Phosphine détectée sur Vénus : activité chimique atmosphérique ou trace de vie ?

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L’information a fuité il y a déjà quelques jours : de la phosphine, une molécule connue pour être un biomarqueur sur Terre, a été détectée dans l’atmosphère de Vénus. Aujourd’hui, Jane Greaves, astrophysicienne à l’université de Cardiff, a tenu une conférence de presse officielle au cours de laquelle la nouvelle a été confirmée. De nombreux médias se sont emparés de l’information à grand renfort de titres grandiloquents annonçant qu’une trace de vie a été trouvée sur la seconde planète du Système solaire. Cependant, si cette découverte constitue effectivement un résultat extrêmement intéressant, et pour le moins excitant, la phosphine peut également être produite par des processus géochimiques inconnus. Il faudra donc attendre encore un peu pour savoir si Vénus abrite bien des formes de vie ou non.

La Royal Astronomical Society a officiellement confirmé la présence de phosphine dans l’atmosphère de Vénus. L’article de recherche ayant été publié aujourd’hui, les informations officielles proviennent donc de celui-ci et de la conférence de presse donnée par l’astrophysicienne Janes Greaves, membre de l’équipe de chercheurs à l’origine de la découverte. Deux scénarios sont envisagés : soit la phosphine est produite par des processus abiotiques encore inconnus, soit elle est produite par des bactéries présentes dans la haute atmosphère vénusienne. Dans ce dernier cas, cela constituerait la première preuve de vie autre part que sur la Terre.

Qu’est-ce que la phosphine ?

La phosphine, de formule PH3, encore appelée phosphure d’hydrogène, est un composé inorganique présent sous forme de gaz. Il s’agit d’une substance extrêmement toxique et écocide, bien qu’elle soit utilisée couramment comme pesticide (interdit d’utilisation en France depuis 2016). Elle est produite pour la première fois en 1783 par le chimiste français Philippe Gingembre, par chauffe du phosphore plongé dans du carbonate du potassium. Durant plusieurs siècles, on attribuera une origine exclusivement industrielle à la phosphine. Les quelques traces de phosphine détectée sur Terre étant attribuée à une origine extraterrestre.

Une invitation à rêver, prête à être portée.
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Structure moléculaire de la phosphine. Crédits : ChemBase

Il faudra attendre les travaux du biochimiste W. P. Iverson sur la bactérie Desulfovibrio desulfuricans pour découvrir que des composés phosphorés pouvaient être générés de manière anaérobie par certaines bactéries, notamment par des mécanismes de corrosion du fer. En effet, ces bactéries utilisent une enzyme particulière, la déshydrogénase, afin de réduire différents composés comme les sulfates et les ions ferreux, produisant notamment du phosphure de fer.

À la fin des années 1990, la phosphine est détectée dans plusieurs endroits sur Terre : marécages, tourbières, dépôts de sédiments, zones humides, etc. L’origine naturelle de la phosphine — parallèlement à l’origine industrielle — est donc scientifiquement admise. Par la suite, de nombreuses études ont confirmé la source bactérienne de la phosphine. Dès lors, les biologistes ont utilisé le composé comme biomarqueur pour localiser les sources de vie microbienne sur Terre (aucune autre source abiotique n’est connue pour produire du PH3 sur Terre).

De la phosphine ailleurs que sur Terre ?

Les planétologues ont eux aussi commencé à inclure la phosphine dans les quelques biomarqueurs utilisés en astrobiologie. En effet, le domaine d’étude des exoplanètes couvre aussi la recherche de biosignatures gazeuses comme l’oxygène ou le méthane. Étant donné que, sur Terre, la phosphine est associée aux systèmes de bactéries anaérobies, elle pourrait alors constituer une biosignature d’intérêt dans le cadre de planètes anoxiques (dépourvues d’oxygène).

Sur Terre, PH3 n’est détectable que sous forme de traces dans l’atmosphère. Et cela pour deux raisons. Tout d’abord, la phosphine est un composé hautement réactif, il subit notamment une forte photodissociation via les UV. Secondairement, la majorité des formes de vie sur Terre utilise l’oxygène, disponible en grandes quantités, les bactéries produisant du PH3 par réduction sont donc peu nombreuses comparées aux organismes aérobies.

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Graphique montrant le spectre de la phosphine détecté sur Jupiter en fonction de la latitude. Crédits : L.N. Fletcher et al. 2009

Mais sur des planètes où l’oxygène est pauvre ou absent, et peu soumis aux rayonnements stellaires, la phosphine pourrait s’accumuler en quantité suffisante dans l’atmosphère pour être détectée. En 1976, H. P. Larson et al. confirment, dans la revue The Astrophysical Journal, grâce à une analyse spectroscopique effectuée depuis le Kuiper Airborne Observatory, la présence de PH3 dans l’atmosphère de Jupiter, annoncée 2 ans plus tôt par Ridgway et al. Bien que les auteurs n’avancent pas d’explication précise et définitive, ils précisent toutefois que l’atmosphère des planètes gazeuses (forte réduction chimique) est très favorable à la formation de PH3. Ils précisent tout de même que cela nécessite de très grandes températures et pressions.

Pratiquement la même année (fin 1975), J. D. Bergman et al. annoncent la présence de PH3 atmosphérique sur Saturne. Annonce confirmée quelque temps plus tard par A. T. Tokunaga et al. De la même manière que pour Jupiter, les auteurs avancent quelques hypothèses concernant les mécanismes photochimiques de création de PH3 dans la haute atmosphère. Les prérequis thermodynamiques et atmosphériques imposent, là aussi, des conditions que l’on ne retrouve que sur les géantes gazeuses.

Phosphine détectée dans l’atmosphère de Vénus : quelles implications ?

Les étapes de la détection

L’aventure commence en juin 2017, lorsque les astrophysiciens tournent le radiotélescope James Clerk Maxwell, situé à Hawaï, vers Vénus. Durant plus de cinq jours, ils effectuent une analyse spectroscopique de l’atmosphère vénusienne et établissent un spectre complet de la planète. Parmi les différentes données, un résultat interpelle les chercheurs : à la longueur d’onde de 1.123 mm, le spectre ressemble à la transition rotationnelle de la phosphine.

Le résultat est encourageant, mais il ne suffit pas à confirmer la présence effective de PH3 dans l’atmosphère nuageuse de Vénus. En effet, les données obtenues peuvent être parasitées par les nombreuses émissions provenant du spectre de la dense atmosphère vénusienne. Des mécanismes photodissociatifs peuvent également mimer la configuration spectrale transitionnelle du PH3. Pour en avoir le cœur net, les astrophysiciens vont alors utiliser le réseau de radiotélescopes ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), situé dans le désert d’Atacama au Chili.

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Haut : spectre atmosphérique de la phosphine établi par le JCMT. Bas : spectre atmosphérique de la phosphine établi par ALMA. Crédits : Jane S. Greaves et al. 2020

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La résolution à l’échelle de l’arc-seconde d’ALMA permet en effet une cartographie plus complète et détaillée de l’atmosphère de Vénus. Les données recueillies en mars 2019 ont confirmé celles obtenues deux ans auparavant. Pour éliminer tout doute, les chercheurs ont recherché la présence d’eau semi-lourde (eau deutérée, HDO) dont la ligne d’émission à 1.126 mm est extrêmement proche de celle du PH3, afin d’éliminer tout chevauchement. Une fois toutes ces vérifications effectuées, les chercheurs ont enfin pu confirmer la détection de PH3 dans la haute atmosphère de Vénus à une abondance de ~20 ppm.

Phosphine sur Vénus : pourquoi est-ce étrange ?

La présence de PH3 en ces quantités dans une atmosphère fortement oxydée (où les composés oxygénés dominent largement les composés hydrogénés) est chimiquement inattendue. Pour obtenir ces quelques ppm de PH3, des sources atmosphériques ou surfaciques de phosphore sont requises. Or, les sondes Vega qui ont analysé la composition de la planète en surface n’ont détecté aucune trace de phosphore.

Les conditions thermodynamiques de l’atmosphère de Vénus ne permettent pas la production de PH3 par hydrolyse de phosphures géologiques. En outre, les auteurs montrent que la production de PH3 à partir de la dissociation thermique d’acide phosphorique (H3PO3) est impossible, car les conditions de température et pression requises sont hors de portée (l’atmosphère devrait par exemple être exclusivement composée d’hydrogène).

Les calculs effectués par les chercheurs montrent que pour maintenir une concentration de 10ppm de phosphine dans l’atmosphère vénusienne, le flux de PH3 requis est d’environ 106–107 molécules cm−2 s−1. Selon les auteurs, des réactions photochimiques ne peuvent, à elles seules, générer une telle quantité constante de phosphine. Pour produire de la phosphine, les radicaux hydrogènes obtenus par photodissociation doivent réduire le phosphore en soustrayant de l’oxygène. Dans les conditions atmosphériques de Vénus, ce taux de réaction serait trop lent d’un facteur de 104–106 pour produire ~10ppm de PH3.

La dernière source envisageable connue pour produire du PH3 sont des événements énergétiques comme les orages, les interactions protoniques avec les vents solaires et le volcanisme. Mais là aussi, les auteurs montrent que ces mécanismes ne pourraient produire la quantité observée de PH3 dans l’atmosphère. Par exemple, ils estiment que pour produire ~10ppm de phosphine, l’activité volcanique sur Vénus devrait être environ 200 fois supérieure à celle de la Terre. Et les différentes observations géologiques sur Vénus ont montré que ce n’était pas le cas.

Les différentes explications envisagées

Si aucun de ces processus n’est à l’origine de la phosphine détectée dans l’atmosphère vénusienne, la première explication à considérer est la présence de mécanismes géochimiques encore inconnus. Cela pourrait être un mécanisme photochimique exotique présent dans l’atmosphère de la planète. En effet, actuellement, les modèles photochimiques concernant les nuages vénusiens sont très incomplets, voire pratiquement inexistants. Un processus photochimique de phase dans les gouttes des nuages pourrait expliquer le phénomène.

La seconde explication serait une production biogénique. Des micro-organismes bactériens présents dans l’atmosphère pourraient générer la quantité de PH3 observée, bien que le flux estimé plus haut soit inférieur au flux biogénique de phosphine détecté sur Terre, qui est d’environ 107–108 PH3 cm−2 s−1. La distribution vénusienne de PH3, majoritairement équatoriale (altitudes moyennes) et absente aux calottes polaires, laisse penser que cette localisation constituerait un environnement stable pour la vie. En effet, Grinspoon et Bullock ont montré que la circulation équatoriale atmosphérique de Hadley entraînait une cellule atmosphérique stable et peu agitée.

Cependant, la présence de vie dans les nuages vénusiens est rendue très compliquée par l’environnement qui y règne : absence quasi complète d’H2O et hyperacidité (90% d’acidité). Ce qui en fait un milieu extrêmement corrosif difficilement compatible avec la vie microbienne telle qu’on la connaît. Mais cette hypothèse n’est pour autant pas à exclure. Il faudra donc attendre de futures observations et analyses pour statuer sur la véritable source de PH3 sur Vénus.

Sources : Nature Astronomy

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