En écologie, un écosystème est formé par une communauté d’êtres vivants en interaction avec son environnement, dont les composants développent un dense réseau de dépendances, d’échanges d’énergie et d’informations permettant le maintien et le développement de la vie. Véritables vecteurs pathogènes pour l’Homme, il est difficile d’imaginer les tiques comme utiles dans la nature. Pourtant, les parasites jouent un rôle important dans la régulation du monde vivant.
Les Ixodida (ou tiques en langage usuel) sont un ordre d’arachnides acariens qui contient 896 espèces classées, dont 41 sévissent en France. Le plus grand des acariens, la tique, possède un corps de forme ovale et un rostre qui lui permet de s’accrocher à son hôte. En effet, c’est un parasite hématophage qui se nourrit du sang d’un autre organisme pour survivre, et peut lui transmettre des maladies.
Au cours de sa vie (jusqu’à 3 ou 4 ans), la tique prend seulement trois repas, d’une durée de plusieurs jours à chaque fois. Chaque repas symbolise une nouvelle étape de sa vie : passage larve-nymphe, passage nymphe-adulte, reproduction et ponte. Dès son premier repas, la tique peut s’infecter elle-même par une bactérie, un parasite ou un virus pathogène présent chez l’hôte de qui elle se nourrit. Elle peut alors être infectée toute sa vie et transmettre un agent pathogène lors de son repas de sang suivant, par le biais de ses sécrétions salivaires.
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Ainsi, environ la moitié de ces acariens portent un ou plusieurs agents pathogènes. En tant qu’hôte accidentel, l’Homme peut être contaminé par les tiques, les pathologies les plus connues en Europe étant la maladie de Lyme et l’encéphalite à tiques.
Bientôt de la salive de tique dans nos médicaments ?
Même si à priori la tique n’est pas la meilleure amie de l’Homme, des études mettent pourtant en lumière depuis une quinzaine d’années l’intérêt pharmacologique de sa salive. Certes, cette dernière contient un large éventail de molécules physiologiquement actives qui sont cruciales pour l’attachement à l’hôte ou pour la transmission d’agents pathogènes, mais elle serait également riche en molécules anticoagulantes et anti-inflammatoires. Une protéine contenue dans la salive de tique pourrait ainsi empêcher la formation de caillots sanguins et éviter les accidents vasculaires cérébraux, ou encore les embolies pulmonaires.
Plus récemment, des chercheurs ont synthétisé des protéines issues de la salive des tiques pour observer plus en détail ses propriétés bénéfiques. Utile dans certains cas, il faut savoir que la réponse inflammatoire induite lorsqu’un organisme est attaqué peut aussi s’emballer et se déréguler. « L’une des caractéristiques de nombreuses maladies inflammatoires est la surexpression de chimiokines donnant lieu à un recrutement inapproprié de leucocytes », écrivent les chercheurs dans leur étude. « L’inhibition des chimiokines est donc reconnue comme une stratégie intéressante pour le développement d’anti-inflammatoires ».
Or, il se trouve que les tiques hématophages produisent dans leur salive des protéines sulfatées appelées « évasines », qui peuvent inhiber la réponse inflammatoire de l’hôte en se liant à ses chimiokines. Les protéines salivaires des tiques présentent donc des applications anti-inflammatoires intéressantes, par exemple contre la fibrose pulmonaire, les inflammations intestinales, mais aussi contre les complications de la COVID-19. À quand de la salive de tique comme traitement anti-inflammatoire ?
Les tiques aident à contrôler la démographie des animaux sauvages
Même si elles existent depuis 140 millions d’années, le rôle des tiques dans l’écosystème n’est pas encore clairement défini. Toutefois, il est certain que ces acariens ne sont pas que des nuisibles, car ils constituent une source de nourriture pour d’autres animaux. De nombreuses espèces de reptiles, d’oiseaux et d’amphibiens s’en nourrissent, surtout quand ils sont gorgés de sang.
L’absence des tiques provoquerait certainement un déséquilibre dans notre écosystème (comme pour tout être vivant), et certains scientifiques utilisent même ces hématophages en tant qu’indicateur de la stabilité d’un écosystème ! En effet, les tiques aident à contrôler les populations d’animaux sauvages. Le biologiste Claude Combes, spécialisé dans la recherche sur le parasitisme, donne un exemple pertinent à Libération : « Une antilope dans la savane porte entre 5000 et 10 000 tiques. Elle passe 30% de son temps à se toiletter, c’est-à-dire à contrôler la démographie de la tique. Que se passerait-il si l’on débarrassait toutes les antilopes de leurs tiques ? Elles y trouveraient un avantage immédiat : elles passeraient plus de temps à manger, elles grossiraient et se reproduiraient davantage. Les lions seraient contents… Ils auraient plus à manger et ils se reproduiraient plus, d’autant que les antilopes, plus grosses, courraient moins vite. À qui profiterait la mort des tiques ? Aux lions ? Aux antilopes ? Ce qui est certain, c’est que l’équilibre entre proies et prédateurs changerait ».
Le parasitisme présente un intérêt pour l’écosystème
La tique s’avère donc utile pour certaines espèces animales, comme le sont plus largement les parasites. Des auteurs expliquent que si l’espèce affectée par le parasitisme est un prédateur, on peut dans certains cas assister à l’explosion démographique de proies normalement régulées par ce prédateur. Le nombre plus important des proies peut donc déréguler l’écosystème et présenter des effets négatifs sur la biodiversité.
« Un exemple spectaculaire de ce phénomène est illustré par l’épizootie de gale sarcoptique (infection de la peau due à l’acarien Sarcoptes scabiei) qui a décimé les populations de renards en Scandinavie », écrivent-ils. « À la suite du déclin de ces populations de prédateurs, les populations des proies (rongeurs) que ces renards avaient l’habitude de consommer ont été fortement perturbées ».
D’après un autre exemple, le virus de la myxomatose en Grande-Bretagne a entraîné un rapide déclin des populations de lapins, ce qui a engendré la modification de la végétation, puis des invertébrés et vertébrés des biotopes concernés. Toujours en Grande-Bretagne, la graphiose — qui touche les ormes et agit par l’intermédiaire d’un champignon transmis par un insecte — a décimé de nombreux arbres. Même si des habitats ont été détruits pour beaucoup d’oiseaux, l’abondance d’arbres morts a permis l’émergence de grandes quantités de larves de coléoptères utilisées comme ressources par d’autres espèces d’oiseaux.
Une équipe de chercheurs japonais a aussi montré que les truites profitaient des vers nématomorphes pour se nourrir davantage. En réalité, les vers poussent leurs hôtes (sauterelles, grillons, criquets…) à se jeter à l’eau, tombant ainsi dans la gueule des truites. « Sauvons les parasites », peut-on lire dans un article de The Atlantic, qui rapporte également que « quand les loups ont été débarrassés de leurs mites et réintroduits dans le parc de Yellowstone, ils sont devenus plus vulnérables aux virus ».
Les tiques, et plus largement les parasites, participent donc à la sélection naturelle en jouant un rôle dans l’évolution du monde vivant. L’explosion récente de leur population et des maladies qui leur sont liées est certainement la résultante d’un déséquilibre des écosystèmes provoqué par l’espèce humaine.