Selon les projections, la population mondiale devrait augmenter de 2 milliards de personnes au cours des trente prochaines années, passant de 7,7 milliards actuellement à 9,7 milliards en 2050. Alors que près d’un tiers de la population se trouve déjà en insécurité alimentaire, la situation ne va pas aller en s’arrangeant et les scientifiques tentent de trouver de nouveaux moyens de subvenir aux besoins alimentaires de toute la planète. La viande de synthèse et les insectes font partie des pistes explorées, mais une autre stratégie consiste à trouver les moyens d’augmenter le rendement des cultures. Une équipe de chercheurs rapporte aujourd’hui des résultats encourageants, suite à l’essai d’une technique reposant sur la modification des performances spectrales des serres.
Le Dr Alexander Soeriyadi et le Dr Alexander Falber, spécialistes en chimie industrielle à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney, ont mis au point un matériau baptisé LLEAF (pour Luminescent-Light Emitting Agricultural Film), spécialement conçu pour augmenter la photosynthèse des plantes. Ce matériau en plastique, décliné en plusieurs modèles (selon les besoins des plantes en matière de lumière) est imprégné d’un colorant luminescent spécial, qui exposé à la lumière du soleil, absorbe et émet sélectivement l’une ou l’autre longueur d’onde.
« Les molécules de colorant absorbent les photons de la lumière principalement de la partie verte du spectre et émettent des photons de lumière principalement dans la partie rouge du spectre – décalant le spectre pour une absorption plus optimale par la chlorophylle », peut-on lire sur le site officiel du projet. Ces films plastiques peuvent être suspendus au sommet des serres, au-dessus des cultures, afin de stimuler leur croissance. L’objectif de LLEAF Pty Ltd est clair : augmenter durablement l’abondance de nourriture, grâce à l’utilisation de la manipulation passive de la lumière solaire.
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Une approche simple, pratique et écologique
Les longueurs d’onde rouges de la lumière solaire sont particulièrement favorables à la croissance des plantes, car elles stimulent la production de chlorophylle, essentielle à la photosynthèse. Des lampes dites « de croissance », à lumière rouge, sont d’ailleurs déjà fréquemment utilisées à cet effet, en particulier dans le secteur horticole. Mais ce genre de dispositif est relativement coûteux, consomme de l’énergie et par conséquent, peut difficilement s’appliquer à grande échelle.
En exploitant directement la lumière du soleil, Soeriyadi et Falber ont donc développé un moyen relativement simple et pratique d’adapter le spectre lumineux aux besoins de chaque plante. Leur technologie permet non seulement de doper le mécanisme de photosynthèse, mais peut également être appliquée pour simuler les changements saisonniers. Contrairement aux produits existants — conçus pour bloquer la lumière excessive en l’absorbant ou en la réfléchissant, réduisant ainsi la quantité totale de lumière —, les produits LLEAF ne bloquent que la lumière de faible valeur pour les cultures. En quelque sorte, le LLEAF est conçu pour « suralimenter » la lumière naturelle, en la décalant vers des longueurs plus bénéfiques à la croissance des plantes.
La technologie se décline en plusieurs modèles (LLEAF 620, LLEAF 590, LLEAF 730, etc.), chacun étant optimisé pour une longueur d’onde en particulier. Par exemple, le LLEAF 620 émet de la lumière de 600 à 680 nm, avec un pic à 620 nm. D’autres colorants sont en cours de développement.
Le film est fabriqué à partir de polycarbonate et sa durée de vie est estimée à plus de 10 ans ; au bout de 6 à 7 ans d’utilisation, les performances du produit diminueront d’environ 10%, précise la page de présentation du projet. En outre, cette approche est respectueuse de l’environnement : « Tous les produits LLEAF sont 100% recyclables. Nos colorants sont tous à base de carbone, naturellement dégradables et ne contiennent aucun métal », affirment ces concepteurs.
Lors de premiers essais en serre sur des cultures diverses, le matériau a montré des performances inattendues : pour le chou chinois (ou pak choï) en particulier, les rendements ont augmenté de près de 37% ! Un gain à deux chiffres qui a beaucoup surpris les professionnels du secteur — les serres étant déjà techniquement optimisées pour maximiser les rendements.
Un potentiel impact gustatif et nutritionnel qui reste à évaluer
Ce matériau est actuellement testé par une équipe de l’Université occidentale de Sydney (UWS), dirigée par le professeur David Tissue, directeur de la recherche scientifique pour le National Vegetable Protected Cropping Centre (NVPCC) et responsable de recherche au sein du Future Food Systems Cooperative Research Centre (CRC) ; depuis plusieurs mois, ils testent l’efficacité du LLEAF 620 sur le rendement de culture de trois variétés de laitue, réparties sur 200 m².
L’équipe vient de communiquer les résultats des premiers tests : le rendement de la laitue romaine a augmenté de 14%, tandis que celui de la laitue pommée a augmenté de 27%. En somme, une technologie efficace, peu coûteuse et qui peut être appliquée à des installations existantes. L’équipe de Tissue teste actuellement l’efficacité du LLEAF sur des concombres et prévoit d’effectuer d’autres essais sur différentes cultures au cours des cinq prochaines années.
Le LLEAF 620 est également testé par le Département des industries primaires, dans le cadre d’une expérimentation de 3 ans visant à mieux comprendre la corrélation entre les conditions de croissance et le contenu nutritionnel des plants de myrtilles. En effet, les scientifiques s’interrogent sur le potentiel impact de cette technologie sur la constitution naturelle de la plante. Tissue a notamment remarqué que les laitues cultivées sous LLEAF présentaient une teinte orange (probablement due à la modification des quantités de caroténoïdes et autres pigments qu’elles contiennent). Des recherches supplémentaires sont donc nécessaires pour vérifier si cette technique affecte ou non la saveur et le pouvoir nutritif des cultures. Reste également à déterminer si elle s’avère aussi efficace sur d’autres cultures, telles que les céréales.