Alors que SpaceX a récemment demandé à la Federal Communications Commission l’autorisation de lancer une nouvelle salve de satellites en orbite pour compléter sa constellation Starlink, un rapport de la NASA révèle que l’agence est particulièrement inquiète du danger que représentent ces dizaines de milliers de satellites supplémentaires. Non seulement ces engins menacent la vie des astronautes au cours de leurs missions, mais ils pourraient également mettre toute la population en danger : leur présence nuit en effet à la détection des astéroïdes dangereux.
Après un avertissement émanant de l’Union astronomique internationale — qui a récemment créé un centre dédié à la protection du ciel, visant à atténuer l’impact négatif des constellations de satellites sur les observations optiques et radioastronomiques —, les mini satellites de l’Internet spatial sont une fois de plus pointés du doigt. « La NASA est préoccupée par la possibilité d’une augmentation significative de la fréquence des événements de conjonction et des impacts possibles sur les missions scientifiques et de vols spatiaux habités de la NASA », écrit l’agence dans son rapport, dont une copie a été publiée par le journaliste Michael Sheetz, sur son compte Twitter.
Cette fois-ci, la NASA vise directement SpaceX, qui souhaite lancer environ 30 000 satellites supplémentaires en orbite basse (il est prévu qu’à terme, l’essaim en comporte près de 42 000). Actuellement, près de 25 000 objets en orbite sont sous étroite surveillance, dont 6100 ont un périgée (le point de l’orbite au plus proche de la Terre) de moins de 600 kilomètres, rappelle l’agence. L’expansion de Starlink pourrait plus que doubler le nombre d’objets à suivre et multiplier par cinq le nombre d’objets situés à moins de 600 km. En plus d’augmenter le risque de collision, ces satellites posent d’autres problèmes majeurs.
Des images dégradées, un suivi d’astéroïdes parasité
Non seulement ces engins peuvent entrer en collision avec les missions habitées, mais ils peuvent également retarder les lancements spatiaux (qui doivent nécessairement se dérouler entre deux passages de satellites, ce qui réduit le nombre de fenêtres de lancement). La NASA souligne par ailleurs qu’ils causent des interférences avec les télescopes qui sont chargés de détecter et de suivre les astéroïdes qui peuvent potentiellement s’écraser sur Terre. En effet, une étude récemment publiée dans The Astrophysical Journal Letters, s’est intéressée à l’impact de ces satellites sur les observations astronomiques au sol, en particulier sur les données du Zwicky Transient Facility.
L’étude a révélé qu’entre novembre 2019 et septembre 2021, 5301 traînées de satellites observées peuvent être attribuées aux satellites Starlink. « Nous constatons que le nombre d’images affectées augmente avec le temps, à mesure que SpaceX déploie davantage de satellites. Les observations crépusculaires sont particulièrement touchées – une fraction des images striées prises au crépuscule est passée de moins de 0,5% fin 2019 à 18% en août 2021 », soulignent les auteurs de l’étude, qui estiment que lorsque la constellation Starlink atteindra 10 000 satellites, toutes les images ZTF prises au crépuscule pourraient être affectées.
De même, la NASA précise qu’environ 8% des images capturées par le télescope spatial Hubble — situé en orbite à 535 kilomètres de la Terre — sont déjà impactées par le passage de l’essaim Starlink. Or, la nouvelle demande de SpaceX inclut la mise en place de 10 000 satellites sur ou au-dessus de l’orbite d’Hubble, une situation qui pourrait plus que doubler la quantité d’images dégradées, précise l’agence.
La NASA rappelle qu’elle supervise actuellement environ 14 missions d’observation de la Terre (en cours ou en développement), visant principalement à étudier et surveiller le climat de la planète, qui impliquent toutes des instruments optiques et radio. Mais les 30 000 satellites supplémentaires de Starlink se retrouveront sur des orbites plus basses que la majorité de ces satellites scientifiques d’observation ; par conséquent, la lumière reflétée par ces milliers d’engins pourrait, là encore, nuire aux mesures effectuées.
Des satellites impliqués dans près de la moitié des rencontres rapprochées
Hugh Lewis, chef du groupe de recherche en astronautique de l’Université de Southampton, effectue régulièrement des estimations de la situation en orbite à partir des données de la base de données Socrates (Satellite Orbital Conjunction Reports Assessing Threatening Encounters in Space). L’an dernier, il affirmait que les satellites Starlink étaient chaque semaine impliqués dans environ 1600 rencontres rapprochées entre deux engins spatiaux — ces rencontres rapprochées impliquent que deux engins passent à moins de 1 kilomètre l’un de l’autre. Ils représentent à eux seuls près de la moitié de ces incidents. Selon les calculs de Lewis, une fois que SpaceX aura achevé la première phase de son projet (avec 12 000 engins en orbite), elle sera impliquée dans 90% des rencontres à risque.
De son côté, SpaceX assure que ses satellites sont équipés d’une capacité de manœuvre autonome pour éviter les collisions avec des débris spatiaux ou d’autres engins ; ils s’appuient notamment sur le système de suivi des débris du département américain de la Défense. Mais l’agence spatiale américaine semble sceptique sur ce point. Dans son rapport, elle recommande à SpaceX de « produire une analyse démontrant que la capacité d’automanœuvre est suffisamment évolutive pour la taille totale de la constellation proposée ».
Étant donné le nombre croissant d’engins en orbite et l’augmentation du risque de collisions, pour la NASA, il est clair que le risque zéro n’existe pas. « Il n’est pas recommandé de supposer que les systèmes de propulsion, les systèmes de détection au sol et les logiciels sont fiables à 100%, ni que les opérations manuelles (le cas échéant) sont exemptes d’erreurs à 100% », peut-on lire dans le rapport. Ainsi, il se pourrait que le lancement des 30 000 nouveaux satellites de Starlink soit différé, du moins, jusqu’à ce que SpaceX ait prouvé qu’ils ne représentaient pas de danger. La NASA encourage d’ailleurs l’entreprise à collaborer avec elle, afin que chacune des deux parties puisse continuer ses activités en toute sécurité.