Prümers/DAI KAAK

En effet, les chaussées rayonnent de Cotoca et Landívar dans toutes les directions, reliant ces sites principaux à des sites plus petits avec moins de monticules, se connectant ensuite à ce qui était probablement de petits campements ou des zones d’activité spécialisées. Les scientifiques expliquent : « Dans un rayon de 5 km — soit 1 heure de marche — de chacune des colonies que nous connaissions déjà, il y en a au moins une de plus. Toute la région était donc densément peuplée, un modèle qui jette par-dessus bord toutes les idées précédentes ».

C’est alors qu’ils concluent qu’au lieu de construire d’immenses villes densément peuplées, une importante population Casarabe s’est répartie dans un réseau de petites et moyennes colonies, incorporant de nombreux espaces ouverts pour l’agriculture.

En tant que telles, les données contribuent à la discussion sur la richesse globale de la diversité urbaine primitive et aideront à redéfinir et réinterpréter ces constructions et les catégories utilisées pour définir les sociétés amazoniennes passées et présentes. Néanmoins, les recherches archéologiques, à proprement parler, sont toujours en cours, et révèleront sûrement d’autres découvertes surprenantes.

Source : Nature

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