La théorie stipulant que certaines protéines caractéristiques de la maladie d’Alzheimer pourraient être « transmissibles » gagne du terrain

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Un cerveau humain sain de 70 ans (à gauche), comparé à un cerveau du même âge atteint de la maladie d’Alzheimer. | Jessica Wilson/Science Photo Library
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Des tests effectués sur des souris ont pu confirmer que certaines protéines associées aux maladies cérébrales dégénératives, dont la maladie d’Alzheimer, pouvaient être transférées entre individus.

Des neuroscientifiques ont rassemblé de nombreuses preuves allant dans le sens de l’hypothèse selon laquelle certaines protéines caractéristiques des maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer, comme la protéine bêta-amyloïde, peuvent être transférées entre les personnes dans des conditions particulières, et causer de ce fait de nouveaux dommages aux cerveaux des receveurs.

Les chercheurs insistent sur le fait que leurs recherches ne suggèrent pas que des troubles tels que la maladie d’Alzheimer soient contagieux (!), mais ils craignent que certaines interventions médicales et chirurgicales présentent un risque de transmission de ces protéines mentionnées ci-dessus entre humains, ce qui pourrait conduire à des maladies se manifestant des décennies plus tard. « Le risque peut s’avérer mineur, mais il faut enquêter de toute urgence ! », déclare John Collinge, neurologue à l’University College London, et qui a dirigé la recherche.

Les travaux de Collinge font suite à une étude publiée par l’équipe de Collinge en 2015 : les scientifiques avaient découvert des dépôts d’une protéine appelée protéine bêta-amyloïde lors de plusieurs études (post mortem) sur les cerveaux de quatre personnes au Royaume-Uni. Ces personnes avaient été traitées pour leur petite taille durant leur enfance, par le biais de diverses préparations d’hormones de croissance dérivées des glandes pituitaires de milliers de donneurs (après leur décès).

Les quatre receveurs sont décédés à cause d’une maladie neurodégénérative rare mais mortelle appelée maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) causée par la présence, justement dans certaines préparations d’hormones de croissance, d’une protéine infectieuse.

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Cependant, les médecins ne s’attendaient pas à voir l’amyloïde s’accumuler de si tôt. Collinge et ses collègues ont suggéré que des petites quantités d’amyloïde bêta avaient également été transférées à partir des échantillons d’hormones de croissance et avaient provoqué, ou « ensemencé », les plaques amyloïdes.

Il faut savoir que les plaques amyloïdes dans les vaisseaux sanguins cérébraux sont la marque d’une maladie appelée angiopathie amyloïde cérébrale (CAA) et provoquent des saignements locaux. Cependant, chez la maladie d’Alzheimer, les plaques amyloïdes sont généralement accompagnées d’une autre protéine, appelée tau, et les chercheurs craignent que cela puisse se transmette de la même manière. Ce n’était cependant pas le cas dans les cerveaux des quatre patients atteints de MCJ, qui avaient les caractéristiques de la CAA.

À présent, l’équipe de recherche a testé de manière plus directe l’hypothèse selon laquelle ces protéines pourraient être transmises entre humains, par le biais de préparations biologiques contaminées.

À savoir que la Grande-Bretagne a cessé le traitement à base d’hormones de croissance dérivées de cadavres en 1985, et l’a remplacé par un traitement utilisant des hormones de croissance synthétiques.

En effectuant des tests, l’équipe de Collinge a été capable de localiser d’anciens lots de la préparation d’hormones de croissance, stockés sous forme de poudre durant des décennies à température ambiante, dans les laboratoires de Porton Down, un complexe national de recherche en santé publique situé dans le sud de l’Angleterre. Puis, lorsque les chercheurs ont analysé ces échantillons, leurs soupçons ont été confirmés : ils ont constaté que certains lots contenaient des niveaux substantiels de protéines bêta-amyloïdes et de protéines tau.

Dans le but de vérifier si la bêta-amyloïde de ces lots pouvait être à l’origine de la pathologie de l’amyloïde, les chercheurs ont injecté des échantillons directement dans le cerveau de jeunes souris génétiquement modifiées (afin qu’elles soient sensibles à la pathologie de l’amyloïde). À la mi-vie, les souris avaient développé de grandes plaques amyloïdes et de la CAA. Cependant, les souris témoins, n’ayant reçu aucun traitement ou ayant reçu un traitement à base d’hormone de croissance synthétique, sont quant à elles restées en bonne santé.

À l’heure actuelle, les chercheurs vérifient par le biais d’expériences distinctes sur les souris si les mêmes conclusions sont à prévoir concernant la protéine tau. « C’est une étude importante, les résultats sont très attendus », déclare Mathias Jucker de l’Institut Hertie de recherche clinique sur le cerveau, à Tübingen (Allemagne). En 2006, Jucker a démontré que l’amyloïde bêta extraite du cerveau humain pouvait initier la CAA et des plaques dans le cerveau de souris. Depuis, de nombreuses autres études menées sur les souris l’ont également confirmé.

Ce que cela implique, chirurgicalement : le fait que la transmissibilité de la bêta-amyloïde « puisse être préservée après tant de décennies, souligne la nécessité de la prudence », affirme Jucker. En effet, l’amyloïde adhère fermement aux matériaux utilisés dans les instruments chirurgicaux et résiste aux méthodes de décontamination standard. Mais Jucker note également que, comme le développement des maladies dégénératives prend beaucoup de temps, le risque de tout transfert peut être particulièrement pertinent dans le cas d’une chirurgie de l’enfant, où des instruments ont également été utilisés sur des personnes âgées.

Jusqu’à présent, les épidémiologistes n’ont pas été en mesure de déterminer si des antécédents chirurgicaux augmentent le risque de développer une maladie neurodégénérative plus tard dans la vie, tout simplement car les bases de données médicales ont tendance à ne pas inclure ce type d’informations. Mais heureusement, à présent, les principales études sur le sujet commencent à collecter des informations sur les procédures chirurgicales antérieures des participants, ainsi que d’autres données médicales.

La révélation effectuée en 2015 a incité les pathologistes du monde entier à réexaminer leurs propres cas de personnes traitées avec des préparations similaires, à base d’hormone de croissance, ainsi que de personnes ayant contracté la MCJ après une chirurgie cérébrale impliquant l’utilisation de membranes cérébrales de donneurs contaminées. En effet, ces derniers ont découvert que bon nombre des spécimens de cerveau archivés étaient remplis de plaques amyloïdes.

Collinge a déclaré qu’il avait demandé une subvention (sans succès) pour développer des techniques de décontamination d’instruments chirurgicaux après la publication de son article, sorti en 2015. « Nous avons soulevé une question de santé publique importante et il est frustrant de savoir qu’elle n’a pas encore été réglée ».

À noter que le risque réel lié à la neurochirurgie n’a pas encore été établi à l’heure actuelle.

Source : Nature

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