Le tout premier variant identifié fin 2020 au Royaume-Uni, nommé B.1.1.7, est aujourd’hui présent dans au moins une soixantaine de pays et territoires selon l’Organisation mondiale de la santé. Considéré comme beaucoup plus contagieux, voire « plus mortel » selon la dernière déclaration de Boris Johnson — un fait qui reste toutefois à confirmer par les scientifiques, il est présenté par les médias comme une potentielle seconde pandémie. Comment ce variant parvient-il à se propager si facilement ?
Sarah Otto, spécialiste en biologie évolutionniste à l’Université de la Colombie-Britannique, étudie comment les mutations génétiques et la sélection naturelle se combinent au fil du temps pour façonner les populations. Le SARS-CoV-2, dont plus de 380’000 génomes ont été séquencés en l’espace d’un an par des scientifiques du monde entier, offre une occasion unique d’étudier en temps quasi réel l’évolution d’un organisme.
La spécialiste rappelle que si la plupart des mutations ne favorisent pas la survie d’un virus, il peut arriver qu’une mutation spécifique, ou un ensemble de mutations, lui confère un certain avantage. C’est a priori ce qu’il s’est produit pour ce variant britannique, qui apparaît plus transmissible grâce aux mutations qu’il porte. Restait à déterminer la raison de sa propagation extrêmement rapide.
Un signal de sélection particulièrement fort
Un virus porteur d’une mutation peut se multiplier de trois manières : parce que son hôte est un « super-épandeur », parce qu’il est amené dans une région encore non infectée, ou parce qu’il est introduit dans un nouveau segment de la population. Les deux dernières possibilités sont appelées des « événements fondateurs » : une augmentation rapide de la fréquence d’un variant donné peut être observée s’il est introduit dans un nouveau groupe et déclenche une épidémie locale.
Le variant B.1.1.7 apparaît toutefois comme une exception : au cours des deux derniers mois, sa fréquence a augmenté plus rapidement que les « non-B.1.1.7 » pratiquement chaque semaine et dans chaque région du territoire britannique. L’animation suivante illustre la propagation ultra rapide de cette nouvelle forme virale :
The spread of B.1.1.7 through England over November and December, with London inset at top-right. pic.twitter.com/fVfL0xijcx
— Theo Sanderson (@theosanderson) January 8, 2021
Cette prédominance rapide ne peut être expliquée par le premier type d’événement fondateur : en effet, la maladie était déjà répandue sur tout le territoire. De même, le variant n’a pas été introduit dans un nouveau segment de la population (suite à la réunion d’un grand nombre de personnes par exemple), car les mesures préventives en place à l’époque interdisaient déjà les grands rassemblements. Les experts en déduisent que le signal de sélection (pour une transmission plus élevée) est très fort chez ce variant.
À ce jour, les épidémiologistes ont conclu que B.1.1.7 est plus transmissible (mais rien n’indique qu’il soit plus mortel). Une équipe de chercheurs a ainsi estimé que ce variant augmente le nombre de nouveaux cas causés par un individu infecté (ce que l’on appelle le nombre de reproduction de base ou R0) de 40 à 80% ; une autre étude préliminaire a conclu que le variant est 56% plus transmissible en moyenne.
Une augmentation de 40 à 80% du R0 est tout de même remarquable. Mais Sarah Otto explique que même lorsque la sélection est aussi forte, l’évolution du virus n’est pas instantanée. Son équipe et elle ont réalisé une modélisation mathématique de cette évolution, qui montre que plusieurs semaines sont nécessaires pour que le variant atteigne une ascension fulgurante, car seule une petite fraction de la population est initialement porteuse du variant. Une conclusion corroborée par une étude canadienne. Ces quelques semaines de « répit » seront néanmoins indispensables pour préparer l’afflux massif de patients dans les unités de soins, dû à la croissance exponentielle des cas.
Une course contre l’évolution virale
Lorsque les scientifiques se sont penchés sur le génome du variant B.1.1.7, ils ont été étonnés de voir à quel point le virus initial avait muté en peu de temps : pas moins de 30 à 35 changements en une année ! Cette forme virale ne mute pas plus rapidement, mais semble avoir subi un épisode de changement rapide dans un passé récent. Ainsi, le virus pourrait avoir été transporté par une personne immunodéprimée. En effet, les personnes dont le système immunitaire est très faible combattent le virus en permanence : ils souffrent d’infections prolongées, car subissent des cycles de réplication virale récurrents, et n’offrent qu’une réponse immunitaire partielle… face à laquelle le virus évolue constamment !
Deux autres lignées virales, identifiées en Afrique du Sud (B.1.351) et au Brésil (P.1) font actuellement l’objet d’études approfondies. Ces variants montrent eux aussi un récent excès de mutations et se propagent rapidement parmi les populations locales ; les scientifiques rassemblent les données nécessaires pour confirmer qu’il s’agit ici encore d’une sélection pour une meilleure transmission et non le fruit du hasard.
À noter que les 23 mutations de B.1.1.7 et les 21 mutations de P.1 ne sont pas apparues au hasard dans le génome du virus : elles sont regroupées au niveau du gène codant pour la protéine de pointe — protéine qui permet au virus de se fixer aux cellules humaines et d’y pénétrer. L’un de ces changements, nommé N501Y, est apparu indépendamment dans les trois variants, ainsi que chez des patients immunodéprimés ; d’autres modifications sont communes à deux des trois variants. L’évolution parallèle des mêmes mutations, à la fois dans différents pays et chez différents patients immunodéprimés, suggère qu’elles véhiculent un avantage sélectif pour échapper au système immunitaire de l’hôte.
Les variants sont donc plus résistants face au système immunitaire. Mais comment expliquer le taux de transmission plus élevé d’un individu à l’autre ? Sarah Otto explique qu’il est malheureusement difficile de répondre à cette question, car trop de mutations se sont produites à la fois et sont à présent regroupées dans ces variants. Par conséquent, une seule de ces mutations (tout comme une combinaison de plusieurs mutations) peut être à l’origine d’une plus forte contagiosité. Par exemple, une étude a montré que la mutation N501Y « seule » ne présentait qu’un faible avantage de transmission, qui augmentait rapidement lorsqu’elle était associée à d’autres mutations (tel qu’observé dans le cas du variant B.1.1.7).
Aujourd’hui, la transmission de 40 à 80% plus élevée du B.1.1.7 — et potentiellement des autres variants B.1.351 et P1 — est le principal facteur à prendre en compte. Selon la spécialiste, qui évoque une « course contre l’évolution virale », ce variant britannique submergera de nombreux pays au cours des prochains mois et il est essentiel de vacciner les populations le plus rapidement possible, tout en limitant les interactions et les déplacements, pour endiguer ce flux de nouvelles formes virales.