Le Japon autorise les premières expériences sur les embryons humain-animal

embryons humain animal
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Au cours des dernières années, la liste des demandeurs d’organes s’est allongée alors que celle des donneurs semble stagner, voire rétrécir. Les scientifiques tentent ainsi de contourner ce problème en explorant deux pistes : la bio-ingénierie pour les organes artificiels, et les cellules souches pour le développement d’organes induits. C’est dans ce dernier axe qu’un biologiste japonais et son équipe ont reçu l’autorisation de procéder à des recherches sur des embryons hybrides Homme-animal afin de pouvoir, à terme, développer des organes à la demande.

Un scientifique japonais spécialisé dans les cellules souches est le premier à recevoir une aide gouvernementale pour la création d’embryons d’animaux contenant des cellules humaines et pour leur transplantation dans des animaux de substitution, depuis l’interdiction de cette pratique, levée plus tôt cette année. Au-delà de certains problèmes techniques à résoudre, les biologistes devront également apaiser les craintes concernant les potentielles dérives bioéthiques.

Hiromitsu Nakauchi, qui dirige des équipes à l’Université de Tokyo et à l’Université Stanford en Californie, prévoit de cultiver des cellules humaines dans des embryons de souris et de rat, puis de les transplanter chez des animaux de substitution. Le but ultime de Nakauchi est de produire des animaux avec des organes constitués de cellules humaines, qui pourront éventuellement être transplantés chez l’Homme.

Embryons humain-animal : des recherches très encadrées

Jusqu’en mars, le Japon interdisait explicitement la croissance d’embryons d’animaux contenant des cellules humaines au-delà de 14 jours ou la greffe de tels embryons dans un utérus de substitution. Au cours de ce mois, le ministère japonais de l’Éducation et de la Science a publié de nouvelles directives permettant la création d’embryons d’animaux humains pouvant être transplantés et conduits à terme.

embryons porc
La recherche sur les embryons hybrides humain-animal n’est pas nouvelle. Ici, un embryon humain-porc issu de recherches antérieures. Crédits : Juan Carlos Izpisua Belmonte

Des embryons hybrides humain-animal ont été fabriqués dans des pays tels que les États-Unis, mais n’ont jamais abouti. Bien que le pays autorise ce type de recherche, les instituts nationaux de la santé appliquent un moratoire sur le financement de ces travaux depuis 2015. Les expériences de Nakauchi sont les premières à être approuvées par un comité d’experts du ministère de la Science, conformément aux nouvelles règles du Japon. L’approbation finale du ministère est attendue le mois prochain.

Un protocole expérimental progressif

Nakauchi dit qu’il prévoit de procéder lentement et ne tentera pas d’amener des embryons hybrides à terme avant un certain temps. Dans un premier temps, il prévoit de cultiver des embryons de souris hybrides jusqu’à 14.5 jours, au moment où les organes de l’animal sont pour la plupart formés et presque terminés. Il fera les mêmes expériences chez le rat, faisant croître les hybrides à court terme, environ 15.5 jours.

Plus tard, Nakauchi envisage de demander l’approbation du gouvernement pour faire cultiver des embryons hybrides chez le porc pendant 70 jours. « Il est bon de procéder par étapes avec prudence, ce qui permettra de dialoguer avec le public, qui se sent anxieux et préoccupé » explique Tetsuya Ishii, chercheur en sciences politiques à l’université d’Hokkaido.

Des cellules souches induites pour développer un organe spécifique

Certains bioéthiciens s’inquiètent de la possibilité que des cellules humaines évoluent au-delà du développement de l’organe ciblé, se rendent ensuite dans le cerveau de l’animal en développement et puissent éventuellement affecter sa cognition. Nakauchi indique que ces préoccupations ont été prises en compte dans la conception de l’expérience. « Nous essayons de générer des organes ciblés, alors les cellules ne vont que dans le pancréas ».

protocole embryon
Le protocole expérimental consiste à injecter des cellules souches induites dans l’organisme d’un animal génétiquement modifié pour manquer d’un organe ; une fois l’organe développé à terme, il peut être transplanté à l’Homme. Crédits : University of Denver

La stratégie qu’il explore avec d’autres scientifiques consiste à créer un embryon animal dépourvu du gène nécessaire à la production d’un organe donné, tel que le pancréas, puis à injecter des cellules souches pluripotentes induites (iPS) par l’Homme dans l’embryon animal. Les cellules iPS sont celles qui ont été reprogrammées à un état embryonnaire et peuvent donner naissance à presque tous les types de cellules. À mesure que l’animal se développe, il utilise alors les cellules humaines iPS pour fabriquer l’organe qu’il ne peut pas fabriquer avec ses propres cellules.

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En 2017, Nakauchi et ses collègues ont rapporté l’injection de cellules iPS de souris dans l’embryon d’un rat incapable de produire un pancréas. Le rat a formé un pancréas entièrement constitué de cellules de souris. Nakauchi et son équipe ont transplanté ce pancréas dans une souris souffrant de diabète. L’organe produit par le rat était capable de contrôler le taux de sucre dans le sang, guérissant efficacement le diabète de la souris.

Le problème de la distance génétique entre l’Homme et les animaux

Cependant, il n’est pas facile de faire croître des cellules humaines chez une autre espèce. Nakauchi et ses collègues ont annoncé lors de la réunion de l’Association américaine pour l’avancement des sciences en 2018 à Austin, au Texas, qu’ils avaient introduit des cellules iPS humaines dans des embryons de moutons conçus pour ne pas produire de pancréas. Mais les embryons hybrides, développés pendant 28 jours, ne contenaient que très peu de cellules humaines et rien ne ressemblait à des organes.

« Cela n’a pas de sens d’amener les embryons hybrides Homme-animal à terme en utilisant des espèces éloignées de l’évolution, telles que les porcs et les moutons, car les cellules humaines seront éliminées des embryons hôtes dès le début » déclare Jun Wu, qui étudie les chimères Homme-animal à l’UT Southwestern Medical Center. « Comprendre la base moléculaire et développer des stratégies pour surmonter cette barrière sera nécessaire pour faire avancer le domaine » ajoute-t-il.

Nakauchi dit que l’approbation du Japon lui permettra de s’attaquer à ce problème. Il expérimentera avec des cellules iPS à différentes étapes et testera des cellules iPS génétiquement modifiées pour tenter de déterminer ce qui limite la croissance des cellules humaines dans des embryons d’animaux.

Sources : Asahi Shimbun

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