C’est au Canada en 1922, qu’un garçon de 14 ans a reçu la toute première injection d’insuline pour traiter un diabète mettant sa vie en danger. Durant la même année, des chercheurs ont commencé à tester des types d’insuline par voie orale, dans l’espoir de soulager les personnes atteintes de diabète qui doivent se faire des injections quotidiennes. Comme vous l’imaginez, cet effort a échoué, de même que des dizaines de tentatives similaires.
Mais aujourd’hui, il existe un espoir réaliste quant à la prise de l’insuline par voie orale. En effet, un groupe de chercheurs a réussi à mettre au point une capsule qui, une fois ingérée, fait un minuscule trou dans la muqueuse de l’estomac pour délivrer de l’insuline, ou d’autres médicaments dit biologiques, qui ne peuvent pas être pris par voie orale en temps normal.
De plus, d’autres groupes de recherche ont également réalisé des progrès dans le domaine de l’administration orale de médicaments (qui normalement s’injectent). Cela suscite donc l’espoir que, pour de nombreux patients, les injections douloureuses puissent bientôt faire partie du passé. « Je pense que cela va complètement transformer la manière dont les patients prennent leurs médicaments », a déclaré Samir Mitragotri, ingénieur biomédical à l’Université Harvard.
Par le passé, ce type d’optimisme a toujours été terrassé par l’environnement extrêmement hostile de l’estomac et de l’intestin, qui, jusqu’à présent, a toujours réussi à déjouer les nombreuses tentatives des scientifiques à administrer par la bouche certains médicaments complexes et délicats. « Nous continuons d’essayer parce que c’est un domaine tellement important », a déclaré Mir Imran, directeur de Rani Therapeutics, une entreprise de San Jose, en Californie, qui travaille à la commercialisation de produits biologiques oraux.
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Contrairement aux produits pharmaceutiques traditionnels, qui sont de petites molécules que le tube digestif absorbe facilement, les produits biologiques sont généralement des protéines : soit de grosses molécules lourdes produites par des microbes, ou d’autres cellules vivantes. À savoir que 7 médicaments sur 10 des plus vendus aux États-Unis sont des produits biologiques.
Malheureusement, les produits biologiques sont également plus susceptibles de se dégrader dans l’estomac, où leur pénétration dans le sang sera empêchée par d’épaisses couches de mucus et de cellules épithéliales qui tapissent l’estomac et les intestins. De ce fait, passer au-delà de ces défenses « constitue honnêtement l’un des plus grands défis en matière de développement de médicaments », a déclaré Carlo Giovanni Traverso, gastro-entérologue et bio-ingénieur à la Harvard Medical School de Boston et au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge.
Au cours de ces dernières années, des sociétés pharmaceutiques ont réussi à encapsuler plusieurs petites protéines, appelées peptides, dans des produits chimiques connus sous le nom d’agents améliorant la perméation, qui favorisent l’absorption par l’intestin grêle. Malheureusement, la plupart des agents améliorant la perméation permettent à moins de 1% des peptides de passer dans le sang.
C’est pour cette raison que l’équipe de recherche de Mitragotri, à Harvard, tente d’améliorer l’approche. En 2018, lui et ses collègues ont déclaré avoir encapsulé de l’insuline dans un liquide ayant la consistance du miel. Puis, lorsque la capsule se dissout dans l’intestin grêle, le liquide visqueux se glisse sur la muqueuse et perturbe brièvement la membrane lipidique des cellules situées à la surface, permettant ainsi à l’insuline, ou à d’autres médicaments, d’être absorbés.
Pas plus tard que la semaine dernière, Mitragotri et ses collègues ont formé une société de biotechnologie pour commercialiser cette nouvelle technologie. De même, Oramed Pharmaceuticals, une entreprise de biotechnologie basée à Jérusalem, est actuellement en train de tester des gélules d’insuline contenant des composants qui protègent la protéine des acides et des enzymes digestifs, et favorisent son absorption dans l’intestin grêle.
Mais Traverso, accompagné de Robert Langer, un expert en délivrance de médicaments du MIT, ainsi que leurs collègues, se sont tournés vers l’ingénierie : ils ont développé une pilule creuse avec une extrémité aplatie. La forme, ainsi que le centre de masse de la capsule près de l’extrémité plate, garantissent que la pilule se redresse dans l’estomac, sa surface plate faisant face à la muqueuse de l’estomac.
Juste à l’intérieur de l’extrémité plate de la pilule, faite de sucre, se trouve un minuscule ressort tendu surmonté d’une aiguille faite d’insuline solide. Dans l’estomac humide, le sucre commence à se dissoudre, permettant ainsi au ressort de pousser l’aiguille d’insuline dans la couche externe de l’estomac, où l’insuline se dissout et pénètre dans le sang.
L’équipe de recherche a déjà effectué des tests sur des rats et des porcs : chez ces derniers, la pilule permettait de délivrer les mêmes niveaux d’insuline dans le sang, qu’une injection standard sous-cutanée. De plus, les études histologiques n’ont montré aucun signe de dommages durables dus aux ponctions d’aiguilles internes quotidiennes. « Cette conception est très intelligente », a déclaré Edith Mathiowitz, ingénieure biomédicale à la Brown University. Cette dernière a tout de même ajouté que l’équipe de recherche devait veiller à ce que la création de perforations dans l’estomac, même minuscules, ne pose pas de problèmes de santé à long terme aux patients, et que les protéines ou bactéries indésirables ne puissent se glisser dans le sang en même temps que l’insuline.
L’entreprise Rani Therapeutics mise sur une ingéniosité similaire : les pilules de l’entreprise utilisent une réaction chimique déclenchée par le pH de l’intestin grêle pour générer du dioxyde de carbone, qui gonfle un minuscule ballon. Ce ballon presse une aiguille remplie de médicament à travers la muqueuse intestinale.
Bien entendu, cela pourrait encore prendre des années avant que chacune de ces technologies complète les études d’innocuité et d’efficacité. Mais, comme les pilules artificielles sont conçues pour fonctionner avec les médicaments existants, elles pourraient se répandre rapidement si elles sont approuvées.