Pourquoi rêvons-nous ? Pour préserver la zone cérébrale dédiée à la vision, suggère une étude

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Des chercheurs suggèrent que les rêves sont un moyen de préserver le « territoire » neuronal du cortex visuel, de sorte qu’il ne soit pas accaparé par les autres fonctions sensorielles. En effet, si son activité ralentit ou s’arrête (par exemple à cause d’une cécité), cette région du cerveau serait rapidement envahie par d’autres fonctions gérant par exemple l’audition ou l’odorat. Les rêves seraient ainsi un moyen de maintenir l’activité visuelle pendant le sommeil.

La question des rêves constitue l’une des plus grandes énigmes en neurosciences. Parmi les hypothèses avancées expliquant leur utilité figurent par exemple la régulation énergétique cérébrale, la préservation de la santé psychologique par le biais de la régulation émotionnelle, l’apprentissage ou encore le renforcement de la mémoire. Plus récemment, les théories proposées suggèrent plutôt l’implication de la plasticité cérébrale. Il s’agit de la capacité du cerveau à ajuster ses paramètres et à apprendre de nouvelles tâches en fonction des stimuli et des expériences. La plasticité est ainsi la base de l’apprentissage, de la mémoire et de la flexibilité du comportement.

D’un autre côté, la neuroplasticité permettrait aux zones assurant différentes fonctions de gagner ou de perdre en territoire neuronal, lorsque les entrées (ou stimuli) ralentissent, s’arrêtent ou se déplacent. Ce phénomène se manifesterait par exemple chez les personnes devenues aveugles, qui ont un sens de l’ouïe et/ou du toucher plus développé que la moyenne. De précédentes recherches ont également montré que chez ces personnes, la stimulation auditive augmente l’activité non seulement dans le cortex auditif, mais également dans le cortex occipital (visuel).

Ces constats suggèrent que le cerveau enclencherait des remodelages rapides lorsque les entrées visuelles sont suspendues. Cela signifie que les régions cérébrales gérant d’autres fonctions sensorielles peuvent s’étendre en accaparant les neurones normalement dédiés à la vision. Inversement, le cortex visuel perd ainsi du terrain. Cela implique également que les neurones peuvent entrer en compétition pour survivre.

Dans ce contexte, David Eagleman de l’Université de Stanford et Don A. Vaughn de l’Université de Californie, suggèrent que les rêves sont un processus cérébral adaptatif permettant de préserver le cortex visuel, afin que celui-ci ne puisse pas être accaparé par d’autres fonctions sensorielles. « Tout comme les nations voisines, les neurones jalonnent leur territoire et le défendent de manière chronique », explique Eagleman. Cette hypothèse a été testée dans le cadre d’une étude publiée dans la revue Frontiers in Neurosciences, en comparant notamment 25 espèces de primates sur des mesures comportementales de temps de sommeil paradoxal (ou sommeil REM) — la phase du sommeil où se déclenchent les rêves.

Des processus pour atténuer l’effet à double tranchant de la plasticité cérébrale

Lorsque nous commençons à nous endormir, la plupart de nos sens sont en éveil, sauf la vision. Cependant, au cours du sommeil paradoxal (environ 90 minutes après le début du sommeil), le cortex visuel se met généralement à produire une activité, parce qu’il recevrait des stimuli visuels induits par les rêves. Des images IRMf de personnes qui rêvent ont d’ailleurs montré que la majeure partie de l’activité cérébrale REM se situe au niveau du cortex visuel. Ce moment de mise en activité correspond à celui où le cortex visuel commence à préserver son territoire, selon les chercheurs de l’étude.

Selon les scientifiques, le sommeil paradoxal est tout simplement nécessaire pour préserver le cortex visuel à mesure que le cerveau joue de sa plasticité. La plasticité cérébrale se déclenche en effet très rapidement et les autres fonctions sensorielles pourraient ainsi envahir rapidement le lobe occipital. Des expériences antérieures ont même suggéré que cela peut se produire après seulement 40 à 60 minutes une fois les yeux bandés. Il s’agit probablement de la raison pour laquelle les nourrissons, dont le cerveau est en plein développement, passent près de 50% de leur temps en sommeil paradoxal. À mesure que nous vieillissons et que cette plasticité diminue, nous passons toujours moins de temps en sommeil REM.

Dans le cadre de la nouvelle étude, il a été constaté une corrélation entre la plasticité cérébrale et le sommeil REM similaire entre diverses espèces (sur la base de la comparaison des 25 espèces de primates). En outre, ces deux aspects semblent s’intensifier parallèlement à l’évolution. Plus une espèce est évoluée, moins son cerveau serait câblé pour adopter des comportements bien définis à la naissance. À l’inverse, les animaux comme les vaches et les chevaux apprennent à marcher dès les premières minutes de leur vie, leur cerveau présentant une plus grande densité neuronale. Les espèces plus évoluées et avec un cerveau moins denses en neurones posséderaient quant à elles une meilleure capacité d’adaptation et d’apprentissage par l’expérience. Ainsi, ces dernières nécessitent un plus grand temps de sommeil paradoxal. Dans ce sens, les rêves seraient des processus adaptatifs visant à pallier l’effet à double tranchant de la plasticité cérébrale.

Toutefois, l’hypothèse ne manque pas de susciter le scepticisme. Elle est entre autres considérée comme trop réductionniste. Un exemple qui soulève des doutes est celui du rat-taupe (aveugle), qui atteint tout de même la phase du sommeil paradoxal malgré l’absence d’utilisation du cortex visuel. Néanmoins, Eagleman suggère que le sommeil paradoxal pourrait servir à de nombreuses autres fonctions, en plus de la préservation du cortex visuel. D’autre part, l’étude est principalement axée sur le sommeil paradoxal et non véritablement sur le rôle des rêves. Leur implication supposée (des rêves) semble notamment découler uniquement d’une suite de déductions, et non d’une analyse de faits.

Source : Frontiers in Neuroscience

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