Des vagues de chaleur extrêmes et localisées dépassent les prévisions des modèles climatiques

Des lacunes critiques dans les modèles actuels ?

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Une étude révèle qu’au cours des 65 dernières années, certaines régions du monde ont enregistré des vagues de chaleur extrêmes dont l’ampleur dépasse largement les prévisions des modèles climatiques. Ces événements ont entraîné la mort de milliers de personnes, de lourdes pertes de récoltes et des incendies de forêt dévastateurs. Ces observations remettent en question la précision des modèles actuels et soulignent la nécessité de mesures de prévision et d’adaptation plus robustes.

2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés météorologiques, et les dix années aux températures moyennes annuelles les plus élevées ont été observées au cours de la dernière décennie. Avec l’été le plus chaud et la journée la plus chaude de l’histoire des enregistrements météorologiques, 2024 est en passe d’établir un nouveau record.

Cependant, alors que ces dépassements ont été plus ou moins prévus par les modèles climatiques, d’étranges vagues de chaleur survenant dans des régions localisées inquiètent particulièrement les climatologues. Certaines régions du monde ont notamment enregistré de façon répétée des vagues de chaleur extrêmes dépassant largement les hausses de températures prédites par la plupart des modèles. Cela inclut notamment celles survenues dans une grande partie de l’Europe en 2018 (atteignant 46,8 °C) et en Sibérie en 2020 (jusqu’à 40 °C).

Ces dépassements exceptionnels et inattendus ont soulevé des questions quant à la précision des modèles climatiques actuels et la véritable ampleur des impacts du réchauffement. « Il s’agit de tendances extrêmes qui sont le résultat d’interactions physiques que nous ne comprenons pas complètement », explique dans un communiqué de la Columbia Climate School, Kai Kornhuber, également affilié à l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués en Autriche. « Ces régions deviennent des serres temporaires », ajoute-t-il.

La nouvelle étude de Kornhuber et son équipe fournit pour la première fois une cartographie mondiale de ces régions et indique qu’elles sont présentes au niveau de tous les continents, excepté l’Antarctique. « En raison de leur nature sans précédent, ces vagues de chaleur sont généralement associées à des conséquences sanitaires très graves et peuvent être désastreuses pour l’agriculture, la végétation et les infrastructures », indique l’expert. « Nous ne sommes pas faits pour cela et nous ne serons peut-être pas en mesure de nous adapter assez rapidement », avertit-il.

Des signaux extrêmes dans le nord-ouest de l’Europe

L’enquête, décrite dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, examine les relevés de vagues de chaleur à travers le monde au cours des 65 dernières années. L’objectif était d’identifier les zones où la chaleur extrême augmente beaucoup plus rapidement que ce qui est normalement prévu. Cela se traduit généralement par des maximums de température dépassés à plusieurs reprises et dans des proportions démesurées.

Les analyses ont montré que bien que certaines se soient produites autour des années 2000, ces vagues de chaleur extrêmes sont devenues plus fréquentes depuis environ cinq ans. Les régions les plus affectées sont la Chine centrale, le Japon, la Corée, la péninsule arabique, l’est de l’Australie et certaines parties de l’Afrique. D’autres régions telles que le nord-ouest du Canada, les îles de l’Extrême-Arctique, le nord du Groenland, l’extrémité sud de l’Amérique du Sud et des zones dispersées de la Sibérie sont également touchées.

Parmi les vagues de chaleur les plus intenses figure notamment celle qui a frappé pendant neuf jours consécutifs le nord-ouest de l’Amérique et le sud-ouest du Canada en juin 2021. Des températures records allant jusqu’à 49,6 °C ont été enregistrées à Lytton, en Colombie-Britannique. La région a par la suite (le lendemain de l’établissement du record) été ravagée par un gigantesque incendie de forêt en grande partie dû à l’assèchement de la végétation sous l’effet de la chaleur extrême.

carte vague chaleur
Régions où les vagues de chaleur observées dépassent les tendances des modèles climatiques. Les zones encadrées avec les couleurs rouges les plus foncées sont les plus extrêmes ; les rouges et les oranges moins marqués dépassent les précisions des modèles, mais pas autant. Les zones jaunes correspondent à peu près aux modèles, tandis que les vagues de chaleur des zones vertes et bleues sont inférieures à ce que les modèles projetteraient. © Kornhuber et al.

Des régions telles que le Texas et le Nouveau-Mexique apparaissent également sur la carte. Bien que les États-Unis soient mieux préparés à ce type d’événements que d’autres pays, les vagues de chaleur causent tout de même plus de victimes que toutes les autres catastrophes météorologiques réunies (ouragans, tornades, inondations, etc.). Une précédente enquête a révélé que le taux de mortalité annuel dû aux vagues de chaleur a plus que doublé depuis 1999, avec 2325 décès directement liés à la chaleur en 2023.

La nouvelle étude indique également des signaux particulièrement extrêmes dans le nord-ouest de l’Europe, notamment en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et dans d’autres pays du nord, tels que la Norvège et la Suède. Au cours des dernières années, ces régions ont enregistré un taux de réchauffement deux fois plus rapide que la normale. Les vagues de chaleur y ont provoqué près de 60 000 décès en 2022 et 47 000 décès en 2023. Ce taux de mortalité élevé est dû au fait que ces régions sont moins préparées à ce type d’événements et, contrairement aux Américains, la plupart des gens ne disposent pas de climatisation, car cela n’a traditionnellement jamais été nécessaire.

Des vagues de chaleur dues à la déstabilisation du courant-jet ?

Bien que les facteurs sous-jacents à ces vagues de chaleur ne soient pas encore clairs, l’équipe de Kornhuber suggère qu’elles pourraient être dues aux fluctuations du courant-jet (un flux d’air rapide circulant au-dessus de l’hémisphère nord), du moins en Europe et en Russie. Cerné en temps normal par des températures froides au nord et plus chaudes au sud, ce courant est généralement limité à une bande étroite. Cependant, l’Arctique se réchauffe beaucoup plus rapidement que les autres régions de la planète, ce qui pourrait le déstabiliser et provoquer ce qu’on appelle des « ondes de Rossby », un phénomène déplaçant l’air chaud du sud vers des régions qui ne connaissent normalement pas de chaleur extrême.

ondes rossby
Des instabilités dans le courant-jet de l’hémisphère Nord peuvent aspirer l’air chaud du sud et provoquer des vagues de chaleur massives dans de vastes régions d’Amérique du Nord et d’Eurasie. © Kornhuber et al. 2020

En revanche, celles dans le nord-ouest du Pacifique et le sud-ouest du Canada pourraient être à la fois provoquées par une perturbation du courant-jet et par les décennies de réchauffement qui ont provoqué un assèchement de la végétation régionale. Les plantes disposent de moins de réserve d’eau pouvant s’évaporer dans l’air et atténuer la chaleur. Une série de courants atmosphériques à petite échelle peuvent également déplacer la chaleur de l’océan Pacifique vers les terres situées à l’est.

Dans l’ensemble, ces données mettent en évidence des lacunes importantes dans les modèles climatiques actuels, impliquant la nécessité de stratégies d’adaptation. Aux États-Unis, des appels ont par exemple récemment été lancés pour introduire un système de dénomination des vagues de chaleur, semblable à celui des ouragans, afin de renforcer la sensibilisation et la préparation du public.

Source : Proceedings of the National Academy of Sciences

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