En mars dernier, le premier homme greffé avec un cœur de porc est décédé. L’équipe médicale n’avait donné aucune information supplémentaire, à part que son état s’était dégradé en quelques semaines. Récemment, le chirurgien qui a pratiqué cette première xénotransplantation a annoncé que le cœur était porteur d’un virus porcin ayant contribué, dans une certaine mesure, au décès prématuré du patient. Retour sur cette prouesse médicale et les raisons de son échec.
David Bennett Sr., sur le point de mourir en janvier, avait alors reçu un cœur de porc génétiquement modifié dans le cadre d’une greffe interespèces pionnière, qui a été saluée comme un succès. Quelques jours après l’opération, David Bennett ne montrait aucun signe de rejet. Son chirurgien, Bartley Griffith de la faculté de médecine de l’Université du Maryland, soulignait que « son nouveau cœur battait à merveille et [que] [David] se comportait comme une rock star ». Il avait même pu regarder le très populaire match de finale du championnat de football américain de la NFL, le Super Bowl. Mais environ 40 jours plus tard, l’état de Bennett, 57 ans, s’est dégradé. Au bout de deux mois, il décéda. Dans un communiqué publié par l’université en mars, un porte-parole a déclaré qu’il n’y avait « aucune cause évidente identifiée au moment de sa mort », et qu’un rapport complet était en attente.
Néanmoins, lors d’un webinaire organisé par l’American Society of Transplantation le 20 avril, B. Griffith a expliqué que le cœur de Bennett avait été affecté par le cytomégalovirus porcin, une infection évitable, mais liée à des effets dévastateurs sur les greffes. La question fait maintenant l’objet de larges discussions parmi les spécialistes, qui pensent que l’infection était un contributeur potentiel à la mort de Bennett et une raison possible pour laquelle le cœur s’est arrêté.
Un virus caché dans le cœur de porc
Cette greffe est une étape majeure pour les xénotransplantations, c’est-à-dire les transplantations d’organes ou de tissus entre deux espèces différentes. Pour que ce type d’intervention réussisse, les porcs sont spécialement élevés et sélectionnés. En effet, le plus grand obstacle aux greffes d’organes d’animaux est le système immunitaire humain, qui attaque les cellules étrangères dans un processus appelé rejet. Pour éviter le rejet, les entreprises modifient génétiquement des porcs — en supprimant et/ou ajoutant certains gènes — pour donner à leurs tissus un profil les protégeant des attaques immunitaires. Dans le cas de David Bennett, le porc avait subi 10 modifications génétiques, effectuées par Revivicor, une filiale d’United Therapeutics. De plus, ces porcs, spécialement élevés pour fournir des organes, sont censés être exempts de virus.
Malheureusement, il semble ici que l’expérience ait été compromise par une erreur à ce niveau. Revivicor n’a fait aucune déclaration publique concernant le virus, ce qui pourrait compromettre les essais futurs.
Effectivement, Griffith déclare lors de sa présentation : « S’il s’agissait d’une infection, nous pouvons probablement l’empêcher à l’avenir », surtout que ce type de virus peut être détecté et facilement éliminé des populations de porcs. Si le virus porcin a vraiment joué un rôle important dans cette mort prématurée, cela pourrait signifier qu’une xénogreffe cardiaque sans virus pourrait durer beaucoup plus longtemps. Certains chirurgiens pensent que les organes génétiquement modifiés pourraient, en théorie, continuer à battre durant plusieurs années — et des procédures plus rigoureuses devraient permettre de « filtrer » davantage les virus.
Mais en effet, le cytomégalovirus porcin est lié à des réactions endommageant l’organe et le patient. En 2020, une équipe de chercheurs allemands menée par Joachim Denner du Robert Koch Institute de Berlin, a révélé que des cœurs de porc transplantés sur des babouins ne duraient que quelques semaines si le virus était présent, tandis que des organes exempts de l’infection pouvaient survivre plus de six mois.
Enfin, une crainte soulevée par ce genre de greffe est qu’elle puisse déclencher une pandémie, si un virus porcin à l’image de celui dissimulé dans le cœur greffé, s’adapte au corps humain. Cependant, les experts pensent que le type spécifique de virus présent dans le cœur de Bennett n’est pas capable d’infecter les cellules humaines. Ils hésitent alors à attribuer pleinement la mort de Bennett au virus. Mais quelle serait la véritable cause du décès ?
Un décès inévitable ?
C’est la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis qui a délivré une autorisation spéciale pour essayer un organe animal lors d’une greffe unique, sur Bennett, à la demande de Griffith. Il apparaissait comme un bon candidat, car n’étant pas éligible à une greffe de cœur humain, il était condamné à mourir. L’opération s’est très bien déroulée. Mais malgré un rétablissement encourageant, l’état de Bennett est resté fragile tout du long, comme le souligne son chirurgien dans sa présentation en ligne. Il a décompensé très vite, avec tous les signes d’une infection qui avait été, jusque-là, non détectée. Même une biopsie à 34 jours n’avait rien révélé d’anormal.
Ses médecins ont surveillé l’état de santé avec une grande rigueur, réalisant une batterie de tests sanguins perfectionnés, à la recherche de traces de divers virus et bactéries. Néanmoins, un niveau très bas de ce virus a été détecté, lors d’une analyse, mais a été supposé provenir d’une erreur, tant les chiffres étaient faibles. Le test permettant d’éclaircir ce point nécessite 10 jours, empêchant de fait les médecins de savoir si le virus s’était déjà multiplié et donc d’intervenir assez tôt pour le contenir.
La cause probable de la mort de Bennet n’est donc pas forcément imputable totalement au virus, mais il a au moins été le déclencheur d’une tempête immunitaire, que l’état de santé générale de Bennett n’a pu endiguer. Face aux signes d’infection, les médecins se sont retrouvés alors confrontés à un dilemme, bien connu en transplantation : comment combattre les infections tout en contrôlant le système immunitaire du patient. Finalement, les médecins ont administré à Bennett un médicament de dernier recours appelé Cidofovir, parfois utilisé chez les patients atteints du SIDA, associé à des immunoglobulines intraveineuses. Mais cela n’a pas suffi à le maintenir en vie.
Malgré cette fin prématurée, l’expérience a permis d’accumuler de nombreuses et précieuses connaissances quant aux xénogreffes et aux conditions obligatoires à remplir — comme un dépistage plus sensible des animaux concernant le virus — pour que ce type d’opérations puisse se réitérer avec plus de sureté et de succès. Ces dernières portent un espoir certain afin de lutter contre la pénurie d’organes humains greffables.