Alors que l’attention est rivée sur l’évolution des robots humanoïdes tels qu’Altas de Boston Dynamics ou des drones autonomes, peu nombreux sont ceux ayant pensé à concevoir un robot combinant les deux catégories. C’est ce qu’a fait une équipe de chercheurs de l’Institut de technologie de Californie (Caltech) et de l’Université Northeastern de Boston, en mettant au point un robot bipède volant, doté d’hélices sur ses bras. En plus de marcher et voler, il peut faire du skateboard en toute tranquillité et même tenir en équilibre sur une corde ! Ainsi, il pourrait devenir un nouvel outil de maintenance et de surveillance des infrastructures difficiles d’accès.
L’engin, baptisé LEONARDO par ses créateurs (abrégé LEO), est un robot humanoïde hors du commun. Comme les autres, il est doté d’articulations aux genoux, aux hanches et aux chevilles, mais ses bras par contre, servent pour le moment uniquement au placement des hélices, lui conférant des capacités exceptionnelles. LEO mesure 75 centimètres et pèse 2,6 kilogrammes. Sa vitesse de marche maximale est de 20 cm/s, tandis que celle de vol est de 3 m/s (environ 11 km/h).
« Il s’agit du premier robot à intégrer de façon transparente la marche et le vol sans intervention humaine », explique Soon-Jo Chung de Caltech, membre de l’équipe de recherche. Les détails ont été publiés dans la revue Science Robotics.
Une stabilité à toute épreuve
À l’aide des données fournies par les capteurs placés sur ses pieds et d’une vue en temps réel fournie par une caméra intégrée, le robot suit un modèle simple du fonctionnement de la marche. « À l’aide de ce modèle, nous générons un profil de marche pour le centre de masse du robot et les deux pieds, puis nous concevons des trajectoires individuelles pour toutes les articulations des jambes », explique Patrick Spieler, également membre de l’équipe Caltech.
Les hélices sur les bras ajoutent une stabilité supplémentaire non seulement lors de la marche, mais aussi sur une surface glissante, une slackline (corde) ou un skateboard en mouvement. Spieler espère que LEO pourra à l’avenir marcher sans utiliser ses hélices, ce qui le rendrait potentiellement utile pour l’exploration interplanétaire. Pour ce qui est d’un potentiel bras servant à effectuer diverses tâches, il pourrait être placé — à l’image du robot-chien Spot de Boston Dynamics — sur la partie haute du robot (buste ou tête).
VIDÉO : LEO en train de faire du skateboard. (© Caltech)
La conception permet d’équilibrer les exigences de la marche et du vol, explique Kyunam Kim de Caltech, également membre de l’équipe. « Si l’on se concentre trop sur la marche, le robot devient trop lourd pour voler », explique-t-il. « Si vous vous concentrez uniquement sur le vol, la consommation d’énergie sera trop importante ».
« Les robots marcheurs peuvent avoir du mal avec les terrains accidentés, les robots à roues n’aiment pas les débris, les robots volants sont normalement stationnaires au sol », explique Jonathan Aitken de l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni. « La possibilité de mélanger ces techniques de locomotion fait du développement de ce robot une perspective intrigante et passionnante ».
Les modes de locomotion de LEO peuvent être regroupés en deux catégories principales, la locomotion terrestre et la locomotion aérienne, et chaque mode utilise un contrôleur de rétroaction dédié. Les contrôleurs de locomotion au sol et aérienne sont commutés en fonction de l’état de contact mesuré des deux pieds.
LEO utilise une machine d’état qui garantit que ces transitions délibérées se produisent de manière fiable sans revenir à l’état précédent, même lorsque la détection du contact est bruyante (par exemple, pendant l’atterrissage). Le contrôleur de marche fait également la distinction entre les phases de posture simple et double, toujours sur la base des capteurs de contact des pieds.
Des nombreuses applications potentielles
En tirant parti de la capacité de locomotion hybride de LEO, on s’attend à ce qu’il permette un large éventail de missions robotiques qui sont difficiles à accomplir par la seule utilisation de robots terrestres ou aériens. Les applications les mieux adaptées seraient probablement celles qui impliquent des interactions physiques avec des structures à haute altitude, qui sont généralement dangereuses pour les travailleurs humains et nécessitent une substitution par des travailleurs robotiques, expliquent les chercheurs.
Dans de telles applications, les robots bipèdes conventionnels ont des difficultés à atteindre le site, et les drones multirotors standard ont des difficultés de stabilisation dans les environnements à fortes perturbations. LEO utilise le contact avec le sol à son avantage et, par rapport à un multirotor standard, est plus résistant aux perturbations externes telles que le vent, ce qui améliorerait la sécurité du fonctionnement du robot dans un environnement extérieur où LEO peut maintenir le contact avec une surface rigide.
VIDÉO : Comparaison de résistance au vent (de 3.8 m/s) par rapport à un drone à quatre hélices. (© Caltech)
De ce fait, les tâches d’inspection, de réparation ou de remplacement à des endroits difficilement accessibles par l’Homme pourraient constituer l’un des principaux domaines d’application de LEO. « Par exemple, l’inspection des lignes à haute tension est actuellement effectuée par des professionnels hautement qualifiés qui non seulement inspectent les lignes à distance mais marchent également sur ces dernières pour les inspecter et les réparer. Au lieu d’envoyer des humains, LEO pourrait voler jusqu’aux lignes à haute tension et marcher dessus pour les inspecter et les réparer de près, ce qui pourrait potentiellement réduire le nombre de décès et le coût de la tâche », écrivent les chercheurs. Le robot peut également être envisagé pour d’autres tâches d’entretien telles que l’inspection des toits de bâtiments.
Une autre application de LEO, dans un domaine bien différent cette fois-ci, serait la peinture des grands ponts. « Nous pensons que LEO est un bon substitut des travailleurs humains pour cette tâche, car il peut maintenir son équilibre sur un terrain glissant et parce qu’il peut choisir de voler vers un endroit sûr en cas de chute ».
Un cout énergétique handicapant
Évidemment, la capacité d’équilibrage extrême de LEO a pour contrepartie le fonctionnement continu des hélices, ce qui entraîne une consommation d’énergie supérieure à celle des robots terrestres équipés uniquement de jambes.
Les chercheurs admettent que l’optimisation de la consommation énergétique de LEO n’était pas une priorité dans ce travail. Cependant, cette stabilisation à l’aide d’hélices a permis d’utiliser des servomoteurs de jambe de faible puissance et des jambes légères et flexibles, ce qui a été un choix de conception pour minimiser le poids global de LEO afin d’améliorer ses performances de vol.
Une étude du « coût de transport » (CoT) a tout de même été réalisée dans l’étude, un facteur (sans unité) caractérisant l’efficacité énergétique de la locomotion globale. Pour LEO, le CoT mesuré était de 108 lorsqu’il marchait à une vitesse de 20 cm/s. En volant à 1 m/s, le CoT était de 48, et il diminuait à 15,5 à la vitesse de vol de 3 m/s. De plus amples informations sur la consommation énergétique et une comparaison avec d’autres systèmes biologiques et robotiques sont disponibles ici (Table S1).