Dormir un peu plus ? Cela pourrait nous faire du bien, et pas qu’un peu. En effet, lorsque nous ne dormons pas assez, ou lorsque nous retardons notre sommeil, un déficit apparaît dans les molécules nécessaires aux neurones pour fonctionner et communiquer de manière efficace.
Lorsque nous retardons le moment de nous coucher et de dormir, ou quand nous ne dormons pas assez, ce sont toutes nos capacités qui s’en voient pénalisées. Notamment nos capacités cognitives, qui sont améliorées lorsque nous sommes bien reposés et qui diminuent en cas de manque de sommeil.
Les facteurs qui produisent ces effets sont bien connus des neuroscientifiques : les signaux lumineux externes (jour) et la détection de l’obscurité (nuit), qui aident à définir notre rythme quotidien (rythme circadien), des gènes « d’horloge » qui agissent comme des chronomètres internes et des neurones qui se transmettent des signaux via les connexions synaptiques. Mais la façon exacte dont ces facteurs interagissent entre eux pour « restaurer » le cerveau lorsque nous dormons suffisamment, reste une énigme pour les scientifiques.
Les résultats d’une nouvelle étude mettent en lumière les synapses : les chercheurs ont pu démontrer que ces nœuds de communication neuronale sont le lieu où convergent les préparations internes au sommeil et les effets de nos comportements liés à ce dernier.
En effet, de véritables chronométreurs cellulaires préparent de manière rythmée les zones autour des synapses en prévision de la formation de protéines synaptiques, pendant le sommeil. Cependant, les nouvelles découvertes indiquent que les neurones ne parviennent pas à finir la création de ces protéines extrêmement importantes en l’absence de sommeil suffisant.
Ces résultats suggèrent que le cerveau « se prépare pour un événement, mais cela ne veut pas dire qu’il va avoir lieu », a déclaré Robert Greene, neuroscientifique au Southwestern Medical Center de l’Université du Texas (États-Unis) et qui n’a pas participé à l’étude. Greene qualifie ces études comme étant « fascinantes », affirmant qu’elles confirment un lien « longtemps soupçonné » entre la surveillance interne du temps et les habitudes liées au sommeil.
Lorsque nous commençons à somnoler, deux facteurs entrent en jeu : la « pression du sommeil », ou l’envie grandissante d’aller se blottir dans son lit au fur et à mesure que le temps passe et que nous restons éveillés, ainsi que notre horloge interne qui signale le moment habituel pour aller dormir.
Dans une autre étude, Sara B. Noya, de l’Institut de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Zürich (Suisse) et ses collègues, ont montré que chez la souris, l’horloge interne régit la génération rythmique d’instructions (ou transcriptions) pour la fabrication de protéines. Ils ont également découvert que le fait de céder à la pression du sommeil et de s’endormir, permettait de déclencher les dernières étapes de la production de protéines.
L’équipe de Noya a également découvert que, a deux moments clés dans une journée de 24 heures (soit juste avant de se réveiller et juste avant de s’endormir), des neurones situés dans des zones du cerveau liées à la cognition, accumulaient de réelles stations de signalisation de mesure du temps : « Les transcriptions de ‘temps de sommeil’ avaient tendance à concerner les protéines qui régulent la construction d’autres protéines, tandis que les instructions de type ‘heure de réveil’ concernaient les protéines liées au fonctionnement des synapses », ont expliqué les chercheurs. « Les molécules cachées préparent le terrain pour la ‘récupération rapide’ des synapses pendant le sommeil (…). Les souris dépourvues de ce gène d’horloge, qui est important, ne présentaient pas ces pics », ont-ils ajouté.
Cependant, avec un cycle de sommeil (réveil-repos) régulier, les protéines construites à l’aide de ces instructions ont également montré un pic de production à l’aube et au crépuscule. Mais, chez des souris privées de sommeil, Noya et ses collègues ont constaté que les cellules produisaient encore bon nombre des transcrits, mais que ces derniers ne permettaient plus la création des protéines associées. Ce résultat implique donc que le sommeil régule l’étape finale de la production de protéines (permettant notamment d’assurer la robustesse des synapses).
Toutes les protéines produites par ces cellules ne seront pas forcément utilisées directement de manière active. En effet, dans autre autre étude, Franziska Brüning, de l’Université Ludwig Maximilian de Munich et de l’Institut de biochimie Max Planck de Martinsried (Allemagne) et ses collègues, ont exploré l’utilisation rythmique de ces protéines.
L’attachement ou le retrait d’une molécule de phosphate agit comme une bascule pour activer ou désactiver les protéines, de sorte que les chercheurs ont examiné de près ce processus : ils ont découvert que les niveaux de protéines marquées avec des phosphates avaient également atteint un pic, deux fois (le pic le plus important se produisant juste avant le réveil). Et comme pour les protéines de la deuxième étude, la privation de sommeil diminuait l’intensité de ces pics.
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Les chercheurs ont effectué des mesures « toutes les quatre heures, ce qui constitue une avancée par rapport aux études antérieures portant généralement sur un point unique au cours d’une période de 24 heures », explique Chiara Cirelli, neuroscientifique à l’Université de Wisconsin Madison, qui a co-écrit un commentaire accompagnant les deux études. « C’est une analyse très complète, couvrant l’ensemble du cycle lumière-obscurité », explique-t-elle. Cirelli souligne l’importance d’isoler les régions synaptiques où ces molécules s’accumulent et se produisent : « les chercheurs ont pu déterminer quand les transcriptions étaient prêtes à l’emploi et quand les protéines (avec ou sans phosphates) étaient fabriquées ou utilisées », ajoute-t-elle.
Maria Robles, neuroscientifique à l’Université Ludwig Maximilian de Munich et co-auteure des deux articles, explique que les résultats distinguant les différentes étapes de la production et de l’activité des protéines sont révélateurs, démontrant que le cerveau dispose bien « d’une belle manière de contrôler » ces molécules.
Même si ces études ont été effectuées sur des souris, il faut savoir que « le cerveau de ces animaux s’est avéré être un substitut assez fiable à celui de l’humain », a déclaré Akhilesh B. Reddy, neuroscientifique à la Perelman School of Medicine de l’Université de Pennsylvanie, qui n’a pas fait partie des équipes de recherche ayant mené ces études.
L’ensemble de ces résultats, en plus de mettre en lumière l’importance des synapses, permettent également de mieux comprendre certaines implications sur la manière dont nous consolidons les souvenirs durant le sommeil, ainsi que de suggérer d’autres pistes pour des recherches futures.