La surface en ébullition de Bételgeuse déroute jusqu’aux plus puissants des télescopes

Elle créerait une illusion d’optique que l’on pourrait confondre avec sa rotation.

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Représentation artistique de Bételgeuse. | ESO
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Bételgeuse, la célèbre supergéante rouge de la constellation d’Orion, a récemment attiré l’attention en raison d’étranges variations de sa luminosité. Les astronomes ont supposé que cela peut indiquer non seulement l’imminence d’une explosion, mais également une vitesse de rotation inhabituellement élevée pour sa taille. Cependant, une nouvelle étude suggère que cette vitesse serait une illusion d’optique induite par les violents mouvements de convection au niveau de sa surface et qui serait indétectable même avec les télescopes les plus avancés.

Faisant plus d’un milliard de kilomètres de diamètre (soit 1000 fois le Soleil), Bételgeuse est l’une des étoiles les plus volumineuses connues à ce jour. Si elle était positionnée à la place du Soleil, elle engloutirait la Terre et son atmosphère s’étendrait jusqu’à l’orbite de Jupiter. En théorie, la vitesse de rotation des étoiles devrait diminuer à mesure qu’elles évoluent et grandissent. En effet, leurs couches externes se dilatent généralement de un à deux ordres de grandeur et ralentissent en raison de la conservation du moment cinétique.

On estime que la vitesse de rotation de surface devrait être inférieure à 1 km/s pour les géantes rouges et inférieure à 0,1 km/s pour les supergéantes rouges. Cependant, de récentes observations ont révélé que plusieurs centaines de géantes rouges (soit environ 1 % de la population totale) dépassent la limite de vitesse théorique. Quant aux supergéantes rouges, seule Bételgeuse est jusqu’à présent connue pour enregistrer des vitesses allant jusqu’à 5 km/s, soit plus de deux ordres de grandeur de plus que la limite théorique.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Une vitesse de rotation inhabituellement élevée ?

Les données les plus précises ayant permis de mesurer la vitesse de rotation de Bételgeuse proviennent du puissant réseau de télescopes Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA). Étant l’une des supergéantes rouges les plus proches de la Terre, Bételgeuse est en effet une cible de prédilection pour les études interférométriques (mesures basées sur l’interférence des ondes) depuis plus d’un siècle.

« La plupart des étoiles ne sont que de minuscules points lumineux dans le ciel nocturne. Bételgeuse est si incroyablement grande et si proche que, avec les meilleurs télescopes, c’est l’une des rares étoiles dont nous observons et étudions réellement sa surface en ébullition », explique dans un communiqué Selma de Mink, directrice de l’Institut Max Planck d’astrophysique.

En se basant sur cette technique, des chercheurs ont révélé une vitesse radiale dipolaire au niveau de la couche externe de Bételgeuse. Alors que la moitié de l’hémisphère visible de l’étoile présente un décalage vers le bleu, l’autre moitié présente un décalage vers le rouge de plusieurs kilomètres par seconde. Du point de vue d’un observateur, ce phénomène implique que la première moitié de l’étoile semble se rapprocher, tandis que la seconde moitié semble s’éloigner.

Il en a été déduit que cette vitesse dipolaire est due à la rotation rapide de l’étoile. Les observations de Hubble semblent concorder avec cette hypothèse. Cependant, cette interprétation ne serait valable que pour des étoiles relativement stables et pouvant conserver une morphologie presque sphérique. Or, Bételgeuse est loin d’être stable et uniforme en étant notamment dans sa phase de supergéante rouge.

En effet, la surface de Bételgeuse est caractérisée par de violents processus de convection. Si le même phénomène peut être observé à la surface du Soleil, les « bulles de convection » de Bételgeuse sont si volumineuses qu’elles s’étendraient sur l’équivalent de la distance Terre-Soleil. Leur vitesse de dilatation et de refroidissement peut aller jusqu’à 30 km/s, soit beaucoup plus vite que tous les vaisseaux spatiaux (avec équipage) jamais construits.

Dans leur nouvelle étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters, de Mink et son équipe proposent une explication alternative à la vitesse de rotation apparente de Bételgeuse. Ils suggèrent que les violents mouvements de convection à sa surface pourraient être confondus avec sa rotation, en raison de la limite de résolution du télescope ALMA. En d’autres termes,  ces mouvements convectifs seraient flous dans les observations réelles, ce qui donnerait lieu à une carte de vitesse dipolaire.

Un phénomène indétectable par les télescopes

L’équipe de de Mink a développé un nouveau kit de traitement de données pour produire des modélisations tridimensionnelles basées sur les données d’ALMA. Ils ont créé des modèles de supergéantes rouges similaires à Bételgeuse (c’est-à-dire qui présente de puissants mouvements de convection) et exemptes de rotation.

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Comparaison directe d’une simulation informatique d’une supergéante rouge non rotative avec les observations ALMA de Bételgeuse. La rangée du haut montre les cartes d’intensité, la rangée du bas montre les cartes de la vitesse radiale. La colonne de gauche révèle la simulation de l’étoile en pleine résolution ; la colonne du milieu concerne les observations simulées avec une résolution réduite. La colonne de droite montre l’observation réelle d’ALMA. © MPA, Ma Jing-Ze et al.

Les simulations ont montré que d’énormes cellules convectives s’élèvent alternativement d’un côté des étoiles, tandis que d’autres cellules s’effondrent du côté opposé — un peu comme de gigantesques sphères en ébullition. Cependant, le télescope ne parvenait pas à identifier ces mouvements comme des phénomènes convectifs, mais les interprétait davantage comme des mouvements de rotation. En effet, dans 90 % des simulations, les étoiles étaient interprétées comme tournant à plusieurs kilomètres par seconde.

Cependant, des observations et des analyses plus approfondies sont nécessaires avant de pouvoir confirmer que la vitesse de rotation de Bételgeuse est véritablement supérieure à la normale. Si cette vitesse est effectivement élevée, les experts estiment que l’étoile aurait pu engloutir une autre plus petite. En revanche, dans le cas contraire, cela jetterait un nouveau paradigme quant à la manière d’interpréter les données d’observation stellaires.

Des analyses sont en cours concernant de récentes données à haute résolution, afin de déterminer la vitesse de rotation exacte de Bételgeuse. Par ailleurs, « il y a tellement de choses que nous ne comprenons pas encore sur les étoiles gigantesques en ébullition comme Bételgeuse », estime Andrea Chiavassa, astronome au CNRS et co-auteur de l’étude. L’équipe espère que les prochaines observations pourront fournir davantage d’informations à ce sujet.

Vidéo montrant la simulation de la surface en ébullition de Bételgeuse :

Source : The Astrophysical Journal Letters

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