D’où vient vraiment le cadmium dans les sols français ?

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Cristal et cube de cadmium pur. | Heinrich Pniok
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Épinglé en juillet dernier par le dernier rapport[1] de Santé publique France, le cadmium est un élément trace métallique (ETM) potentiellement dangereux pour le métabolisme humain, en fonction des doses et des sources d’exposition. L’agriculture est parfois pointée du doigt, notamment en raison de résidus de cadmium dans les engrais phosphatés. Qu’en est-il exactement ? Voici ce qu’en dit la science.

Selon Santé publique France (SPF), pour le commun des mortels, les principales sources de contamination sont l’ingestion de poissons et de fruits de mer et les goudrons de nos cigarettes. « Le cadmium est un toxique cumulatif dont le risque d’apparition d’effets délétères est lié à la dose cumulée dans le temps, explique l’étude ESTEBAN de Santé publique France. Il est fortement présent dans notre environnement (sols, air, eaux) du fait de sa présence dans la croûte terrestre et des apports anthropiques liés aux activités industrielles et agricoles ». Faisons donc les points sur ces trois sources.

Présence naturelle dans les sols

C’est un fait, le cadmium est l’un des métaux lourds les plus étudiés, en France et de par le monde. La première source de cadmium dans les sols est la géologie et la formation de la croûte terrestre[2]. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), « le cadmium (stable) est un élément relativement rare présent dans l’écorce terrestre à des concentrations faibles. Ces principales formes cristallines sont : la greenockite et l’hawleyite (CdS), l’otavite (CdCO3), le montéponite (CdO) et la cadmosélite (CdSe). La source de dispersion naturelle du cadmium dans l’atmosphère est principalement liée à l’activité volcanique. L’enrichissement en cadmium des sols et des systèmes aquatiques résulte de l’altération des matériaux de la croûte terrestre et des retombés atmosphériques. […] Le cadmium stable est présent à l’état naturel dans l’écorce terrestre aux concentrations moyennes comprises entre 0,1 et 1 mg.kg-1. Les teneurs naturelles de cet élément varient peu dans la plupart des roches : de 0,05 à 0,3 mg.kg-1 ».

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En France, ces teneurs naturelles dépendent de la nature des sols, les sols calcaires étant les plus riches, comme dans le Jura, la Champagne ou encore les Charentes. Créé en 2001, le Groupement d’intérêt scientifique sur les Sols (GIS-Sol) a pour vocation l’étude des sols français, sur 2200 sites différents. Selon cet institut, il existe de grandes différences d’une région à l’autre[3] : « les sols développés à partir de roches calcaires ont de fortes teneurs naturelles en cadmium pouvant dépasser les 2g/kg alors que 95% des sols français ne dépassent pas les 0.9g/kg (et 50% ne dépassent pas les 0.2). C’est particulièrement le cas dans le Jura où les sols argileux, souvent peu épais, résultent de l’altération lente d’une épaisseur considérable de calcaire, à l’origine d’une forte concentration de cadmium en surface. Dans les sols des Causses et du sud du Massif central, les teneurs sont également très fortes ».

Selon l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, les sols contiennent donc naturellement des métaux lourds[4] – dont le cadmium – auxquels s’ajoutent ceux provenant de l’activité humaine : « Les substances inorganiques ont une place importante parmi les substances chimiques naturellement présentes dans les sols et les roches. Le développement de nos sociétés industrielles est très lié à la découverte et à l’utilisation de métaux ». Ce qui nous amène naturellement à la source principale de contamination des sols…

Le lourd héritage industriel du XXe siècle

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les terres agricoles du Vieux continent ont été contaminées par les retombées atmosphériques des activités industrielles. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) scrute le cadmium depuis des décennies et fort heureusement, les industries européennes ont inversé la tendance : en Europe, les émissions de cadmium ont été divisées par cinq entre 1960 et 2005. En Belgique par exemple, les dépôts atmosphériques sont passés de 125 tonnes en 1950 à 130kg en 1990.

Soixante-dix ans plus tard, nous payons néanmoins le prix des activités industrielles débridées des Trente glorieuses[5] selon l’OMS : « Initialement, l’utilisation principale du cadmium était dans la galvanoplastie. À partir de 1960, il a été utilisé pour la fabrication des piles nickel-cadmium. Le cadmium est également utilisé dans les pigments de peinture, dans la fabrication de plastiques en polychlorure de vinyle. La majorité du cadmium présent dans l’atmosphère résulte des activités humaines, en particulier la fusion de minerais de métaux non ferreux, de l’usage de combustibles fossiles et de l’incinération des déchets municipaux. Par ailleurs, les fonderies et les exploitations minières ont contaminé l’eau et l’environnement. Dans de nombreux pays, les dépôts atmosphériques de cadmium sur les sols arables dépassent son élimination naturelle, entraînant une augmentation progressive des niveaux de cadmium dans les sols agricoles ».

En France, plusieurs commissions sénatoriales se sont emparées du sujet, s’appuyant par exemple sur les travaux de l’Institut national de la recherche agronomique qui chiffre à 40% la part des retombées atmosphériques, à 38% la part des déchets urbains et à 2% la part des engrais comme sources de contamination des sols au cadmium[6] : « Le sol contaminé est voisin d’une source de contamination, et reçoit des particules de métaux lourds. Les zones les plus connues sont les parcelles situées à proximité d’usines métallurgiques ou d’exploitations industrielles polluantes. Les contaminants habituels sont le plomb, le cadmium et le zinc… Par extension, ce phénomène concerne aussi les zones urbanisées, ainsi que les grands axes routiers. Les sols en bordure des axes routiers sont par exemple chargés en cadmium et en zinc, liés à l’usure des pneus ». Si la grande majorité de la contamination des sols vient des retombées atmosphériques des décennies passées, il reste donc encore quelques progrès à faire aujourd’hui.

L’agriculture intensive des années 70-80

Tous les pays industrialisés sont aussi passés par une phase d’agriculture intensive à partir des années 70, faisant intervenir de nombreux intrants comme les fertilisants minéraux. Parmi ces derniers, les fertilisants phosphatés contiennent naturellement du cadmium, en fonction de l’origine – volcanique ou sédimentaire – du minerai. Heureusement, l’ensemble des pays européens a rapidement bifurqué vers une fertilisation raisonnée : en France par exemple, la consommation d’engrais phosphatés a été divisée par cinq entre 1978 et 2018.

L’apport en cadmium des techniques agricoles fait débat. D’abord parce que la consommation a largement chuté, de 2 millions de tonnes avant le choc pétrolier de 1973 à moins de 500.000 tonnes actuellement, comme le révèle une étude de 2016[7] commandée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : « Cette baisse s’explique par un meilleur pilotage de la fertilisation (analyses de terres), par la réforme de la PAC, par la volatilité des prix des céréales mais aussi par la hausse du prix des engrais avec une sensibilité plus importante aux variations de prix pour le phosphore », soulignent Élise Delgoulet et Noémie Schaller, les deux auteures de l’étude.

Ensuite parce que le taux de cadmium dans les engrais phosphatés est très encadré en Europe, et bien plus que dans d’autres pays comme le Canada, le Japon ou les États-Unis. Jusqu’à aujourd’hui, chaque pays européen observait des normes nationales : 90mg/kg de P2O5 pour la France et la Belgique, 75mg/kg pour l’Autriche… En 2019, l’Union européenne a souhaité harmoniser ces normes[8]. À partir de 2022, les engrais distribués en Europe seront plafonnés à 60mg/kg, avec comme objectif final d’atteindre 20mg/kg d’ici dix ans. Mais, comme le soulignait le rapport du Sénat, les engrais sont responsables de 2% des apports de cadmium dans les sols, loin derrière les différentes pollutions atmosphériques. De quoi inciter les gouvernants à prendre, une bonne fois pour toutes, le problème de ces émissions à bras-le-corps.

Sources :
[1] https://www.santepubliquefrance.fr/docs/impregnation-de-la-population-francaise-par-le-cadmium.-programme-national-de-biosurveillance-esteban-2014-2016
[2] https://www.irsn.fr/FR/Larecherche/publications-documentation/fiches-radionucleides/Documents/environnement/Cadmium_Cd109_v1.pdf
[3] https://www.gissol.fr/donnees/cartes/les-teneurs-en-cadmium-extrait-a-ledta-des-horizons-de-surface-0-30-cm-des-sols-de-france-2406
[4] https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/6624-DESP-R01a__.pdf
[5] https://www.who.int/ipcs/features/cadmium.pdf
[6] https://www.senat.fr/rap/l00-261/l00-26179.html
[7] https://agriculture.gouv.fr/vers-une-gestion-durable-du-phosphore-ressource-critique-pour-lagriculture-analyse-ndeg-93#:~:text=Vers%20une%20gestion%20durable%20du,Agriculture%20et%20de%20l’Alimentation&text=Le%20phosphore%20est%20un%20nutriment,forme%20d’engrais%20de%20synth%C3%A8se.
[8] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0306_EN.pdf?redirect

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