Les services secrets américains et allemands ont espionné d’autres pays par le biais d’une compagnie de chiffrement suisse

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Durant plusieurs décennies, les États-Unis et l’Allemagne parvenaient à déchiffrer des informations cruciales de nombreux pays grâce à la compagnie de cryptographie suisse Crypto Ag, qui était secrètement sous leur contrôle. Une révélation qui pourrait notamment entacher la réputation du pays d’origine de l’entreprise.

De 1952 à 2018, plus de 120 pays portaient une entière confiance en la compagnie Crypto AG pour ses équipements de chiffrement, afin de sécuriser la transmission d’informations confidentielles. Le succès de l’entreprise, qui devint rapidement la première mondiale dans le domaine de la cryptographie, commença à attirer l’attention des services secrets américains.

Comprenant rapidement les avantages qu’ils pourraient tirer de la technologie d’une entreprise qui vend ses dispositifs comme des petits pains dans le monde, en particulier en pleine guerre froide (l’URSS et la Chine n’avaient pas fait appel à leurs services), la NSA désirait financer Crypto AG à partir de 1960, et ainsi développer elle-même des systèmes qu’elle seule serait en mesure de déchiffrer.

En 1967, la BND (un service secret allemand) s’est également intéressée au potentiel de la compagnie pour l’espionnage, et avec les États-Unis, ils la rachetèrent pour bénéficier d’un contrôle total.

Des premiers rapports faisant part des soupçons de certains gouvernements et médias sur la neutralité de l’entreprise sont apparus au début des années 90, mais les enquêtes, que les américains avaient réussi à faire passer pour de la pure conspiration, n’ont abouti à rien de concert.

S’apercevant également du risque d’être révélé au grand jour durant cette période, les Allemands stoppèrent leur coopération avec Crypto AG et vendirent leurs parts à la CIA, qui continua ses activités jusqu’en 2018.

Cette opération, qu’ils avaient nommée « Rubicon », a également permis aux services secrets des deux pays de générer plusieurs millions de dollars grâce aux ventes de leur matériel de chiffrement (qui était finalement plus utile à eux qu’aux clients).

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Sur les 120 pays qui achetaient des machines chez Crypto AG, 62 ont été dévoilés dans le rapport. Crédits : Washington Post

La domination de Crypto AG commença à montrer des signes d’affaiblissement avec les progrès dans le domaine du numérique et du chiffrage. Perdant chaque année davantage de clients, la CIA décida finalement de liquider les actifs de la compagnie à deux sociétés : Crypto International et CyOne Security AG. Mais ce n’est qu’au début de cette semaine que les enquêtes menées par le Washington Post, ZDF et SRF, ont pu démontrer au monde qui décidaient réellement pour Crypto AG.

La neutralité de la Suisse mise à mal

S’il y a bien un pays qui est pointé du doigt au côté des deux acteurs principaux, c’est bien celui d’où Crypto AG est originaire. En effet, au moins quatre pays étaient au courant des agissements secrets, comme le montre le rapport : la Grande-Bretagne, la Suisse, la Suède et Israël.

La Suisse cependant, réputée symboliquement dans le monde comme un pays exemplaire sur le statut de neutralité, pourrait voir son image écorchée, surtout lorsqu’on sait qu’il représente les intérêts des États-Unis et de nombreux pays en conflit avec ces derniers (comme Cuba ou encore l’Iran).

Téhéran a par ailleurs acheté en toute confiance des machines de cryptage chez Crypto AG, permettant sans nulle doute aux Américains de récolter des messages importants qui ont influencé certaines de leurs actions contre l’Iran. Il semblerait que de nombreux politiciens suisses étaient au courant de ces pratiques. Ces derniers réfutant ces affirmations, le gouvernement suisse a ouvert une enquête qui permettra de mettre au clair la possible participation du pays dans l’affaire.

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L’hypocrisie d’une grande puissance envers l’espionnage

Ces révélations rappellent également les actions récentes du gouvernement américain contre des technologies russes et chinoises. On peut citer notamment l’anti-virus russe Kaspersky, qui avait été banni du sol américain l’année dernière pour des soupçons d’espionnage, tout comme le leader chinois de la télécommunication Huawei, qui a également reçu d’autres sanctions plus conséquentes. Bien que ces accusations soient plausibles, seul un pays, depuis les révélations de Snowden, a été démontré (avec de nombreuses preuves à l’appui) comme pratiquant de l’espionnage de grande envergure, même contre ses alliés.

Et plus inquiétant encore : les américains avaient promis de changer leur politique de surveillance mondiale, bien avant la fin des agissements de la CIA au sein de Crypto AG. Il reste donc fort probable que d’autres scandales soient mis en lumière dans les années à venir, et que de nombreux pays dépendants des grandes puissances pour l’obtention de matériel de télécommunication finiront, malgré les moyens limités de certains d’entre eux, par investir dans le développement de leurs propres technologies, qui permettront de garantir leur sécurité nationale.

Source : Reuters

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