Le PDG sortant de Boeing admet que l’entreprise a exercé des représailles contre les lanceurs d’alerte

pdg boeing lanceurs alerte
| Getty Images
⇧ [VIDÉO]   Vous pourriez aussi aimer ce contenu partenaire

Lors d’une audience au Sénat américain mardi dernier, David Calhoun, le PDG sortant de Boeing, a admis que l’entreprise a exercé des représailles contre les lanceurs d’alerte qui avaient soulevé de problèmes de sécurité sur différents avions. Alors que le géant de l’aérospatial fait l’objet de critiques toujours plus virulentes depuis les décès très médiatisés de deux lanceurs d’alerte, l’aveu du PDG pourrait enfin lever le voile sur le mystère entourant l’affaire.

Boeing est depuis peu sous les feux des projecteurs en raison de problèmes techniques et d’incidents graves impliquant plusieurs de ses appareils. Parmi les plus marquants figure par exemple celui du 5 janvier de cette année, au cours duquel la porte-bouchon d’un Boeing 737 Max de la compagnie Alaska Airlines s’est détachée en plein vol. Cela a déclenché une vague de polémiques, qui a par la même occasion rappelé que la série 737 Max est également impliquée dans des accidents dramatiques survenus en 2018 et 2019 et qui ont coûté la vie à 346 personnes.

Ces accidents successifs se sont produits malgré les avertissements de plusieurs lanceurs d’alerte, dont le désormais tristement célèbre John Barnett. Ce dernier avait signalé des problèmes dans le processus de contrôle qualité pour les Boeing 787 et 737 Max. Cependant, en plein milieu d’une action en justice contre l’entreprise au mois de mars dernier, l’ancien ingénieur a été retrouvé mort dans sa voiture dans le parking d’un hôtel.

:: LE T-SHIRT QUI SOUTIENT LA SCIENCE ! ::

Le mois suivant, Joshua Dean, ancien auditeur qualité chez Spirit AeroSystems (un fournisseur de Boeing) est décédé d’une mystérieuse infection. Il avait, lui aussi, déposé une plainte concernant les négligences et le silence de l’avionneur en matière de sécurité de ses appareils. Sam Salehpour, un autre lanceur d’alerte, s’est aussi manifesté le même mois pour dénoncer l’entreprise d’avoir bâclé la construction et l’assemblage des fuselages des Boeing 787. Selon lui, ces appareils risquent à long terme de se disloquer en plein vol.

Depuis l’ouverture de l’enquête fédérale concernant ces incidents et les différents témoignages contre l’entreprise, le Sénat américain aurait été contacté par d’autres lanceurs d’alerte issus non seulement du secteur aéronautique, mais disposant également d’une connaissance directe des opérations et des politiques de Boeing. « Nous avons à ce stade plus d’une douzaine de lanceurs d’alerte, et nous les encourageons davantage à se manifester », a déclaré le sénateur Richard Blumenthal lors de l’audience de mardi.

Ces témoins ont affirmé avoir subi de lourdes représailles et des harcèlements de la part de la société, après avoir soulevé des questions concernant les problèmes qu’ils avaient constatés. Cela suggère que l’entreprise a instauré une politique d’intimidation pour décourager les critiques et poursuivre des pratiques non conformes aux normes de sécurité.

Des réponses évasives et contradictoires

Selon les témoins, l’entreprise a imposé un rythme intenable pour l’assemblage des avions, l’objectif étant d’accélérer le processus de production. En conséquence, de nombreux processus sont bâclés et les appareils ne respectent pas les normes de sécurité. Les travailleurs sous pression assemblaient délibérément des pièces de mauvaise qualité. L’entreprise a d’ailleurs été plusieurs fois pointée du doigt pour prioriser la productivité au détriment de la qualité, comme nous l’avons rapporté dans un précédent article d’investigation.

« C’est une culture qui continue de donner la priorité au profit, de repousser les limites et de mépriser ses travailleurs », a déclaré Blumenthal dans son discours d’ouverture, selon CNN. « Une culture dans laquelle ceux qui s’expriment sont réduits au silence et mis à l’écart tandis que les reproches internes (dans l’usine) sont rejetés ».

D’autre part, la famille de Barnett a révélé qu’il souffrait de stress chronique provoqué par le procès, ainsi que d’anxiété et de troubles de stress post-traumatique (SSPT). Ces affirmations ont été confirmées dans le rapport du coroner qui a effectué son autopsie.

Lors de l’audience, Blumenthal a questionné Calhoun sur le nombre d’employés ayant fait l’objet de mesures disciplinaires ou licenciés, après qu’ils ont soulevé ces problèmes. Bien qu’évasive, la réponse du PDG sortant était révélatrice : « je n’ai pas ce chiffre sur le bout de la langue, mais je le connais [et] je sais que ça arrive ». Il a d’ailleurs adressé des excuses aux familles des victimes des accidents avec les Boeing 737 Max, qui étaient présentes au cours de l’audience.

Cependant, le PDG ne semblait pas considérer cela comme un aveu de culpabilité. Paradoxalement à ses précédentes déclarations, il a affirmé vouloir encourager ses employés à s’exprimer. Il s’est en outre opposé aux allégations selon lesquelles l’entreprise aurait des problèmes de sécurité persistants.

Par ailleurs, la Federal Aviation Administration admet avoir une part de responsabilité dans l’affaire, en affirmant avoir été trop négligente dans la surveillance du constructeur. En cause, l’agence estime ne pas avoir suffisamment d’inspecteurs de l’aviation qualifiés. Toutefois, les réponses évasives et contradictoires de Calhoun suggèrent que l’affaire est encore loin d’être véritablement résolue.

Laisser un commentaire