Près de deux ans après son précédent record (de 68 990 dollars), le Bitcoin a atteint une valeur historique de plus de 72 000 dollars, le 11 mars dernier. Bien que sa valeur oscille aujourd’hui autour des 65 000 dollars, elle semble s’être relativement stabilisée avant de remonter légèrement depuis le halving du 20 avril. Cependant, le Bitcoin ainsi que les autres cryptomonnaies étant sujets à de fortes fluctuations, cette rehausse est-elle suffisamment stable pour encourager les investissements ? Le Bitcoin peut-il désormais être considéré comme de « l’or numérique » ? Nous avons exploré ces questions avec l’appui d’un expert.
Depuis sa création dans les années 2000, le Bitcoin a des impacts majeurs sur les marchés financiers et les économies mondiales. Avec une capitalisation boursière actuellement estimée à 1,28 milliard de dollars, il a été le précurseur de la création d’un vaste marché de cryptomonnaies capitalisé à plus de 2000 milliards de dollars. La capitalisation boursière du Bitcoin représente ainsi à elle seule près de 40 % de celle de toutes les cryptomonnaies réunies, ce qui signifie qu’il constitue la force dominante du marché.
Avec sa capitalisation et les bénéfices atteignant des sommes démesurées, le Bitcoin devient toujours plus populaire auprès des investisseurs. L’un des aspects clés de son attractivité réside dans sa position « anti-autoritaire ». Cela se traduit par la possibilité d’effectuer des transactions financières sans qu’une institution financière supervise le processus et facture des frais. Cette facette constitue à elle seule une véritable révolution dans le monde financier.
« L’intrigue autour du Bitcoin est un peu comme la raison pour laquelle les gens sont attirés par les choses rares et précieuses, mais avec une touche du 21e siècle », a déclaré à Trust My Science José Almeida, enseignant-chercheur à l’ISEG (Institut supérieur d’économie et de gestion) de l’Université de Lisbonne. « Le Bitcoin n’est pas seulement la première cryptomonnaie, il s’agit pratiquement d’un nouveau type d’argent. Il représente cette idée radicale de transférer de la valeur sans avoir besoin d’un intermédiaire administratif, comme les banques ou les gouvernements », explique-t-il. Les transactions de pair-à-pair sont sécurisées par le biais du chiffrement à clé publique-privé, permettant de les effectuer sans l’intermédiaire d’une institution financière.
Bitcoin, le nouvel « or numérique » ?
Le Bitcoin a bénéficié de taux d’intérêt relativement bas, incitant certains investisseurs à acheter des actifs toujours plus risqués afin d’obtenir plus de rendement. Selon Almeida, « les histoires des premiers investisseurs qui ont transformé de petites sommes en fortune en ont fait une ruée vers l’or des temps modernes ». Les cryptomonnaies ont également permis une diversification inédite des portefeuilles d’investissement, les investisseurs ayant exploré la possibilité de se servir du Bitcoin pour couvrir différents actifs. « Il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent, mais de participer à une révolution financière », a indiqué l’expert en réponse à nos questions.
En outre, il est conçu pour être « anti-inflationniste », c’est-à-dire qu’à l’instar de l’or, il ne peut être dévalué par une banque en imprimant davantage de billets par exemple. En effet, le Bitcoin possède un nombre limité d’unités en circulation, qui plafonne à 21 millions de Bitcoins, « ce qui le rend très attrayant à une époque où les gens s’inquiètent de la perte de valeur de l’argent en raison de dépenses excessives des gouvernements, par exemple », explique l’économiste.
Cependant, le Bitcoin ne peut être considéré comme une valeur semblable à l’or en matière de protection contre la volatilité des marchés et l’inflation. La volatilité se traduit par l’ampleur des variations du cours d’un actif financier, permettant ainsi de quantifier les probabilités de rendement ou de perte. Lorsqu’elle est élevée, la possibilité de gain est plus importante, mais le risque de perte l’est aussi.
En effet, en tant qu’actif financier relativement jeune, il comporte un grand nombre d’incertitudes influencées par de nombreux facteurs. Bien que son cours se soit littéralement envolé à la mi-mars, des doutes persistent quant à la stabilité du marché. Alors que selon Almeida, les fluctuations du cours du Bitcoin « ressemblent à des montagnes russes », ses mouvements influencent l’ensemble du marché des cryptomonnaies. Néanmoins, après la crise crypto de 2022, son récent regain de valeur est-il porteur d’espoir ?
Les « montagnes russes du Bitcoin »
Le marché du Bitcoin est influencé par de nombreux facteurs faisant considérablement fluctuer son cours. Parmi les principaux figure son aspect novateur, donnant lieu à des transactions spéculatives basées sur la valeur perçue plutôt que sur la valeur intrinsèque. La valeur perçue correspond à la valeur que revêt un produit ou service dans l’esprit du consommateur. Elle n’a ainsi pas de lien direct avec sa valeur réelle ou son coût de production.
Ce côté subjectif rend le Bitcoin particulièrement vulnérable aux impacts des événements sociétaux. Par exemple, la chute la plus brutale a eu lieu en novembre 2022, lorsqu’il a connu une baisse de plus 14 % en une seule journée. L’ampleur était telle que son prix unitaire approchait les 15 000 dollars, après avoir oscillé autour des 45 000 dollars le mois d’avril précédent.
Cette chute a principalement été provoquée par la faillite de FTX, l’une des plus grandes plateformes d’échange de cryptomonnaies au monde. À l’apogée de son activité, elle comptait près d’un million d’utilisateurs. Les problèmes de l’entreprise étaient liés à une crise de liquidités sur son jeton privé. Sam Bankman-Fried, son fondateur, a parallèlement fait face à plusieurs accusations, notamment de fraudes, de blanchiment d’argent et de violation des lois sur le financement des campagnes électorales. Changpeng Zhao, fondateur de Binance (la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies) risque également une peine de prison après avoir plaidé coupable pour blanchiment d’argent.
Ces événements ont provoqué une vague de panique sans précédent et entamé considérablement la confiance des investisseurs. De plus, cela a également engendré une augmentation des restrictions quant aux mouvements des cryptomonnaies, les régulateurs s’étant rendu compte qu’elles étaient encore utilisées pour des activités illicites de grande ampleur. « Les nouvelles concernant les changements de réglementation ou les interdictions dans les principaux pays peuvent provoquer la panique ou l’euphorie, entraînant des hausses ou des baisses des cours [des cryptomonnaies] », nous explique Almeida.
D’autre part, « son marché [du Bitcoin] est également moins liquide que les actifs traditionnels tels que les actions [d’entreprises] ou l’or, de sorte que même de petites transactions peuvent faire varier les cours de manière significative », indique l’expert. Les actifs liquides peuvent être facilement vendus ou convertis en argent sans perdre beaucoup de valeur. Les facteurs sociopsychologiques sont également à prendre en compte. Par exemple, la peur de manquer (FOMO) peut entraîner des hausses de prix soudaines, tandis que la vente précipitée produit l’effet inverse.
Un gain de légitimité et de stabilité
La journée mémorable du 11 mars 2024 témoigne d’un regain d’intérêt considérable de la part des investisseurs, avec une valeur record de 72 273 dollars pour le Bitcoin. Ce retour en force est principalement dû à l’approbation de la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine des ETF Bitcoin au comptant (ou « EFT Bitcoin spot »).
Les EFT (Exchange Traded Fund) sont des fonds négociés en bourse qui suivent le cours du Bitcoin. En d’autres termes, si l’on place de l’argent dans ce fonds et que la valeur du Bitcoin augmente, la valeur de l’ETF augmente également et vice-versa. Ainsi, au lieu d’acheter directement du Bitcoin sur une plateforme spécifique, il est désormais possible d’investir dans un fonds ETF, coté en bourse. Cela signifie que la cryptomonnaie est désormais ouverte à la fois aux particuliers et aux institutions. Le terme « au comptant » signifie que c’est un fonds qui effectue des transactions avec le cours du moment, contrairement aux contrats de « trading » qui spéculent sur le cours à venir d’un actif.
Cette ouverture a introduit une dynamique positive et inaugure probablement une nouvelle ère pour les cryptomonnaies. « Les investisseurs institutionnels, autrefois sceptiques, achètent maintenant, ce qui ajoute une couche de légitimité et de stabilité », explique Almeida. En effet, étant la plus ancienne et la plus influente des cryptomonnaies, les mouvements du Bitcoin influencent l’ensemble du secteur en stimulant les investissements pour d’autres cryptomonnaies (memecoins inclus) et pour la technologie blockchain.
Par exemple, l’ETF iShares Bitcoin (IBIT) de BlackRock a acheté pour plus de 778 millions de dollars de Bitcoin uniquement sur la journée du 6 mars. Cela représente 12 600 Bitcoins entrant dans les coffres d’IBIT, ce qui a réduit l’offre totale disponible dans le monde et stimulé la hausse de son cours, sans compter l’augmentation de la demande. De son côté, l’Ethereum a aussi gagné en valeur, avec un gain de plus de 3 % (soit environ 4000 dollars) au cours des 24 heures suivant la rehausse du Bitcoin.
D’un autre côté, les progrès technologiques ont également contribué à la revitalisation du marché, notamment en rendant les transactions plus rapides et moins chères. « N’oublions pas non plus le contexte économique plus large : avec tant d’incertitudes et des banques centrales qui impriment de l’argent comme s’il n’y avait pas de lendemain, l’offre fixe du Bitcoin est de plus en plus attrayante », souligne l’analyste. Même s’il est peu probable qu’il puisse bientôt remplacer les monnaies traditionnelles, il oblige les gouvernements et les institutions financières à revoir leur politique monétaire et à envisager plus sérieusement les monnaies numériques.
Les impacts du dernier « halving »
La valeur du Bitcoin est aussi influencée par un événement appelé « halving » (ou réduction de moitié), qui a lieu tous les 210 000 blocs (qui forment la blockchain), soit tous les 4 ans environ. En effet, pour produire de nouveaux Bitcoins, il faut les miner en créant des blocs. De nouveaux Bitcoins entrent sur le marché environ toutes les 10 minutes à mesure que le minage s’effectue. Suite au halving, la récompense en Bitcoin décernée aux mineurs en échange de leur travail est divisée par deux, l’objectif étant de maintenir l’inflation sous contrôle en réduisant la quantité de Bitcoins en circulation (de sorte à respecter la limite de 21 millions de Bitcoins).
Au début du Bitcoin, un mineur recevait 50 Bitcoins pour chaque nouveau bloc créé. Lors du premier halving en 2012, ce chiffre est passé à 25 Bitcoins, puis à 12,5 lors du second halving, en 2016. Le dernier a eu lieu au petit matin du 20 avril, amenant la rémunération des mineurs à 3,125 Bitcoins par bloc. Cela a engendré une légère baisse du cours (environ 63 000 dollars) avant une rehausse rapide. Depuis, son cours stagne autour des 66 000 dollars. De son côté, le cours de l’Ethereum peut aussi connaître une hausse significative dans les mois qui suivent un halving du bitcoin (malgré une baisse de 11,39 % durant les dernières semaines).
Bien qu’il soit encore trop tôt pour en évaluer les impacts à long terme, les analystes envisagent plusieurs scénarios sur la base des halvings passés. Le premier scénario est une hausse du cours en raison de la réduction de l’offre et de l’augmentation de la demande. Même si la récompense des mineurs diminue à l’avenir (1,5625 Bitcoin dès 2028), leur motivation pourrait demeurer la même en raison de la hausse du cours du Bitcoin.
D’un autre côté, d’autres experts estiment que l’engouement pour les EFT Bitcoin ainsi que le dernier record de prix pourraient « essouffler le marché » (le ralentir). Cela signifierait que le dernier halving pourrait ne pas avoir les mêmes effets que les précédents sur le cours du Bitcoin, n’engendrant selon eux qu’une rehausse limitée. Pire encore, d’autres craignent une chute brutale du cours, qui pourrait aller jusqu’à la barre des 42 000 dollars, comme cela s’est produit pour le Bitcoin Cash en 2017, peu de temps après le halving. Nous en saurons plus dans les prochains jours.
Un avenir incertain ?
Avec ce regain d’intérêt, le Bitcoin reste-t-il un investissement risqué ? La réponse est oui, selon Almeida. Bien que son infrastructure ait beaucoup gagné en maturité, il reste volatil et sa valeur est toujours influencée par les transactions spéculatives, ce qui favorise le risque de rechutes soudaines. « Il est de plus en plus accepté dans le paysage de l’investissement, mais la prudence reste de mise », préconise l’expert.
En outre, les restrictions réglementaires et les failles de sécurité pourraient avoir des effets dissuasifs sur les investisseurs. Alors que les États-Unis sont les premiers à accepter les cryptomonnaies sur le marché boursier, d’autres pays, tels que la Chine, imposent encore de nombreuses restrictions en matière de cryptographie. D’un autre côté, alors que l’informatique quantique montre d’importantes avancées, une récente étude a suggéré qu’un ordinateur quantique suffisamment puissant pourrait littéralement pirater la blockchain.
En outre, le secteur est pointé du doigt pour ses impacts environnementaux qui seraient équivalents à l’extraction pétrolière — ce qui constitue un facteur de dissuasion majeur pour certains gouvernements. Ces coûts énergétiques pourraient aussi impacter les mineurs, d’autant plus que leur rémunération est désormais considérablement réduite par rapport aux premières années du Bitcoin. Au fil des halvings, certaines opérations deviendront non rentables et devront par conséquent être suspendues, surtout les plus énergivores.
L’un des moyens pour que le Bitcoin conserve ou augmente sa valeur est qu’il continue à être accepté comme un actif financier courant et que le soutien institutionnel soit maintenu. « L’adoption continue par les entreprises et les consommateurs pour les transactions solidifierait sa légitimité », estime Almeida. Les avancées technologiques permettant de surmonter les limites telles que le temps de traitement des transactions et la consommation énergétique, seraient aussi très utiles. Paradoxalement, l’informatique quantique pourrait remédier à ces problèmes, selon une récente étude.
Toutefois, Almeida et d’autres experts estiment tout de même qu’il est peu probable que le Bitcoin conserve une valeur élevée, étant notamment influencé par de nombreuses incertitudes. « Prédire l’avenir du Bitcoin, c’est comme essayer de prévoir le temps qu’il fera dans un mois — il y a tout simplement trop de variables », indique-t-il. La chute du Bitcoin du 20 mars concorde avec ces prévisions, lorsque sa valeur est descendue à moins de 62 000 dollars, soit une baisse de 8 %. Il s’agit de la chute la plus importante après la crise FTX. Bien que le halving ait fait évoluer les cours depuis, il risque tout de même de stagner.
Selon l’expert, bien que le paysage réglementaire du Bitcoin et de l’ensemble des cryptomonnaies ait évolué de manière conséquente, une poursuite de la volatilité est encore à prévoir. « Le Bitcoin et les autres cryptomonnaies joueront probablement un rôle important dans le façonnement de l’avenir de la finance, [mais] leur parcours est loin d’être terminé, et leur impact sur le système financier et la société est encore en phase d’élaboration », conclut-il.