La proportion d’individus adoptant un régime sans viande augmente peu à peu. Par principe écologique, par respect du bien-être animal, pour limiter leurs dépenses ou pour préserver leur santé, ces personnes se tournent vers des alternatives végétales, à base de protéines de soja et de blé. Toutefois, la qualité nutritive de ces produits est encore sujette à débat au sein de la communauté scientifique. Une nouvelle étude révèle que les protéines des substituts végétaux ne sont pas aussi bien assimilées que celles de la viande.
Selon un sondage Ifop mené en 2020 pour le compte de FranceAgriMer, 68% des répondants estiment que l’on consomme trop de viande en France, et 56% pensent que la production de viande a un impact négatif sur l’environnement. Pourtant, seuls 2,2% des personnes interrogées ont déclaré avoir adopté un régime sans viande. Près d’un quart d’entre elles ont toutefois réduit volontairement leur consommation, devenant ainsi des flexitariens. Mais réduire sa consommation de viande ou ne plus en manger du tout signifie que l’on écarte de son alimentation une source importante de protéines.
Or, les protéines sont essentielles à l’organisme : non seulement elles jouent un rôle structural (au niveau des muscles et de la peau), mais elles sont également impliquées dans bon nombre de fonctions biologiques, telles que l’immunité, la digestion ou le transport de l’oxygène. Un adulte de moins de 60 ans en bonne santé devrait ainsi consommer chaque jour 0,83 gramme de protéines par kilo de poids corporel, selon l’Anses. Les aliments à base de protéines végétales sont devenus courants, mais on ne sait pas exactement quelle quantité de ce nutriment parvient aux cellules humaines.
Des substituts de viande considérés comme « plus sains »
En dehors des protéines d’origine animale (que l’on trouve dans la viande, le poisson, les œufs et les produits laitiers), les aliments végétaux les plus riches en protéines sont les graines oléagineuses, les légumineuses ou encore les céréales. Ainsi, les aliments vendus comme substituts de viande sont le plus souvent conçus à base de soja ou de blé. Saucisses, steaks hachés, nuggets, escalopes panées existent aujourd’hui en version 100% végétale.
Pour imiter l’aspect et la texture de la vraie viande, les plantes sont déshydratées, réduites en poudre et mélangées à des assaisonnements. Ces mélanges sont ensuite chauffés, humidifiés et traités par une extrudeuse. Les consommateurs de ces produits pensent souvent qu’ils sont plus sains que les viandes animales. Et pour cause : la consommation de viande rouge et de charcuterie est associée à une augmentation du risque de cancer colorectal. En outre, les plantes utilisées pour fabriquer les substituts de viande sont pauvres en « mauvaises » graisses (les graisses dites saturées).
Cependant, des tests en laboratoire ont montré que les protéines végétales contenues dans les substituts ne se décomposent pas en peptides aussi bien que celles des viandes. Des chercheurs de l’Université d’État de l’Ohio ont exploré la question : ils ont entrepris de vérifier si les cellules humaines pouvaient absorber autant de peptides issus d’un substitut de viande que de peptides provenant d’un morceau de poulet.
Le substitut a été produit par extrusion, en utilisant des protéines de soja et de gluten de blé. Ils ont ensuite comparé les propriétés physicochimiques, la digestion in vitro et l’absorption cellulaire des peptides libérés pour chacun de ces deux aliments. Il ressort des résultats que les protéines du substitut végétal ne sont pas aussi accessibles aux cellules que celles de la viande.
Des protéines plus grosses et moins solubles
En apparence, les deux matériaux étaient similaires : une fois découpé, le substitut de viande présentait de longs morceaux fibreux, tout comme le vrai poulet. « L’analogue de viande a montré une plus grande dureté, mais un degré de texturation plus faible que le poulet », précisent les chercheurs. L’équipe a ensuite fait cuire des morceaux de ces deux « viandes », puis les a broyés avant de les décomposer à l’aide d’une enzyme digestive humaine — afin de simuler les processus de mastication et de digestion.
Des tests in vitro ont ensuite été réalisés sur des cultures de cellules Caco-2 — utilisées comme modèles de cellules épithéliales intestinales — pour estimer la quantité de peptides qui traversent cette paroi intestinale fictive pendant le transit (fixé ici à 4 heures). Les chercheurs rapportent qu’aucune cytotoxicité ni aucune réponse inflammatoire n’a été observée, dans le cas du substitut comme dans le cas du poulet. Toutefois, le substitut a montré une moindre perméabilité des peptides à travers les cellules Caco-2, soulignent-ils.
Les peptides du substitut avaient un poids moléculaire plus élevé et étaient moins solubles dans l’eau que ceux issus du poulet. De ce fait, ils n’étaient pas aussi bien absorbés par les cellules. Environ 2% de protéines en moins avaient été absorbées par les cellules intestinales dans le cas du substitut. La différence peut paraître faible, mais les chercheurs soulignent qu’ils n’ont utilisé ici qu’un modèle simplifié de paroi intestinale : dans le véritable intestin, les peptides doivent également traverser une couche de mucus avant d’atteindre les cellules épithéliales — encore moins de peptides végétaux pourraient donc être assimilés dans la réalité.
Selon l’équipe, ces résultats pourraient éventuellement être utilisés pour développer des produits plus sains. Il faudrait notamment identifier des ingrédients qui pourraient aider à stimuler l’absorption des peptides des substituts de viande d’origine végétale. En attendant, ces substituts de viande demeurent une bonne source de protéines, et peuvent être utilisés dans le cadre d’une alimentation équilibrée, concluent les chercheurs.