Des scientifiques créent des bébés souris à partir de deux mâles

premiers ovules souris deux mâles
| Hayashi et al./Nature
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Pour la première fois, une équipe de scientifiques japonais, de l’Université Kyushu, est parvenue à créer des ovules uniquement à partir de cellules de la peau et du sperme de deux souris mâles. Ils ont ainsi obtenu une portée de sept bébés souris viables, sans utiliser le moindre matériel génétique féminin. Cette technique « révolutionnaire » pourrait ouvrir la voie à de nouvelles possibilités en matière de reproduction.

Cette recherche s’appuie sur de précédentes études menées par l’équipe, qui il y a quelques années, avait réussi à créer des ovules à partir des cellules cutanées d’une souris femelle ; ces cellules avaient été transformées en cellules souches, puis transformées en cellules sexuelles (ovules et spermatozoïdes). De cette expérience étaient nés 26 souriceaux sains. Cette fois-ci, Katsuhiko Hayashi et ses collègues sont allés un peu plus loin, en tentant de créer des ovules à partir de cellules mâles. Pour ce faire, ils ont exploité une tendance des cellules souches pluripotentes en culture à gagner ou à perdre des chromosomes.

Les cellules souches pluripotentes sont capables de se différencier en n’importe quel type de cellule de l’organisme ; c’est pourquoi elles sont cultivées en laboratoire pour étudier certaines maladies ou produire des cellules personnalisées pour la thérapie. Leur culture in vitro comporte également des risques : des périodes de culture prolongées peuvent entraîner des anomalies telles que l’aneuploïdie – qui désigne une cellule ne possédant pas le nombre normal de chromosomes (certains sont dupliqués ou perdus). Les chercheurs ont entrepris d’exploiter ce « défaut » pour convertir des cellules de souris mâles XY en cellules femelles XX.

Sept souriceaux en bonne santé et fertiles

Les cellules cutanées mâles, prélevées au niveau de la queue, ont été reprogrammées dans un état de type cellule souche pour créer des cellules souches pluripotentes induites (iPS). Comme prévu, au cours du processus, une partie des cellules (6% environ) ont perdu leur chromosome Y. Les chercheurs ont réussi à dupliquer le chromosome X isolé restant (à l’aide de réversine et d’une protéine fluorescente), de manière à produire des cellules iPS dotés de deux chromosomes X identiques. Cette modification a permis aux cellules souches d’évoluer en cellules sexuelles femelles.

Ceci fait, les cellules ont été cultivées dans un organoïde ovarien — un système de culture qui reproduit les mêmes conditions qu’à l’intérieur d’un véritable ovaire de souris. « Les cellules pluripotentes euploïdes XX produites artificiellement se sont différenciées en ovocytes matures en culture avec une efficacité similaire à celle des cellules pluripotentes XX natives », précisent les chercheurs.

Les ovules matures ont ensuite été fécondés avec le sperme d’une autre souris mâle ; les quelque 600 embryons obtenus ont été implantés dans les utérus de souris femelles porteuses. À noter que des femelles interviennent ici, mais elles ne transmettent aucune information génétique à la progéniture ; les scientifiques partent du principe qu’un utérus artificiel permettra à l’avenir d’assurer le bon développement des embryons en laboratoire.

Finalement, l’expérience a donné naissance à sept souriceaux en bonne santé, de développement normal, qui ont eux-mêmes donné naissance à d’autres souris une fois adultes. « Il s’agit du premier cas de fabrication d’ovocytes de mammifères robustes à partir de cellules mâles », a déclaré Katsuhiko Hayashi.

L’équipe a indiqué que la modification chromosomique effectuée a par ailleurs permis d’éradiquer avec succès la trisomie 16, un modèle de syndrome de Down, dans les cellules pluripotentes.

Une solution potentielle à l’infertilité et à la sauvegarde des espèces

Bien que le « rendement » de cette technique soit très faible (seulement 1% environ) — et inférieur à celui obtenu avec des œufs dérivés de femelles (où 5% des embryons avaient abouti à des individus viables) — elle est porteuse d’espoir. « Cette étude offre des perspectives qui pourraient améliorer la stérilité causée par des troubles des chromosomes sexuels ou autosomiques, et ouvre la possibilité d’une reproduction bipaternelle », souligne l’équipe dans Nature.

En effet, cette technique pourrait non seulement un jour permettre à des couples homosexuels — voire, à un homme célibataire — d’avoir des enfants sans l’intervention d’un individu de l’autre sexe, mais ouvre également de nouvelles pistes thérapeutiques pour les personnes stériles. Elle pourrait par exemple être appliquée pour traiter les formes graves d’infertilité, y compris les femmes atteintes du syndrome de Turner, chez qui une copie du chromosome X est manquante ou partiellement manquante. Le traitement de l’infertilité a d’ailleurs été la principale motivation de ces recherches.

Selon Hayashi, il sera techniquement possible de créer un ovule humain viable à partir d’une cellule cutanée masculine d’ici une décennie. Mais l’expert s’est sans doute montré un peu trop optimiste, car pour le moment, sa technique n’a été appliquée que sur des souris et on ne sait pas si le processus peut fonctionner avec des cellules souches humaines.

Certains scientifiques estiment qu’il pourrait être très difficile de transposer cette approche aux cellules humaines, car ces dernières nécessitent des périodes de culture beaucoup plus longues pour produire un œuf mature, ce qui peut augmenter le risque que les cellules acquièrent des modifications génétiques indésirables. À cela s’ajoutent évidemment des considérations éthiques.

Jonathan Bayerl et Diana Laird, experts en cellules souches et en reproduction à l’Université de Californie à San Francisco, ont ajouté que cette technique pourrait également être utilisée à des fins de conservation des espèces en voie de disparition pour lesquelles seuls des mâles subsisteraient (à condition de disposer d’une mère porteuse appropriée d’une autre espèce).

Source : K. Murakami et al., Nature

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