Est-ce possible de s’auto-soigner en améliorant son microbiote intestinal ?

Quels sont les avantages et les risques des méthodes les plus invasives ?

soigner soi meme microbiote intestinal
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Au cours des dernières années, le rôle central du microbiote intestinal dans l’homéostasie corporelle et son implication dans un large éventail de maladies deviennent toujours plus évidents. Un nombre croissant d’études suggèrent que ces conditions pourraient être inversées en l’améliorant ou en le modifiant à l’aide de diverses méthodes, dont la transplantation de microbiote fécal. Quel est le véritable potentiel de ce type de technique et quelles maladies peuvent être ciblées ? Est-ce possible de se soigner soi-même en améliorant son microbiote ? Nous avons interrogé l’un des plus grands experts du domaine pour tenter de répondre à ces questions.

Nos intestins abritent plus d’un millier d’espèces microbiennes formant une communauté écologique complexe connue sous le nom de microbiote intestinal (le terme « microbiote » fait référence aux microorganismes eux-mêmes, tandis que le microbiome est l’ensemble de leurs génomes réunis). On estime qu’il contient 150 fois plus de gènes que l’ensemble du génome humain.

Récemment reconsidérés comme un organe vital, les intestins sont connectés par le biais d’un axe multidirectionnel aux autres organes du corps et influencent les voies neuronales, métaboliques, humorales, endocriniennes et immunologiques. Cette interconnexion en fait un principal médiateur de l’homéostasie corporelle.

« Il est préférable de considérer l’intestin comme un autre organe de notre corps. Il communique avec d’autres organes et est vital pour le fonctionnement global de l’organisme », explique Blair Merrick, chercheur clinique au Département des maladies infectieuses du prestigieux Guy’s and St Thomas’​ du NHS Foundation Trust, au Royaume-Uni, lors d’une interview avec Trust My Science. Tout changement au niveau du microbiote (dysbiose intestinale) engendre ainsi non seulement des problèmes au niveau des intestins, mais également au niveau d’autres organes.

En vue de cette interconnexion, la dysbiose intestinale est soupçonnée d’être impliquée dans diverses conditions pathologiques, allant des affections neurologiques (Alzheimer, Parkinson, etc.) et des troubles psychiatriques (troubles anxieux, dépression, troubles du spectre de l’autisme, …) aux maladies hépatiques, en passant par les troubles métaboliques et les maladies auto-immunes et inflammatoires.

Les recherches suggèrent qu’il est possible d’intervenir au niveau du microbiote intestinal à la fois pour prévenir et traiter certaines de ces maladies. D’une part, les stratégies de prévention consisteraient à prendre soin du microbiote par le biais de régimes alimentaires et de modes de vie sains. Les stratégies thérapeutiques consistent en revanche en des techniques plus poussées et administrées par des centres spécialisés, telles que la transplantation de microbiote fécal (de l’anglais « fecal microbiota transplantation », ou FMT).

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Illustration montrant les impacts et implications potentiels de la dysbiose intestinale. © Afzaal M. et al.

Cependant, notre compréhension du microbiote intestinal et de son influence sur le reste de l’organisme commence à peine à s’enrichir. « Les changements dans le microbiote intestinal sont associés à un certain nombre d’états/conditions de santé, mais pour pratiquement toutes ces conditions, nous ne savons pas s’il s’agit simplement d’une association ou d’une corrélation, ou si les changements sont d’une manière ou d’une autre la cause de la condition », précise Merrick lors de notre discussion. En d’autres termes, les études à ce sujet ne font que commencer et, de ce fait, l’utilisation de techniques supposées améliorer le microbiote, telles que la FMT, est à considérer avec prudence.

Des analyses de microbiote coûteuses et peu fiables

En vue de son implication potentielle dans de nombreuses pathologies, on pourrait logiquement penser qu’il serait possible de diagnostiquer ces maladies en analysant le microbiote intestinal. Des études ont mis au jour des signatures microbiennes spécifiques pour certaines maladies telles que Parkinson. Cependant, il n’existe pas encore à ce jour de tests accrédités et basés sur le microbiote pour diagnostiquer spécifiquement une maladie.

Les diagnostics fécaux proposés actuellement par diverses entreprises visent principalement à détecter des parasites intestinaux, des agents pathogènes ou leurs sous-produits spécifiques, tels que l’antigène de la bactérie Helicobacter pylori et la toxine de la Clostridioides difficile. Il est également possible de détecter une inflammation chronique en quantifiant par exemple la calprotectine, une protéine sécrétée par les neutrophiles en cas d’inflammation du tube digestif.

D’un autre côté, un certain nombre de cliniques et laboratoires proposent des analyses du microbiote fécal (avec des kits de prélèvement fournis), non pas pour détecter spécifiquement une maladie, mais pour informer sur l’état de santé général. Cependant, les experts appellent à la prudence quant à ce genre de pratique, car les effets des déséquilibres observés chez certains individus ne sont pas forcément extrapolables à d’autres.

De son côté, Merrick affirme que bien que des laboratoires en proposent, les tests du microbiote fécal ne font partie d’aucune pratique de diagnostic médical et qu’ils sont pour le moment uniquement utilisés pour la recherche. « Au Royaume-Uni par exemple, on peut dépenser des centaines de livres pour obtenir les résultats, mais au final, on ne sait pas vraiment s’il y a un problème ou non », explique-t-il.

En effet, les caractéristiques du microbiote sont si hétérogènes que la plupart des résultats des recherches à ce jour peinent à être reproduits. En effet, le microbiote intestinal varie considérablement d’un individu à l’autre, sans compter les variations dans le temps (en fonction des saisons, des denrées disponibles, de l’âge, …) et en fonction du mode de vie. Merrick a d’ailleurs souligné que même les individus dont le code génétique est similaire (vrais jumeaux) ne possèdent pas le même microbiote en mangeant la même chose.

Selon lui, le microbiote d’une personne peut changer même en une journée, en fonction de ce qu’il fait et consomme. Il est important de savoir que le microbiote intestinal contient non seulement notre ADN et celui des microorganismes qui y résident, mais également celui de tous les aliments qu’on ingère (ainsi que des microorganismes qu’ils transportent). Ainsi, si une personne effectue par exemple le même test de microbiote dans deux laboratoires distincts, les résultats seraient différents. « L’un des laboratoires pourrait dire qu’il n’y a aucun problème, tandis que l’autre pourrait indiquer le contraire », explique-t-il.

De plus, « les tests de microbiote de personnes malades indiquent parfois qu’il n’y a aucun problème et inversement, les personnes en bonne santé ont parfois un microbiote considéré comme malsain ». D’après le chercheur, lorsqu’un patient demande ce qu’il doit faire si le résultat de son test de microbiote semble mauvais, la réponse des médecins est généralement : « on ne sait pas ». De ce fait, « je ne recommanderais jamais à personne de faire ce genre de test, car on si on a un résultat et qu’on ne sait pas quoi en faire, c’est que ce n’est pas une bonne chose », estime-t-il.

FMT : un potentiel quasi illimité qui commence à peine à être exploré

La FMT fait actuellement l’objet de recherches très actives pour son potentiel de modification du microbiote intestinal. Proposée pour la première fois en 1958, elle aurait un grand potentiel en tant que stratégie thérapeutique, en raison de son influence sur tous les organes.

Cependant, il existe à ce jour à peine plus d’une dizaine d’essais randomisés explorant son potentiel thérapeutique, en grande partie en raison des facteurs de variabilité décrits précédemment. « Le potentiel de la FMT pour améliorer la santé intestinale et globale est quasi illimité, mais à l’heure actuelle, les preuves ne soutiennent son utilisation que dans un nombre très limité de cas », a déclaré Merrick. Parmi ces cas figurent par exemple la prise en charge de patients dont le microbiote intestinal est très endommagé ou presque entièrement détruit.

Quant aux pathologies spécifiques, la FMT fait désormais partie des principales thérapies proposées pour la prise en charge des infections récurrentes à C. difficile. Selon le chercheur, il s’agit actuellement du seul cas pathologique où l’utilisation de la FMT est véritablement accréditée, en raison de la fiabilité et de la reproductibilité des essais. L’un de ces essais a par exemple enregistré une incroyable efficacité, avec une guérison complète chez 90 % des patients en seulement un mois. De plus, 98 % des participants n’avaient reçu qu’une seule dose.

D’autres recherches sont en cours pour l’exploration de l’approche pour d’autres affections, telles que l’antibiorésistance et les maladies inflammatoires et auto-immunes (comme la colite ulcéreuse). « Il est possible que la modification du microbiote intestinal à l’aide de la FMT puisse aider pour les maladies auto-immunes, la raison étant qu’environ 70 % du système immunitaire du corps se trouve dans l’intestin », suggère Merrick. Le microbiote intestinal interagit entre autres avec le système immunitaire et les modifications apportées à l’un pourraient ainsi s’appliquer à l’autre.

En outre, certaines études ont rapporté que les personnes souffrant de pathologies auto-immunes ont souvent un microbiote intestinal fortement altéré. Toutefois, bien que les résultats semblent a priori prometteurs, ils ne sont pas encore suffisamment fiables pour appliquer systématiquement la technique aux maladies auto-immunes. « Nous traitons une cohorte sélectionnée de patients atteints de colite ulcéreuse, chez lesquels les autres options de traitement sont limitées ou le patient les a refusées », précise Merrick.

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Les deux étapes de la FMT. À l’étape 1, les patients subissent une préparation intestinale à base d’antibiotiques oraux, suivis d’un laxatif. Au moins 24 h après la dernière dose d’antibiotiques oraux, le patient reçoit les matières fécales du donneur par capsule, sonde naso-entérale ou endoscopie gastro-intestinale supérieure ou inférieure. © Maroun Bou Zerdan et al.

D’autre part, des recherches, y compris celles de Merrick, explorent la stratégie pour les maladies hépatiques et l’amélioration de la réponse aux thérapies anticancéreuses. En effet, les personnes souffrant de cirrhose (cicatrisation irréversible du foie) ont un niveau accru de bactéries nocives au niveau des intestins, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux infections chroniques. Les essais de FMT administrés par endoscopie ont permis de renforcer la fonction de leur barrière intestinale et la fonction antimicrobienne de leur muqueuse, tout en améliorant le métabolisme de l’ammoniac (qui est toxique pour l’organisme).

Par ailleurs, « grâce à son interaction avec le système immunitaire, [la modification du microbiote] peut contribuer à améliorer la réponse à certains traitements anticancéreux en réduisant l’inflammation et en améliorant l’intégrité de la barrière intestinale », suggère l’expert. Une récente étude a par exemple montré que la FMT combinée à une immunothérapie contre le mélanome a amélioré la réponse des patients à cette dernière.

L’approche est en outre explorée pour la fibromyalgie et pourrait aussi être proposée pour les troubles neurodégénératifs tels qu’Alzheimer et Parkinson, ainsi que divers troubles vasculaires, dont les maladies coronariennes et les accidents vasculaires cérébraux. Toutefois, « je dois souligner que nous ne sommes en réalité qu’au tout début de ce voyage et que ce sont tous des avantages proposés. Nous n’en avons pas encore de preuves tangibles chez l’homme », précise-t-il.

Une procédure à haut risque à ne jamais pratiquer soi-même

En vue de son potentiel et de ses présumés bienfaits sur la santé, les FMT « faites-maison » (c’est-à-dire à faire soi-même) deviennent toujours plus populaires, non sans susciter l’inquiétude des experts. Une enquête a révélé que la plupart des pratiquants sont des femmes souffrant de maladies inflammatoires de l’intestin ou du syndrome du côlon irritable. Bien que les participants aux enquêtes aient généralement répondu avoir obtenu des résultats positifs, il s’agit d’une procédure risquée que la plupart des médecins déconseillent fortement de faire soi-même.

Merrick est stupéfait de constater qu’il existe des sites internet qui promeuvent la pratique et qui fournissent des guides relativement complets pour le choix des donneurs et les techniques de prélèvement. De nombreuses vidéos de témoignages de FMT supposément réussies et de tutoriels pour l’effectuer soi-même circulent notamment sur les réseaux sociaux et sur YouTube. Selon le chercheur, les gens ne se rendent visiblement pas compte des risques qu’ils courent. « Pourquoi prendre des risques pour quelque chose dont on ne connaît pas réellement les avantages ? », s’interroge-t-il.

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Liste des pays dans lesquels la FMT « faite maison » est la plus pratiquée. © Chiazotam Ekekezie et al.

Comme il l’a maintes fois souligné, notre compréhension du microbiote intestinal est pour le moment considérablement limitée. De ce fait, même les centres spécialisés doivent prendre des précautions avant de pratiquer la FMT sur des patients. « Rappelons que ce n’est pas un traitement sans risque et que c’est un produit [les selles] d’origine humaine, à l’instar de toutes les greffes », indique-t-il, sans compter que les amateurs de la pratique ne possèdent ni l’équipement adéquat ni les compétences médicales nécessaires à ce type d’intervention.

En effet, il y a un risque très élevé de transmission d’agents pathogènes ou d’un état pathologique du donneur, ainsi qu’un risque lié à la procédure d’administration. « Ce sont des risques que vous ne pouvez atténuer à la maison et de ce fait, je déconseille fortement de faire cela soi-même », recommande-t-il. « Sans précautions appropriées, il s’agit même d’une procédure potentiellement mortelle », prévient-il.

En effet, même dans les centres spécialisés, il y a eu plusieurs cas de complications qui ont conduit au décès des patients. Selon l’expert, des bactéries asymptomatiques chez un donneur peuvent notamment causer de graves symptômes chez le receveur. En 2020 par exemple, un essai de FMT visant à traiter six patients souffrant d’une infection récurrente à C. difficile a entraîné le décès de deux d’entre eux, probablement suite à une infection à STEC (Escherichia coli productrice de shigatoxines). Les STEC sont un sous-groupe d’E. coli pathogène qui peut provoquer des diarrhées sanglantes et douloureuses chez certaines personnes, en particulier les immunodéprimées.

Des moyens simples, sûrs et peu coûteux pour prendre soin de son microbiote

Pour prendre soin de son microbiote intestinal et améliorer sa diversité microbienne, Merrick suggère de se tourner davantage vers des facteurs facilement modifiables tels que l’alimentation et le mode de vie. Parmi les régimes les plus populaires figure par exemple la « règle des 30 plantes », qui consiste à consommer une variété de 30 plantes par semaine.

Les avantages de ce régime, proposé en 2018 par des chercheurs de l’American Gut Project, ont été observés chez 10 000 Américains et Britanniques qui avaient un microbiote incroyablement diversifié par rapport à la moyenne. La liste inclut divers fruits et légumes, des épices et des condiments, et met l’accent sur la variété et non sur la quantité.

Parmi les meilleurs conseils diététiques figurent également la consommation d’aliments fermentés et l’évitement des aliments ultra-transformés. Des études ont montré que les aliments fermentés induisent des changements bénéfiques et durables au niveau du microbiote, tandis que les aliments transformés induiraient une dysbiose, potentiellement impliquée dans diverses maladies graves telles qu’Alzheimer.

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Illustration montrant les différents avantages de l’eubiose intestinale (microbiote intestinal bien équilibré). © Afzaal M et al.

D’autre part, les habitudes saines en général (exercice physique régulier, non-consommation d’alcool, réduction du stresse et repos suffisant, maintien d’un poids santé, …) influencent positivement l’intégrité du microbiote, et par extension, la santé. Selon Merrick, pour les personnes sans pathologies graves, « il n’est pas nécessaire de payer pour des FMT à domicile ou des analyses de microbiote coûteuses, il suffit d’essayer de faire les bons choix de vie ».

Quant au potentiel thérapeutique de la FMT, « il y aura beaucoup de développements dans les années à venir et de nombreuses recherches sont en cours, mais malheureusement, cela prendra du temps, car il y a beaucoup de défis à surmonter », conclut-il.

Sources : Sage Journals, Gastroenterology, The American Journal of Gastroenterology

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