Qu’est-ce qu’un mégafeu ?

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| Darvin Atkeson/Associated Press
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Cet été a vu le monde s’embraser de toute part. Même l’Arctique, région jusqu’ici pratiquement épargnée, est confronté à un risque croissant d’incendies incontrôlés, affirment les experts des Nations Unies. Les feux hors normes et le changement climatique s’aggravent mutuellement. Les gouvernements sont appelés à orienter leurs investissements vers la prévention et la préparation pour faire face au risque de mégafeux. Mais qu’est-ce qu’un mégafeu concrètement ? Quand peut-on considérer un incendie comme tel ? Quels moyens de lutte avons-nous ?

Les mégafeux représentent 3% des incendies, mais sont responsables de plus de 50% des surfaces brûlées de la planète. Aux États-Unis, les surfaces brûlées ont augmenté de 1200% lors des quatre dernières décennies. Cette année voit surgir, de façon soutenue et extrême, ces feux en France et un peu partout en Europe. D’ailleurs, une étude publiée le 17 août affirme : « De nouvelles données sur les incendies de forêt confirment ce que nous craignons depuis longtemps : les incendies de forêt se répandent, brûlant près de deux fois plus de couvert arboré aujourd’hui qu’il y a 20 ans ». Dans un scénario pessimiste des émissions de gaz à effet de serre entre 2081 et 2100, Météo France estime que la saison des feux dans le sud du pays passera d’un mois, comme c’est le cas aujourd’hui, à deux voire trois mois.

De plus, selon les données du Système européen d’information sur les feux de forêt (EFFIS), du 1er janvier au 30 juillet 2022, 600 000 hectares sont partis en fumée dans l’Union européenne — dont plus de la moitié rien qu’au cours des deux derniers mois. Sans compter que les feux de forêt ravagent désormais chaque année environ 3 millions d’hectares de plus, soit une superficie équivalente à celle de la Belgique, selon des données satellitaires compilées par le Global Forest Watch (GFW), le World Resources Institute (WRI) et l’université du Maryland.

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Le constat est dramatique et la boucle dans laquelle nous sommes entrés ne semble pas avoir de solution, le changement climatique favorise les mégafeux, qui eux-mêmes accélèrent le changement climatique. Comprendre la mécanique sous-jacente à ces feux, leur origine et leur évolution, pourra nous aider à les combattre et à les prévenir.

Une définition scientifique qui fait défaut, mais des critères clairs

La notion de mégafeux désigne un cas nouveau dans la typologie des feux de forêt en Europe, en raison de son émergence liée au changement climatique. Recouvrant des réalités différentes selon les pays, sa définition scientifique reste à préciser.

En l’attente d’une véritable définition scientifique du phénomène, la NASA en propose la description suivante : « Entre les changements climatiques et près d’un siècle d’exclusion des incendies, les feux de forêt sont devenus plus extrêmes en termes de taille, de gravité, de complexité du comportement et de la résistance à l’extinction. Ces incendies sont communément qualifiés de mégafeux et se situent aux extrêmes des variations historiques ».

Quelques critères font office de définition pour ces feux « hors norme », comme la vitesse de propagation ; l’intensité de propagation ; la zone, lorsqu’ils sévissent dans des milieux inhabituels ; les dégâts et la surface brûlée exceptionnels. Enfin, la durée (plusieurs semaines, voire plusieurs mois) et la dimension incontrôlable, sont également des indicateurs propres aux feux extrêmes, mais ayant plus de sens dans des pays ayant de grands espaces comme les États-Unis.

Les météorologues ne sont pas encore en mesure de prévoir les flambées de feux de forêt, mais il y a trois conditions qui doivent être présentes pour qu’un feu de forêt ait lieu. Les pompiers l’appellent le triangle du feu : carburant, oxygène et source de chaleur. 90% des incendies de forêt sont déclenchés par des personnes, mais le temps sec, la sécheresse et les vents violents peuvent créer une recette pour le désastre parfait, qui peut transformer une étincelle en un incendie de plusieurs semaines ou mois et qui consomme des dizaines de milliers d’hectares.

La foudre est une autre cause possible des incendies de forêt. Les scientifiques ont découvert que chaque degré de réchauffement climatique déclenche une augmentation de 12% de l’activité de la foudre. Depuis 1975, le nombre d’incendies déclenchés par la foudre a augmenté de 2 à 5%.

L’ère du Pyrocène et des feux créant leur propre dynamique

Le changement climatique est probablement un facteur majeur de l’augmentation de l’activité des incendies. Les vagues de chaleur extrême sont déjà 5 fois plus probables aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a 150 ans et devraient devenir encore plus fréquentes à mesure que la planète continue de se réchauffer. Les températures plus chaudes assèchent le paysage et contribuent à créer l’environnement idéal pour des incendies de forêt plus importants et plus fréquents. Cela conduit à son tour à des émissions plus élevées provenant des incendies de forêt, aggravant encore le changement climatique et contribuant à davantage d’incendies dans le cadre d’une boucle de rétroaction feu-climat. Nous sommes entrés dans l’ère du Pyrocène.

Ces feux sont si grands et intenses qu’ils créent leur propre environnement, les rendant d’autant plus incontrôlables, partant alors dans toutes les directions sans que les pompiers ne puissent anticiper. En effet, la force dégagée par l’incendie engendre des nuages appelés pyrocumulus. Comme tout cumulus, ils se forment au-dessus des sources de chaleur intense. C’est au début d’un incendie que l’on peut les observer, lorsque la température de la surface du sol augmente. Rapidement, de l’air chaud est relâché et, en montant dans l’atmosphère, se refroidit. L’eau contenue dans cette poche d’air, issue des plantes brûlées, se condense. C’est ainsi que se créent des colonnes de fumée massives, remplies de chaleur et de cendres.

Selon les conditions de stabilité et d’humidité disponibles, on peut retrouver des pyrocumulus humilis, mediocris, congestus ou même des pyrocumulonimbus. Les pyrocumulus humilis et mediocris coupent le rayonnement solaire. Ceci peut atténuer le réchauffement local dans un premier temps et aider à combattre un feu de forêt, mais en créant une zone nuageuse à côté d’une autre ensoleillée, ils risquent de créer un régime de brise qui augmente les vents à cet endroit et a l’effet inverse. Les pyrocumulus congestus, quant à eux, peuvent donner de la pluie. Enfin, les pyrocumulonimbus peuvent atteindre la tropopause et engendrer en plus de la pluie, de la grêle noircie par la suie, de la foudre, des rafales descendantes et même parfois des tornades.

pyrocumulus
Formation et conséquences des pyrocumulus. © Meteomedia

Les feux en Gironde ont démontré une capacité de propagation effrayante, car les pins sont particulièrement inflammables. Il faut savoir qu’un incendie dans une forêt de pins par temps plus doux, en hiver, au printemps ou en automne, brûle la végétation et la litière végétale en surface, mais ne brûle normalement pas la canopée des arbres. Par conséquent, il réduit le risque d’incendie en été, car une partie de la végétation de surface inflammable a été brûlée. Mais la même forêt brûle presque complètement si l’incendie a lieu en été.

En effet, quand les épines ou la résine du pin prennent feu, cela libère un gaz, un nouveau combustible qui au contact de l’air brule à nouveau. Et en parallèle, quand les flammes rencontrent l’air plus froid au niveau du sol, la masse d’air est emmenée vers le haut, produisant une dépression interne : du vent créé par le feu lui-même. Un feu peut alors se propager à plus de 7km/h.

Des conséquences dramatiques sur la planète

Les incendies de forêt ont en fait la capacité de réchauffer la planète entière, a révélé une étude de la NASA de 2016. Dans des écosystèmes comme les forêts boréales, qui emmagasinent plus de carbone que tout autre écosystème terrestre de la planète, les effets du changement climatique se font sentir deux fois plus vite.

D’ailleurs, les incendies ont ravagé les forêts boréales des vastes étendues du nord du Canada en mai 2016 et se sont poursuivis pendant des mois, consommant des millions d’hectares d’arbres et brûlant le riche sol organique du sol forestier, qui sert de grand réservoir de carbone. Pour chaque degré de réchauffement de notre planète, la forêt a besoin d’une augmentation de 15% des précipitations pour compenser l’augmentation de la sécheresse.

De plus, dans une interview accordée à Reporterre en 2020, Joëlle Zask, auteure de « Quand la forêt brûle », explique que les cendres de ces mégafeux se déposent sur les glaciers et précipitent la fonte des glaces : « C’est ce qui se passe en Nouvelle-Zélande, les glaciers ont pris une couleur caramel avec la cendre qui provient des feux australiens, et du coup vont moins réfléchir la lumière et fondre plus vite ».

Sans compter que la mortalité est plus élevée que lors d’un incendie classique, et les dégâts environnementaux sont souvent durables, surtout si de tels feux sont amenés à se reproduire année après année, rapprochant certaines espèces animales et végétales de l’extinction. Par exemple, les incendies qui ont touché l’Australie de septembre 2019 jusqu’au début de l’année 2020, ont causé la mort d’environ 500 millions d’animaux.

Des moyens de prévention existent-ils ?

Comme mentionné précédemment, beaucoup de pays européens ont été confrontés à une augmentation du nombre d’incendies, de leur taille ou de leur intensité au cours des dernières décennies. Ils ont souvent opté pour une stratégie renforcée de suppression des feux. Pourtant, cette stratégie n’est pas durable sur le long terme, car le changement climatique et la modification des paysages conduisent déjà à une recrudescence des grands incendies.

Si le risque d’incendie augmente avec le réchauffement climatique, la question est donc de savoir comment limiter les départs de feux, mais aussi la taille des incendies. Pour ce dernier point, des solutions existent.

Effectivement, un rapport gouvernemental de 2010 en France explique : « Pour la forêt, le maintien et l’intensification de la récolte de bois est donc […] le volet prioritaire de la prévention des incendies », tout comme les activités agricoles. Ces zones servent de coupe-feu sur lesquelles peuvent s’appuyer les pompiers au cas où un incendie s’y produirait, car elles sont beaucoup moins denses que les forêts et le sol est propre, et non jonché de végétations sèches, parfait carburant pour les feux.

Selon un récent rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le centre d’information et de données GRID-Arendal, les changements climatiques et l’évolution de l’utilisation des sols devraient rendre les feux incontrôlés plus fréquents et plus intenses. Les experts prévoient une augmentation mondiale des incendies extrêmes pouvant atteindre 14% à l’horizon 2030, 30% d’ici 2050 et 50% d’ici la fin du siècle. Le document appelle les gouvernements à changer radicalement la manière dont les dépenses publiques sont consacrées aux incendies de forêt, en orientant les investissements vers la prévention et à la préparation, plutôt que vers la réaction et la riposte.

La publication invite les gouvernements à adopter une nouvelle « formule de préparation aux incendies », selon laquelle deux tiers des dépenses seraient consacrés à la planification, à la prévention, à la préparation et au rétablissement, et un tiers aux interventions. Actuellement, les réponses directes aux incendies de forêt reçoivent généralement plus de la moitié des dépenses correspondantes, tandis que la planification et la prévention reçoivent moins de 1%. Les auteurs appellent à combiner les systèmes de surveillance fondés sur les données et la science avec les connaissances autochtones, ainsi qu’à renforcer la coopération régionale et internationale afin de prévenir les incendies.

C’est pourquoi en 2019, la Commission européenne a créé « rescEU » pour améliorer la gestion des risques de catastrophes. Concrètement, les pays membres mettent leurs ressources en commun et constituent une réserve paneuropéenne en équipements. En cas d’urgence par exemple, la Croatie, la France, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Suède proposent une flotte de douze avions et six hélicoptères bombardiers d’eau. En échange, les États moins équipés versent une contribution financière. Le dispositif intègre aussi l’Islande, la Macédoine, le Monténégro, la Norvège, la Serbie, et la Turquie, qui ne sont pas membres de l’Union européenne.

Inger Andersen, directrice du PNUE, conclut ainsi le rapport : « Les ripostes actuelles des gouvernements aux feux incontrôlés placent souvent l’argent au mauvais endroit. Les travailleurs des services d’urgence et les pompiers qui sont en première ligne et qui risquent leur vie pour lutter contre les feux incontrôlés doivent être soutenus ».

L’Homme, dans tous les cas, responsable des incendies

Que ce soit par l’intermédiaire du réchauffement climatique ou pas un simple geste, dans neuf cas sur dix les incendies en forêt sont d’origine humaine — criminelle ou accidentelle. En d’autres termes, ils sont évitables. En ce sens, la lutte préventive contre les feux de forêt et les politiques d’aménagement publiques peuvent et doivent jouer un rôle dans la gestion et l’évolution de ces événements.

Par ailleurs, l’entretien des forêts et le débroussaillement sont pointés du doigt comme l’une des causes de l’augmentation de la fréquence des mégafeux. Les particuliers, et parfois même les communes, n’effectuent pas les travaux nécessaires pour libérer les sous-bois de végétaux morts et les éléments qui favorisent la propagation du feu. Une gestion forestière améliorée, à l’instar des protections contre les inondations, s’impose dans la lutte contre les mégafeux.

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