Pour la première fois, des physiciens créent un cristal de Wigner, une structure exclusivement faite d’électrons

première image cristal Wigner
Le motif caractéristique d’un cristal de Wigner sous une feuille de graphène. | H. Li et al./Nature
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Le concept était jusqu’à présent purement théorique. Prédite pour la première fois en 1934 par Eugene Wigner, cette structure — communément appelée « cristal de Wigner » — serait exclusivement composée d’électrons, positionnés de telle manière qu’ils ne se repoussent pas les uns les autres et restent stables. C’est la première fois que des scientifiques créent et parviennent à imager un tel cristal.

Si les conditions sont réunies, certains des électrons se trouvant à l’intérieur d’un matériau s’organiseront en une structure ordonnée, en nid d’abeille, formant en quelque sorte un solide dans un solide, dénommé « cristal de Wigner ». Des signes de ces cristaux ont été observés pour la première fois en 1990, dans des gaz d’électrons 2D soumis à un champ magnétique élevé ; plus récemment, ils ont été signalés dans des super-réseaux moirés de dichalcogénure de métal de transition.

Ces quelques preuves étaient déjà assez convaincantes et ont permis de mesurer certaines propriétés ; mais obtenir une preuve indéniable — soit l’observation directe du réseau cristallin de Wigner en 2D, dans l’espace réel — demeurait jusqu’à présent un défi de taille. Une équipe du Lawrence Berkeley National Laboratory rapporte avoir réussi à organiser les électrons dans un réseau en nid d’abeille, en les prenant en sandwich dans un champ électrique entre deux couches minces atomiques de composés de tungstène, image à l’appui. Parvenir à dompter les électrons de cette manière constitue une incroyable réussite expérimentale.

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Une structure propice à l’apparition du phénomène

Pour créer leurs cristaux de Wigner, les physiciens ont construit un appareil contenant de fines couches atomiques de deux semi-conducteurs similaires : le disulfure de tungstène (WS2) et le diséléniure de tungstène (WSe2). Puis, à l’aide d’un champ électrique, ils ont réglé la densité des électrons qui se déplaçaient librement le long de l’interface séparant les deux couches.

Dans les matériaux ordinaires, les électrons se déplacent trop rapidement pour être affectés de manière significative par la répulsion entre leurs charges négatives. Mais Wigner a prédit que si les électrons se déplaçaient suffisamment lentement, cette répulsion commencerait à dominer leur comportement ; les électrons adoptent dans ce cas un arrangement qui minimise leur énergie totale — typiquement un motif en nid d’abeille. Les chercheurs ont donc ralenti les électrons en le refroidissant à quelques degrés seulement au-dessus du zéro absolu.

La structure même du dispositif utilisé a contribué à former des cristaux de Wigner : les atomes de chacune des deux couches de semi-conducteur sont disposés à des distances légèrement différentes, de sorte que leur association crée un motif moiré en nid d’abeille, semblable à celui que l’on observe en superposant deux grilles, explique un article de Nature accompagnant la publication. Ce motif répétitif crée des régions d’énergie légèrement inférieure, ce qui aide les électrons à se stabiliser.

Des images obtenues grâce à une feuille de carbone

Aucun dispositif d’imagerie classique n’aurait pu prendre des images du cristal ainsi formé, l’équipe a donc dû faire preuve de créativité : pour observer leur cristal, ils ont utilisé un microscope à effet tunnel (ou STM, pour scanning tunneling microscope), qui utilise une sonde pour détecter l’emplacement exact des électrons en observant comment ils réagissent à une minuscule décharge électrique. Concrètement, une pointe métallique plane au-dessus de la surface de l’échantillon, puis une tension fait sauter les électrons de cette pointe, créant un courant électrique ; ainsi, lorsque la pointe se déplace sur la surface, le changement d’intensité du courant révèle l’emplacement des électrons au sein de l’échantillon.

« Il s’agit d’un grand progrès que d’être capable d’effectuer un STM sur ce système », a déclaré Carmen Rubio Verdú, physicienne à l’Université Columbia de New York. Les premières tentatives visant à imager le cristal de Wigner via STM ont échoué ; appliqué directement sur le dispositif à double couche, le courant détruisait malheureusement ces arrangements très fragiles. L’équipe a eu l’idée d’ajouter une couche de graphène — soit une feuille de carbone d’un atome d’épaisseur — pour protéger le dispositif.

Il se trouve que la présence du cristal de Wigner a légèrement modifié la structure électronique du graphène situé juste au-dessus, ce qui a ensuite été capté par le STM. Les images obtenues montrent clairement la disposition typique des électrons de Wigner sous-jacents. Comme prédit par la théorie, les chercheurs ont constaté que les électrons consécutifs dans ce cristal sont près de 100 fois plus éloignés les uns des autres que les atomes dans les cristaux réels du dispositif semi-conducteur.

Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’ils suggèrent que la même méthode, combinant graphène et STM, pourrait être utilisée pour examiner de nombreux autres phénomènes physiques. « La technique est non invasive par rapport à l’état que vous voulez sonder. Pour moi, c’est une idée très intelligente », confirme Kin Fai Mak, physicien à l’Université Cornell d’Ithaca, dans l’Etat de New York.

Source : Nature, H. Li et al.

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