Les avancées exponentielles en informatique ces dernières années, notamment dans le domaine des intelligences artificielles et des réseaux de neurones, se rapprochent de plus en plus du fonctionnement de notre propre cerveau. Récemment, des chercheurs ont réussi à construire un ordinateur « vivant » à partir de dizaines de milliers de cellules cérébrales de souris. Capable de reconnaître des schémas simples de lumière et d’électricité, il pourrait éventuellement être intégré à un robot utilisant également des tissus musculaires vivants.
Les réseaux neuronaux généralement utilisés en informatique sont des réseaux neuronaux récurrents (ou RNN pour Recurrent Neural Networks), où l’information se propage dans les deux sens. La sortie d’une couche peut devenir une entrée pour une autre couche, un mode de fonctionnement similaire à un système nerveux naturel — qui n’est pas unidirectionnel. On parle de connexions récurrentes, car elles conservent des informations en mémoire.
Cependant, il existe une autre approche : le réseau de neurones de réservoir (ou RC, pour Reservoir Computing). Le mécanisme de base repose sur le décodage des signaux de sortie d’un réservoir (espace de calcul contenant les réseaux de neurones), ce dernier servant à « digérer » les entrées de manière récurrente. Cela conduit à des machines informatiques efficaces, ne nécessitant pas de mises à jour coûteuses des poids de rétropropagation (renvoi du signal de sortie d’une couche vers l’entrée de cette même couche), comme dans les réseaux de neurones récurrents classiques.
Andrew Dou, de l’Université de l’Illinois Urbana-Champaign et ses collègues, ont récemment développé un modèle de ce type en utilisant comme réservoir des cultures de neurones vivants de souris in vitro. Ils ont ainsi construit un ordinateur vivant capable de résoudre certains problèmes basiques. Leurs travaux ont été présentés lors de la réunion de mars de l’American Physical Society à Las Vegas.
Repousser les limites de l’informatique
Selon Thomas Hartung, professeur de sciences de la santé environnementale à la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health et à la Whiting School of Engineering, « l’informatique et l’intelligence artificielle ont été le moteur de la révolution technologique, mais elles atteignent un plafond ». Il ajoute : « La bio-informatique est un énorme effort de compactage de la puissance de calcul et d’augmentation de son efficacité pour repousser les limites technologiques actuelles ».
En effet, depuis près de deux décennies, les scientifiques utilisent de minuscules organoïdes, des tissus cultivés en laboratoire ressemblant à des organes, pour expérimenter sur les reins, les poumons et d’autres organes sans recourir à des tests humains ou animaux. Récemment, des chercheurs ont créé un système d’IA à base d’organoïdes cérébraux.
Cependant, Andrew Dou et ses collègues ont utilisé de véritables cellules cérébrales vivantes dans leur configuration. Leur ordinateur vivant exploite la nature auto-organisatrice et malléable des synapses neuronales, permettant au réseau neuronal biologique de s’adapter aux problèmes de manière continue et plus rapide.
Pour construire un réservoir vivant à partir de cultures de neurones, les auteurs ont intégré des neurones dérivés de cellules souches optogénétiques (introduction dans une cellule d’un gène qui code pour une protéine photosensible, laquelle s’active lorsqu’elle est éclairée par une lumière spécifique) avec des réseaux de micro-électrodes (MEA).
Des stimulations électriques et optiques sont utilisées pour alimenter les informations codées dans les réseaux de neurones biologiques (BNN), et l’état du réservoir est représenté par des pointes d’activité grâce aux protéines photosensibles. Les capacités du système sont démontrées à travers sa faculté à distinguer différents modèles de signaux.
Les scientifiques ont testé 10 modèles d’impulsions électriques et d’éclairs lumineux qu’ils ont créés. Pour entraîner l’ordinateur à les reconnaître, ils les ont joués plusieurs fois en l’espace d’une heure. Une puce informatique ordinaire a permis d’enregistrer et traiter les signaux électriques que les neurones ont produits en réponse. L’équipe veut accroître et complexifier le modèle afin qu’un comportement inattendu (une entrée non formatée) émerge à mesure que de plus en plus de cellules interagissent entre elles.
Une troisième intelligence in vitro implantée dans des robots vivants
La NSF (National Science Foundation) aux États-Unis encourage le développement d’ordinateurs et de robots mélangeant vivant et électronique. Ils ont l’avantage de pouvoir être programmés, mais leurs comportements ne sont pas spécifiés, ils émergent. Ces systèmes grandiront, guériront, apprendront et exploreront. Ils ouvriront un nouvel espace de possibilités.
Comme l’explique la NSF, en passant des architectures numériques rigides aux substrats cellulaires, la vitesse, la précision et l’exactitude sont échangées contre la robustesse statistique, le parallélisme extrême, la guérison, la croissance et une efficacité énergétique supérieure.
Des systèmes basés sur la dynamique de milliards d’éléments neuronaux pourront s’interfacer avec des muscles et des capteurs, afin de donner naissance à des machines organiques capables de sonder leur environnement et de l’explorer.
Cette technologie aura un impact profond et durable dans pratiquement tous les domaines liés au traitement de l’information : informatique, robotique, médecine… avec une profonde ramification dans les connaissances humaines.
Les neurosciences pourraient aussi être révolutionnées, avec des modèles comportementaux radicalement nouveaux. Le but est la création d’une troisième forme « d’intelligence » in vitro, distincte de l’IA et de l’animal. L’arrivée de ChatGPT 4 aux États-Unis ne semble alors être que la pointe de l’iceberg d’une révolution qui s’amorce, une menace réelle pour l’humanité si elle n’est pas étroitement contrôlée.