À l’heure où le plus grand télescope spatial au monde James Webb démarre sa mise en service à 1,5 million de kilomètres de la Terre, les questionnements sur l’infiniment grand ne cessent de se poser. Comment les galaxies se sont-elles formées ? Si l’on sait depuis les années 1920 que l’Univers est en expansion, comment le mesurer et que cela révèle-t-il de la finitude du cosmos ? L’Univers est-il vraiment infini, ou fini, mais non borné ? Une chose est sûre, la question fait toujours débat dans le monde scientifique.
Apparu il y a environ 13,8 milliards d’années avec le Big Bang, en théorie, l’Univers désigne tout ce qui existe : l’espace, le temps, l’énergie et la matière. Dès lors, difficile de le concevoir délimité par des bords comme un objet physique, car l’existence d’un bord impliquerait la présence d’un extérieur à l’Univers… ce qui est impossible. Pour autant, il pourrait très bien être fini, mais sans bords, avec un espace se refermant sur lui-même.
L’Univers visible et invisible
Que l’Univers soit fini ou infini, on ne peut pas tout observer de lui. Comme son âge est « fini », nous ne pouvons observer qu’un volume fini : c’est l’Univers observable (ou visible). Il ne représente probablement que 2% de l’Univers entier, au sein duquel la lumière possède une vitesse finie et constante dans toutes les directions. Un évènement parvient ainsi à son observateur décalé dans le temps qu’il a fallu à la lumière pour parvenir jusqu’à lui.
Même pour l’Univers observable, la notion de limites reste importante et nous ne pouvons ainsi pas voir de phénomène pré-Big Bang. En effet, les limites de l’Univers observable coïncident avec le lieu le plus lointain de l’Univers pour lequel la lumière a mis moins de 13,8 milliards d’années pour parvenir à l’observateur. L’« horizon cosmologique » désigne cette limite au-delà de laquelle on ne peut rien apercevoir.
Le diamètre de l’Univers observable est estimé à 100 milliards d’années-lumière par les astrophysiciens. Il contient des étoiles répandues dans environ 100 milliards de galaxies, elles-mêmes organisées en amas et superamas de galaxies. Cela revient-il à affirmer que l’Univers visible est de nature finie ? Pas si sûr, car il s’agrandit au cours du temps et le nombre de galaxies pourrait être encore plus grand.
Théorie de l’infini
Deux théories restent à l’ordre du jour : un espace fini, mais sans frontière ou un espace infini. Cette dernière part de l’idée que l’Univers est en constante expansion depuis sa naissance. « Le destin de l’univers est déterminé par une lutte entre l’élan de l’expansion et la force de gravité », peut-on lire dans un document de la NASA. « Le taux d’expansion est exprimé par la constante de Hubble, tandis que la force de gravité dépend de la densité et de la pression de la matière dans l’univers. Si la pression de la matière est faible, comme c’est le cas pour la plupart des formes de matière que nous connaissons, le destin de l’univers est régi par la densité. Si la densité de l’univers est inférieure à la ‘densité critique’, qui est proportionnelle au carré de la constante de Hubble, alors l’univers s’étendra éternellement ». Dans le cas contraire, c’est la gravité qui l’emportera et l’Univers s’effondrera sur lui-même.
Des mesures récentes ont même suggéré que l’expansion de l’Univers s’accélère et que sa vitesse d’expansion n’est pas forcément constante, comme l’explique à France Culture Julien Grain, chargé de recherche à l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay : « L’expansion de l’univers change au cours de son histoire, l’univers ne s’étire pas toujours à la même vitesse. Elle dépend du taux de matière qu’il y a dans l’espace et ça, on peut le mesurer. On peut donc refaire l’histoire à l’envers et observer que pendant très longtemps il y a eu des phases d’expansion décélérée ».
Une autre donnée importante à considérer est la forme de l’Univers, déterminée notamment par sa densité. Si cette dernière dépasse la densité critique, alors l’Univers est sphérique de par sa courbure et son volume fini. Si la densité de l’Univers est inférieure à la densité critique, alors sa géométrie est ouverte (infinie) et incurvée négativement. Enfin, si la densité de l’Univers est exactement égale à la densité critique, alors la géométrie de l’Univers est plate et d’une étendue infinie.
D’après la NASA, « la version la plus simple de la théorie inflationniste (une extension de la théorie du Big Bang) prévoit que la densité de l’Univers est très proche de la densité critique, et que sa géométrie est plate comme une feuille de papier ». Le vaisseau spatial WMAP peut d’ailleurs mesurer les paramètres de base de la théorie, géométrie de l’Univers incluse. Avant les résultats du vaisseau, les scientifiques mettaient en évidence un univers plat avec une précision d’environ 15%. En 2013, il est d’une étendue infinie, car plat avec une marge d’erreur de seulement 0,4%.
Plutôt fini, mais non borné ?
Pourtant, des études viennent contredire ces découvertes. Pendant des années, l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet et ses collègues ont étudié la possibilité d’un univers se refermant sur lui-même, un « espace dodécaédrique de Poincaré ». « Nature utilise l’image d’un ballon de football », explique Jean-Pierre Luminet à Libération. « Comme si nous vivions à l’intérieur d’une sorte de sphère formée de 12 pentagones légèrement incurvés. Mais lorsque l’on arrive à une paroi pentagonale, on revient dans le ballon par la face opposée. Cet espace est fini, mais sans bords et sans limites, on peut donc y voyager indéfiniment ». Le nouveau modèle n’écarte pas la théorie du Big Bang, mais la conception d’un univers infini et plat, lui conférant plutôt une géométrie sphérique où les parallèles se recoupent à très grande distance.
En novembre 2019, une étude publiée dans la revue Nature et basée sur une nouvelle interprétation des données de Planck montre que la courbure de l’Univers serait positive avec 99% de probabilité, même si elle est probablement très faible. « L’hypothèse d’un univers plat pourrait donc masquer une crise cosmologique où des propriétés observées disparates de l’Univers semblent être mutuellement incohérentes », écrivent les chercheurs. « Des mesures futures sont nécessaires pour clarifier si les discordances observées sont dues à des systématiques non détectées, à une nouvelle physique ou simplement à une fluctuation statistique ».
Avec leur modèle sans bord, Stephen Hawking et James Hartle affirment qu’il serait plus naturel de considérer des univers clos que des univers infinis, même si rien n’est démontré. Toujours est-il qu’il n’existe pas de consensus sur le sujet et que l’hypothèse de l’infinité de l’Univers ne pourra jamais être observée ni démontrée, quelle que soit la puissance du télescope utilisé.