Lancé avec succès le 25 décembre, le télescope James Webb est arrivé sans encombre à son point de destination — le point de Lagrange L2 — et est actuellement en train d’aligner minutieusement les dix-huit hexagones qui constituent son miroir primaire. Dans quelques mois, il sera prêt à scruter l’Univers et à découvrir potentiellement d’autres civilisations (bien que ça ne soit pas sa mission principale). Comment ? En analysant l’atmosphère des planètes lointaines, qui sont susceptibles de contenir des espèces chimiques traduisant la présence d’une technologie extraterrestre.
Les scientifiques se basent simplement sur ce que l’on peut observer sur notre propre planète : la présence de chlorofluorocarbones (CFC) dans l’atmosphère terrestre est le résultat direct de la technologie (réfrigération, nettoyage industriel, mousses isolantes, etc.).
Désormais interdits par la plupart des pays, du fait qu’ils détruisent la couche d’ozone, certains de ces polluants industriels persistent néanmoins à des concentrations élevées en raison de leur longue durée de vie dans la stratosphère. Les astronomes supposent ainsi que la détection de CFC dans l’atmosphère des exoplanètes serait une preuve tangible de l’existence d’une autre civilisation technologiquement avancée.
Une équipe de chercheurs a donc entrepris de déterminer si le télescope James Webb serait capable de détecter une telle signature spectrale à distance. Pour ce faire, ils ont utilisé un modèle climatique et un générateur de spectre synthétique pour évaluer la détectabilité des CFC-11 (trichlorofluorométhane) et des CFC-12 (dichlorodifluorométhane) en tant que technosignatures sur les exoplanètes. Selon eux, il est bel et bien possible que le télescope détecte ces signaux, à condition que la planète en question ne soit pas trop brillante — auquel cas elle masquerait la présence de ces éléments.
Une simulation réalisée avec une exoplanète de type Terre
Dans leur étude, disponible sur le serveur de préimpression arXiv, les chercheurs ont considéré en particulier le cas de TRAPPIST-1 e, une exoplanète tellurique située en zone habitable du système de TRAPPIST-1, à 40 années-lumière, et qui s’avère relativement similaire à la Terre. Cette exoplanète est le parfait exemple de planète potentiellement habitable, en rotation synchrone autour d’une étoile de type M.
Les étoiles de type M, dont la plupart sont des naines rouges, sont peu lumineuses. Ce sont les plus froides et aussi les plus courantes dans notre galaxie ; leur température varie de 2500 K à 3500 K. Des études récentes suggèrent que les planètes orbitant autour de ces étoiles sont peu susceptibles d’être habitables. En effet, elles sont si proches de leur étoile qu’elles orbitent en rotation synchrone — autrement dit, c’est toujours la même face planétaire qui est orientée vers l’étoile, à l’instar de la Lune vis-à-vis de la Terre. Par conséquent, ces planètes affichent d’importants écarts de température entre la face obscure et la face éclairée. En outre, les naines rouges peuvent émettre de gigantesques éruptions, pouvant potentiellement souffler l’atmosphère des planètes les plus proches. Néanmoins, cette activité diminue à mesure que l’étoile vieillit, l’habitabilité des planètes n’est donc pas complètement impossible.
À l’aide du modèle ROCKE-3D (Resolving Orbital and Climate Keys of Earth and Extraterrestrial Environments with Dynamics) développé par la NASA, les chercheurs ont réalisé des simulations impliquant des abondances de CFC dans l’atmosphère de TRAPPIST-1 e allant d’une à cinq fois les niveaux terrestres actuels. James Webb embarque une série de quatre instruments, dont le MIRI (Mid-InfraRed Instrument), constitué d’une caméra et d’un spectromètre observant dans l’infrarouge moyen (de 5 à 28 micromètres de longueur d’onde). C’est sur lui que tout repose.
Une détection possible sous certaines conditions
En supposant un niveau de bruit de fond minimum, les chercheurs ont pu constater que les caractéristiques spectrales potentiellement attribuables à la présence de CFC de niveau terrestre (actuel ou passé) pourraient être détectées avec un rapport signal sur bruit de l’ordre de 3 à 5 sur TRAPPIST-1 e, en 100 à 300 heures d’observation. En revanche, avec un niveau de bruit de fond moins optimiste, même des concentrations de CFC cinq fois supérieures à celles de la Terre ne seraient pas détectables, et ce, quel que soit le temps d’observation, notent les chercheurs.
Pour confirmer l’absence ou la présence de vie sur les exoplanètes, les scientifiques recherchent habituellement d’éventuelles biosignatures : la détection de phosphine dans l’atmosphère de Vénus, en 2020, avait notamment fait grand bruit, car sur Terre, cette molécule n’est produite que par des bactéries ou des procédés industriels — il s’avère finalement que les quantités annoncées étaient largement surestimées de par une erreur de calibrage des instruments d’observation ; il a également été suggéré que les traces de composés phosphorés soient simplement le fruit d’un volcanisme actif.
Quoi qu’il en soit, du point de vue des scientifiques, il pourrait être intéressant d’intégrer la détection des CFC aux recherches. Sans compter que de telles observations pourraient être effectuées simultanément et sans coût supplémentaire avec les recherches d’autres biosignatures, soulignent les auteurs de l’étude. Ils précisent en outre qu’avec James Webb, le temps nécessaire pour détecter certaines biosignatures gazeuses terrestres (environ 600 heures) est plus important que le temps d’observation nécessaire pour détecter les abondances terrestres actuelles de CFC (estimé à 300 heures environ).
En cas de non-détection, des limites supérieures de concentration de CFC pourraient être envisagées. Pour le moment, les chercheurs restent optimistes. « Nous estimons qu’avec le lancement de James Webb, l’humanité est peut-être sur le point de pouvoir détecter des technosignatures atmosphériques passives d’une force égale à la sienne autour des étoiles les plus proches », concluent-ils.