Le sentiment de rejet et la douleur d’être exclu d’un groupe ne se limitent pas à l’acte lui-même. Une étude récente menée par des chercheurs canadiens s’est penchée sur la nature complexe des femmes confrontées à des conflits interpersonnels. Les résultats ont révélé que le stress généré par le rejet est également lié aux caractéristiques personnelles de celles qui imposent l’exclusion sociale. Plus précisément, les réactions cérébrales des participantes suggèrent que l’exclusion par des femmes peu attirantes est la plus douloureuse pour elles.
L’exclusion sociale se définit comme « un processus de mise à l’écart de la société, d’un individu ou d’un groupe d’individus, dans des positions considérées comme inférieures ». Serge Paugam, directeur de recherche au CNRS, a analysé cette situation à travers le concept de disqualification sociale. En tout état de cause, il s’agit d’une agression indirecte qui affecte non seulement le bien-être émotionnel d’une personne, mais aussi son bien-être psychologique.
Une recherche antérieure menée par Lynn KL Tan et ses collègues a exploré les raisons pour lesquelles les personnes qui se considèrent attirantes pensent également occuper une position élevée dans les hiérarchies sociales. Les résultats de leur étude ont incité la professeure Tracy Vaillancourt de l’Université d’Ottawa à réaliser une nouvelle recherche. Elle a ainsi tenté de comprendre si le rejet est plus douloureux pour les femmes lorsqu’il émane de femmes belles et cruelles plutôt que de femmes ne possédant pas ces caractéristiques. L’étude s’est ainsi concentrée sur les bases neurologiques et comportementales des femmes lorsqu’elles subissent une exclusion sociale par leurs pairs.
« J’étudie la compétition et l’agressivité chez les femmes depuis des années. Cette étude représente une tentative de mieux comprendre les interactions interpersonnelles des femmes », a déclaré l’auteure de l’étude, Tracy Vaillancourt. « Comme les femmes ayant le plus de pouvoir sont généralement belles et méchantes, nous pensions que les femmes rejetées par ce type de femmes seraient les plus blessées », a ajouté Vaillancourt dans un communiqué de l’Université d’Ottawa.
La composante cérébrale P300 au cœur de l’étude
Au total, 87 jeunes femmes âgées de 18 à 22 ans ont participé à l’étude. Elles étaient toutes étudiantes de premier cycle, issues de diverses disciplines comme les sciences sociales, les sciences de la santé et les arts. Pour obtenir des résultats probants, l’équipe de Vaillancourt a veillé à inclure une grande diversité ethnique et raciale dans son échantillon.
Pour mener à bien la recherche, les scientifiques ont utilisé le jeu Cyberball, un jeu de lancer de balle en ligne fréquemment utilisé dans les études psychologiques. Les participantes pensaient jouer contre d’autres personnes, mais en réalité, elles jouaient contre des personnages fictifs (chaque joueur virtuel portait un t-shirt gris pour éviter toute influence de la tenue vestimentaire). L’activité cérébrale de chaque participante a été mesurée par électroencéphalogramme (EEG) afin de mesurer l’onde cérébrale P300 (P3), qui reflète la réponse du cerveau à des événements importants ou inattendus.
Les participantes ont été assignées de manière aléatoire à l’une des quatre situations où elles pouvaient être exclues par les joueurs fictifs : attrayant et amical, attrayant et antipathique, peu attrayant et amical, ou peu attrayant et antipathique. Durant l’expérience, les participantes recevaient le ballon des joueurs virtuels. Petit à petit, les chercheurs manipulaient le jeu pour que les participantes soient de plus en plus exclues, le ballon étant passé exclusivement entre les deux autres joueurs (fictifs). C’est au cours de cette phase d’exclusion que les chercheurs ont pu évaluer l’impact cérébral de la mise à l’écart sur chaque participante.
En analysant les résultats, l’équipe a fait une découverte surprenante : « Nous pensions que les femmes ayant un statut social plus élevé feraient plus de mal que celles ayant un statut social inférieur. Nous avons constaté le contraire. Les participantes étaient plus dérangées d’être exclues par des femmes peu attirantes et peu amicales », a déclaré Vaillancourt. Elle a expliqué que cette réaction est probablement due au fait que les participantes se sentaient offensées d’être rejetées par des femmes qu’elles percevaient comme moins attirantes qu’elles.
Après chaque partie, les jeunes femmes ont également été invitées à répondre à un questionnaire pour évaluer leur expérience d’exclusion. Comme les chercheurs l’avaient prédit, elles ont évalué négativement les femmes qui les excluaient. Cependant, l’équipe a constaté que, bien que les participantes n’appréciaient pas d’être rejetées par des femmes peu attirantes et peu amicales, elles ne les punissaient pas pour leur comportement d’exclusion. Selon Vaillancourt, elles s’en prenaient plutôt à celles qu’elles jugeaient attrayantes et peu amicales, en leur attribuant une note inférieure en matière d’attractivité.
« Ces résultats témoignent de la complexité des interactions entre femmes », explique Vaillancourt. Cependant, Vaillancourt souligne que cette étude est limitée par un échantillon restreint de jeunes étudiantes. « La prochaine étape consistera à reproduire cette étude pour voir si les résultats sont valables dans différents groupes sociaux et d’âge », a-t-elle conclu.