Le noyau interne est séparé du noyau externe de la Terre et tourne différemment. Depuis cette affirmation, son existence et son rythme ont été contestés pendant plus de deux décennies. De plus, cette rotation pourrait potentiellement avoir un impact sur la rotation même de la Terre et donc modifier la durée de nos journées et de nos nuits, et notre climat. Récemment, des chercheurs expliquent que le noyau interne serait en train d’inverser sa rotation, un événement qui se produirait tous les 70 ans. Les impacts sur la durée des journées et sur les fluctuations du champ magnétique terrestres sont encore inconnus.
La Terre possède un noyau interne de fer solide d’environ 2400 km de diamètre. Enroulé autour se trouve un noyau externe fluide de 7000 km de diamètre. Le noyau interne solide est l’une des zones les plus dynamiques à l’intérieur de la Terre. Comme il flotte dans le noyau externe, il peut tourner indépendamment. Par cette rotation, il génère le champ magnétique, qui protège la planète des rayonnements nocifs et des effets du vent solaire.
La proposition selon laquelle le noyau interne de la Terre est un cœur chauffé à blanc de cristaux de fer disposés spécifiquement, tournant indépendamment du reste de la planète, a été renforcée par Kenneth Creager, professeur agrégé de géophysique de l’Université de Washington en 1997.
Il a découvert que le noyau interne — qui a un diamètre correspondant aux trois quarts de celui de la Lune, soit de la taille de Pluton — n’est pas aussi agile qu’on le pense. Sa rotation, par rapport aux deux couches externes de la Terre (la croûte et le manteau) est 4 à 12 fois plus lente que précédemment estimé.
Malheureusement, ce n’est pas la première fois que cette rotation a été réévaluée, et son existence remise en question, tout comme le sens de rotation. En 2022, des scientifiques de l’Université de Caroline du Sud ont abouti à une vitesse de rotation plus lente que celle précédemment estimée. Les débats restent vifs, puisqu’il est impossible d’observer directement le comportement du noyau. Les chercheurs doivent utiliser des mesures indirectes pour expliquer le schéma, la vitesse et la cause du mouvement et des changements.
Récemment, une équipe de l’Université de Pékin suggère que le noyau interne a fortement freiné sa rotation et qu’il aurait même pu l’inverser, un événement qui se répéterait de manière périodique, tous les 70 ans. Nous sommes certainement en pleine phase de changement selon eux. Leur étude est publiée dans la revue Nature Geoscience.
Observations indirectes par l’étude des ondes
Bien que les scientifiques ne puissent pas suivre directement le noyau comme mentionné précédemment, ils peuvent analyser les ondes sismiques causées par les tremblements de terre — et les essais d’armes nucléaires de l’époque de la guerre froide — lorsqu’elles atteignent le noyau.
Il faut préciser que si le noyau était inerte, sans rotation, comme certains l’entendent, la durée de passage de ces ondes ne changerait jamais — pourtant, c’est le cas. C’est pourquoi la seule explication cohérente est que le noyau interne tourne, déviant ces ondes.
Dans cette étude, les co-auteurs de l’étude Yi Yang et Xiaodong Song, sismologues à l’Université de Pékin, se sont appuyés sur l’analyse des ondes sismiques enregistrées depuis les années 1960 jusqu’à nos jours.
Sur la base de leur analyse, ils affirment qu’au début des années 1970, par rapport à quelqu’un se tenant à la surface de la Terre, le noyau interne ne tournait pas. Depuis lors, le noyau interne se serait progressivement mis à tourner plus rapidement vers l’est, dépassant finalement la vitesse de rotation de la surface de la Terre. Par la suite, la rotation du noyau interne s’est à nouveau ralentie jusqu’à ce que sa rotation semble presque interrompue (vers 2009), avant de repartir dans le sens opposé.
Les auteurs expliquent à l’AFP : « Nous pensons que le noyau interne tourne, par rapport à la surface de la Terre, d’avant en arrière, comme une balançoire. Un cycle de ‘swing’ dure environ sept décennies, ce qui signifie qu’il change de direction environ tous les 35 ans ». Ils ajoutent que la prochaine volte-face aurait lieu au milieu des années 2040.
Une nouvelle controverse ?
Des experts non impliqués dans l’étude ont exprimé leur prudence quant à ces conclusions, soulignant plusieurs autres théories et avertissant que de nombreux mystères subsistent au sujet du noyau de la Terre.
John Vidale, sismologue à l’Université de Californie du Sud, non impliqué dans la présente étude, explique à l’AFP : « Il s’agit d’une étude très minutieuse réalisée par d’excellents scientifiques qui ont fourni de nombreuses données. [Mais] aucun des modèles n’explique très bien toutes les données à mon avis ».
En 2022, J. Vidale a publié ses travaux quant à l’analyse des données sismiques issues d’une paire de tests atomiques antérieurs sous l’île d’Amchitka, à la pointe de l’archipel de l’Alaska — Milrow en 1969 et Cannikin en 1971. Il y identifia un cycle de six ans de super- et de sous-rotation, qui affectent la durée d’une journée.
Il déclarait dans un communiqué : « D’après nos découvertes, nous pouvons voir les changements de surface de la Terre par rapport à son noyau interne, comme les gens l’affirment depuis 20 ans. Cependant, nos dernières observations montrent que le noyau interne a tourné légèrement plus lentement de 1969 à 1971, puis a tourné dans l’autre sens de 1971 à 1974. Nous notons également que la durée du jour a augmenté et diminué comme on pouvait le prévoir ».
L’étude soutient la spéculation selon laquelle les oscillations du noyau interne sont liées à des variations de la durée du jour — plus ou moins 0,2 seconde sur six ans — et des champs géomagnétiques. Les auteurs soulignent que les résultats fournissent une théorie convaincante pour de nombreuses questions posées par la communauté des chercheurs.
John Vidale ajoute : « Le noyau interne n’est pas fixe — il bouge sous nos pieds et semble faire des allers-retours de quelques kilomètres tous les six ans. Nous nous sommes lancés dans l’espoir de voir le même sens et le même taux de rotation dans la paire de tests atomiques précédente, mais au lieu de cela, nous avons vu le contraire. Nous avons été assez surpris de constater que ça allait dans l’autre sens ».
Des changements en profondeur et des impacts en surface
Pour la présente étude, les observations sismiques révèlent donc que le noyau interne de la Terre oscille sur une période d’environ sept décennies. La périodicité multidécennale coïncide avec celle de plusieurs autres observations géophysiques, notamment les variations de la durée du jour et du champ magnétique terrestre, suggérant des interactions dynamiques entre les grandes couches de la Terre.
Effectivement, les chercheurs de l’Université de Pékin affirment dans leur article que : « Ces observations fournissent des preuves d’interactions dynamiques entre les couches de la Terre, de l’intérieur le plus profond à la surface, potentiellement dues au couplage gravitationnel et à l’échange de moment cinétique du noyau et du manteau à la surface ».
Il faut rappeler de plus que l’année dernière a vu la Terre ralentir sa rotation de façon inexpliquée sans qu’aucune des hypothèses ne soit totalement concluante. Notre planète bouge et évolue, indépendamment de nos préoccupations. Nous nous targuons d’être un moteur de changement pour la Terre, mais de telles découvertes nous ramènent à notre juste place, face aux forces physiques qui nous dominent. Certes, nous influençons les milieux auxquels nous avons accès, mais le cœur de la Terre et le champ magnétique modèlent nos vies de manière bien plus grande que nous le postulions jusqu’ici.
Sans compter qu’au cours des 200 dernières années, le champ magnétique terrestre s’est affaibli d’environ 9% en moyenne mondiale, sans que cela ne soit vraiment expliqué, sauf un possible retournement des pôles magnétiques de la Terre. Rappelons que les pôles magnétiques Nord et Sud de la Terre changent à intervalles irréguliers, en moyenne tous les 200 000 ans environ, et l’événement pourrait avoir un effet dramatique sur l’environnement et la technologie.
Mais si la rotation du noyau interne a bien une plus grande influence sur notre champ magnétique et peut potentiellement l’affaiblir, cela induirait une petite quantité de rayonnement solaire supplémentaire pouvant atteindre la surface de la Terre. Les auteurs concluent : « Nous espérons que nos recherches motiveront les chercheurs à concevoir et à tester des modèles considérant la Terre comme un système dynamique intégré ».