Une mystérieuse culture à l’origine du plus grand et plus ancien observatoire solaire des Amériques

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Vue aérienne du temple de Chanquillo près de Casma, au Pérou. | AFP, Janine Costa
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Bien qu’elles ne soient pas aussi anciennes que des sites comme Stonehenge, les ruines du plus grand observatoire des Amériques, connues sous le nom de Chanquillo, sont considérées comme un « chef-d’œuvre du génie créatif humain ». Elles présentent des caractéristiques uniques, qui ne se trouvent nulle part ailleurs dans le monde. Ce site archéologique continue de déconcerter les scientifiques quant à la culture qui l’aurait créé.  

En 2021, près de 2400 ans après sa construction, l’ensemble archéoastronomique de Chanquillo (ou Chankillo) obtient la reconnaissance internationale en étant classé au patrimoine mondial de l’Unesco. La signification de ces ruines, datant d’environ 400 ans av. J.-C., situées sur une colline près de la côte péruvienne, à 370 kilomètres au nord de Lima, a longtemps été un mystère pour les scientifiques et les historiens.

En effet, les chercheurs n’ont fouillé l’observatoire solaire qu’au début du XXIe siècle, entre 2000 et 2003. Ils ont trouvé des bâtiments — en position miroir exacte les uns des autres — à l’est et à l’ouest d’une colline comportant 13 tours, avec des points d’observation pour regarder le Soleil se lever et se coucher sur l’horizon denté. Selon une étude publiée dans Science en 2007, les tours de Chanquillo marquent la progression du soleil dans le ciel. De par sa localisation dans le désert côtier entre la rivière Casma du Pérou et la rivière Sechin, ce site pourrait être attribué à la culture Casma-Sechin.

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Un culte du soleil bien plus ancien que les Incas

La « zone archéologique monumentale » de Chanquillo s’étend sur 17,4 km². Elle contient une rangée de 13 tours de pierre qui, ensemble, tracent l’horizon d’une colline, du nord au sud. Outre cette structure remarquable connue sous le nom de Treize Tours, les ruines de l’observatoire comprennent également un complexe à trois murs, au sommet d’une colline appelé le Temple fortifié. L’observatoire et son centre cérémoniel étaient protégés par cette forteresse aux murs de pierre et de boue, associés à des troncs de caroubier pour les portes monumentales.

Au bout d’un couloir de 40 mètres de long, dans le bâtiment à l’ouest des tours, les chercheurs ont trouvé des poteries, des coquillages et des artefacts en pierre, dans une zone réservée peut-être aux plébéiens ayant participé à des rituels liés aux observations solaires.

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Vue aérienne des 13 tours de Chanquillo. © lDARQ, Ivan Ghezzi

Des études antérieures ont montré que les Incas — des autochtones d’Amérique du Sud dont l’empire s’étendait du nord de l’Équateur au centre du Chili de 1100 aux années 1530 — avaient construit des sites pour marquer les observations solaires vers 1500. En comparaison, la première partie de Stonehenge — des ruines mégalithiques dans le sud de l’Angleterre censées être en corrélation avec le lever et le coucher du Soleil et de la Lune — aurait été achevée vers 3000 av. J.-C.

Cependant, la découverte de 2007 place les cultes du Soleil dans les Amériques à une date antérieure à celle des Incas. Ivan Ghezzi, de la Pontificia Universidad Catolica del Peru et auteur principal de l’étude de 2007, déclare : « Chankillo a été construit environ 1700 ans avant que les Incas ne commencent leur expansion. Maintenant, nous savons que ces pratiques sont un peu plus anciennes et étaient très développées à l’époque de Chankillo ».

Comme mentionné plus haut, les chercheurs semblent attribuer cette construction à la culture Casma-Sechin. Semblable aux Incas, cette civilisation aurait probablement considéré le Soleil comme une sorte de divinité. Les escaliers menant à chaque tour suggèrent fortement que le site était autrefois utilisé pour des rituels. Selon les fouilles archéologiques, l’observatoire a probablement été construit entre 500 et 200 avant notre ère. Puis, pour une raison inconnue, le site a été abandonné et les tours se sont délabrées. À leur apogée, les archéologues expliquent que les structures auraient été enduites de jaune, d’ocre ou de blanc et peintes de symboles ou d’empreintes de mains.

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Offrande de « fertilité » récupérée dans la tour 1. © Ivan Ghezzi

Selon l’Unesco, ce site est la preuve d’une grande innovation en utilisant le cycle solaire et un horizon artificiel pour marquer les solstices, les équinoxes et toutes les dates de l’année avec une précision d’un à deux jours. « Il s’agit donc d’un témoignage de l’aboutissement d’une longue évolution historique des pratiques astronomiques dans la vallée de Casma ».

En effet, comme beaucoup de vallées côtières du Pérou, Casma a longtemps été une « oasis » pour les civilisations humaines dans un environnement autrement inhospitalier. Le bassin de la rivière Casma-Sechin descend les pentes occidentales de la chaîne de montagnes des Andes, à travers l’un des déserts les plus secs du monde, un paysage fait de contreforts arides, de plaines sablonneuses et de vallées étroites, qui est resté géologiquement relativement inchangé depuis le Pléistocène. Malgré cet environnement extrême, la région témoigne, par de nombreux sites archéologiques, d’une longue période d’occupation (4500 ans) de la période archaïque aux Incas, suggérant qu’elle a toujours été un important centre cérémoniel régional. Malheureusement, seules les structures cérémonielles survivent désormais, car étant établies sur des terres non destinées à l’agriculture. Les autres sites ont été détruits pour la culture ou l’élevage.

Un instrument calendaire de grande précision

Le complexe cérémoniel comprend donc les 13 tours de Chanquillo, allant du nord au sud le long d’une crête basse, et s’étendant sur 300 mètres pour former un horizon denté utilisé pour les observations solaires.

D’abord, il faut savoir qu’en plus du mouvement quotidien d’est en ouest, du point de vue de la Terre, le Soleil se déplace également vers l’est à travers le ciel, selon une trajectoire nommée écliptique, au cours d’une année. L’axe de la Terre n’est pas perpendiculaire à l’écliptique, mais incliné d’un peu plus de 23 degrés. Les combinaisons de ces positions déterminent, jour après jour, où le Soleil se trouve au-dessus de l’horizon.

De fait, au cours de l’année, on peut observer le lever et le coucher du Soleil à différents endroits, par rapport à notre horizon et pour des durées différentes. Par exemple, dans l’hémisphère Nord, autour du solstice d’été — le 21 juin — le Soleil monte le plus haut dans le ciel et reste visible plus longtemps. Vue des deux points d’observation de Chanquillo, la succession des tours le long de l’horizon correspond très étroitement à l’amplitude de mouvement des positions de lever et de coucher du Soleil, au cours de l’année.

C’est ainsi qu’au solstice d’été, par exemple, le lever du Soleil émerge à droite de la tour la plus à droite. Alors qu’au solstice d’hiver, le lever du Soleil émerge à gauche de la tour la plus à gauche.

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Lever de soleil du solstice d’été au-dessus de la structure, en juin. © IDARQ

Les tours de Chanquillo ont été si soigneusement placées que lorsqu’un spectateur se tient à un point d’observation spécifique sous la crête, il peut prédire la période de l’année, à deux ou trois jours près, en se basant uniquement sur le lever ou le coucher du Soleil. Le point d’observation regardant à l’ouest vers la crête — structure de l’Observatoire — utilise le coucher du soleil. Le point d’observation à l’est se trouvant dans un emplacement symétrique, utiliserait le lever du soleil.

Une fois que le Soleil a commencé à s’éloigner de l’une de ses positions extrêmes (lors des solstices ou équinoxes), les tours et les espaces entre elles fournissent un moyen de suivre la progression du Soleil de haut en bas à l’horizon, avec une précision de quelques jours. L’équinoxe de septembre, par exemple, est défini lorsque le Soleil se couche entre la sixième et la septième tour.

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Le coucher de soleil de l’équinoxe de septembre. © Capture d’écran YouTube du World Monuments Fund

Ivan Ghezzi conclut : « Chankillo est sans doute le plus ancien calendrier solaire qui puisse être identifié comme tel avec confiance dans les Amériques. De nombreux sites indigènes américains se sont avérés contenir une ou quelques orientations solaires putatives. Chankillo, en revanche, fournit un ensemble complet de marqueurs d’horizon et deux points d’observation uniques et incontestables ».

Même dépouillés de décoration et en train de s’effondrer, les vestiges de ces tours de pierre enregistrent toujours fidèlement les jours de l’année. Leur entrée dans le patrimoine mondial leur donne une protection de plus quant à leur conservation, malgré les grandes difficultés financières et politiques au Pérou. D’ailleurs, des efforts de conservation sont en cours pour maintenir l’exactitude de l’ancien calendrier, notamment grâce à un partenariat avec le World Monuments Fund.

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