En France, près de 373 000 femmes ont été victimes en 2022 de violences physiques, psychologiques, sexuelles ou verbales de la part de leur conjoint. En 2023, les autorités ont recensé 93 féminicides, 319 tentatives de féminicide et 773 cas de harcèlement par (ex-)conjoint ayant conduit au suicide ou à sa tentative, soit un total de 1 185 femmes victimes de violences graves au sein du couple. Un problème mondial : selon l’Organisation mondiale de la santé, environ un tiers des femmes dans le monde seront un jour affectées par ces violences. Si les programmes d’intervention classiques affichent des résultats contrastés face au risque de récidive, une nouvelle voie thérapeutique attire l’attention : la réalité virtuelle. Leur objectif ? Amener les auteurs de violences conjugales à comprendre, de manière immersive, ce que vivent leurs victimes.
Faire porter un casque de réalité virtuelle à des détenus pour développer leur intelligence émotionnelle peut, de prime abord, surprendre. Pourtant, cette technologie a déjà fait ses preuves dans d’autres champs de la santé mentale. Des études ont établi que la thérapie d’exposition en réalité virtuelle rivalise avec les méthodes conventionnelles dans le traitement des phobies telles que le vertige. Aux États-Unis, elle est également utilisée pour soulager les symptômes de stress post-traumatique chez les anciens combattants.
Dès 2010, une équipe dirigée par Mel Slater et Mavi Sanchez-Vives, neuroscientifique à l’Institut de recherche biomédicale August Pi i Sunyer de Barcelone, a adapté cette technologie à la lutte contre les violences domestiques. S’appuyant sur de nombreux échanges avec des experts du secteur, les premiers essais ont concerné des hommes sans antécédents violents, avant d’être étendus à des auteurs de violences conjugales en réhabilitation.
Dans la même perspective, Nicholas Barnes, psychologue au sein de l’administration pénitentiaire catalane, a conçu le programme « VRespectMe ». Selon lui, les auteurs de violences conjugales peinent à percevoir les répercussions émotionnelles de leurs actes. Face à ce déficit d’empathie, « notre objectif est de renforcer la capacité des hommes violents à se mettre à la place de leur partenaire », a-t-il expliqué au Times.
Le dispositif VRespectMe a été pensé pour immerger les agresseurs dans la peau de leur victime. « Nous ne leur expliquons pas l’empathie, nous la leur faisons ressentir. Ce n’est pas un processus intellectuel, c’est viscéral. L’absence d’empathie est directement liée aux comportements violents », souligne Barnes.
Une approche innovante aux effets encourageants
À ce jour, un millier de détenus ont participé à cette expérience immersive. Chaque participant a pu personnaliser l’avatar féminin pour qu’il ressemble à sa partenaire. L’un des scénarios proposés, d’une durée de trois minutes, montre — à travers une vue subjective — une escalade progressive de violence verbale. Le personnage masculin, de plus en plus menaçant, assène : « Que fais-tu ? », avant de poursuivre : « Tu t’es déjà vue dans un miroir ? Aucune femme n’a l’air aussi misérable que toi, tu es dégoûtante. »
« Même des graphismes rudimentaires suffisent à provoquer une réaction », observe Barnes. Rachel Sylvester, journaliste spécialisée dans les affaires criminelles et ayant testé le dispositif, raconte : « J’ai dû retirer le casque, redoutant que l’avatar masculin ne frappe le personnage féminin que j’étais devenu. » Certains détenus, bouleversés par l’expérience, ont enlevé leur casque avant la fin ; d’autres ont éclaté en sanglots.
Fort de ces premiers résultats, le programme a été déployé dans six établissements pénitentiaires de Catalogne. D’autres centres ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour l’installation du système VRespect. En parallèle du scénario basé sur les insultes, d’autres simulations ont été développées par Barnes, en partenariat avec le ministère espagnol de la Justice et l’Université de Barcelone. L’un des modules, destiné aux jeunes délinquants, plonge l’utilisateur dans la position d’un témoin de harcèlement sexiste dans un bar.
Un autre dispositif confronte l’agresseur à une représentation virtuelle de sa victime dans le cadre d’un échange simulé. Un détenu, à l’issue de cette immersion, a confié que cette expérience avait modifié sa perception de ses actes : « Je me suis laissé emporter par la rage », a-t-il déclaré à l’avatar, miroir de lui-même, avant d’ajouter : « Je mesure aujourd’hui le mal que je vous ai fait. J’ai perdu le contrôle. Je suis désormais conscient de mes erreurs et je vous présente mes excuses. »